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De la « vraie » raison de la difficulté à implanter les DVP dans l’Education Nationale


Le club discussion de Noé était présent à Clermont-Ferrand à la conférence sur les DVP

       Il ressort du colloque « Les discussions à visée philosophique de 5 à 18 ans à Clermont-Ferrand les 2/3-4 juin 2014 » que les Discussion à Visée Philosophique ou DVP peinent à s’intégrer dans un cadre scolaire de manière officielle. Entre autres raisons invoquées, la nature de l’exercice qui place l’enseignant en pair par rapport à l’élève, reviennent aussi le manque d’enseignants formés en philosophie et l’insuffisante maturité des enfants. Mais le problème n’est-il pas ailleurs ?

Si le problème était dans la nature de la démarche philosophique de la DVP?

     L’atelier de discussion à visée philosophique (démarche Lipman, par exemple) a une démarche spécifique. Cette démarche est-elle responsable de la méfiance de l’Education Nationale face au DVP ? Le club discussion du collège de Noé se définit non comme un atelier de discussion à visée philosophique mais comme une communauté de recherche utilisant une méthodologie scientifique pour s’attaquer sans censure, à des questions que se posent les élèves. Ces questions nous ont par exemple amenés à faire des expériences de zététique (transmission de pensée et sentiment d’être regardé; réf: http://clubdiscussion.fr/2014/05/vendredi-23-mai-le-paranormal-est-il.html). Cependant une démarche scientifique ne garantit pas non plus l’adhésion de l’Education Nationale : ainsi malgré une envie très forte chez les élèves de s’interroger, de chercher à dénouer le vrai du faux puis de mener scientifiquement de telles expériences, l’étude scientifique du paranormal n’est toujours pas au programme de L’Éducation Nationale.
La nature de la démarche des DVP, ne suffit donc pas à expliquer totalement les difficultés d’intégrer dans un programme certaines questions. En effet, des réflexions même scientifiquement menées ne sont pas abordées dans les programmes alors qu’elles sont souhaitées par les enfants.


Si le problème était éducatif ?

     Le manque de compétence des enseignants est un argument souvent donné pour justifier le refus d’intégrer des DVP dans le cadre de l’école. Cependant si le besoin est confirmé l’Éducation Nationale sait se donner les moyens. Le cas des langues vivantes est instructif. Les instituteurs n’étaient pas jusqu’à récemment tenus de pouvoir enseigner cette matières. Devant un besoin clairement identifié, des intervenants ont pallié le manque de compétence linguistique du corps enseignant et il y a aujourd’hui des cours de langue dans les écoles élémentaires. En informatique un brevet complémentaire le B2i, a finalement été institué et les compétences ont été là aussi trouvées.
Le nombre important d’expérimentations de DVP a grandement fait la preuve de leur utilité et cela depuis au moins deux décennies. Cependant la réticence de l’Éducation Nationale à les intégrer au programme est toujours aussi forte. Le problème n’est donc pas un problème de compétence mais de volonté.

Sinon, le problème est-il national ?

     La réticence à intégrer les DVP ne semble être ni dans leur forme, ni dans les compétences à mettre en œuvre. Où pourrait se cacher la véritable cause ? Dans Éducation Nationale il y a « éducation » et « nationale ». Si le problème n’est pas éducatif ne pourrait-il alors être d’ordre national ?
Nous faisons l’hypothèse suivante : afin de conserver sa « légitimité », la nation française veut éviter à tout prix deux risques majeurs pour elle:

1.       Le risque de ne pas pouvoir répondre à une question
2.       Le risque de remettre en question la valeur de la nation


1. Le risque de ne pas pouvoir répondre à une question

Par définition la philosophie, comme la zététique, n’apporte pas de réponse absolue. La philosophie est un chemin sans cesse à reconstruire. Quelle image de respectabilité présentera une institution et derrière elle toute la nation, si cette institution devait répondre « Je ne sais pas » à un enfant de 5 ans demandant ce « qu’il y a après la mort » ou « si l’on doit ou pas dénoncer son petit camarade qui a fait une bêtise » ?
Dans un contexte ou l’expression de la puissance autant que la légitimité de cette puissance sont le savoir, répondre « je ne sais pas » n’est pas acceptable. C’est une réponse qui remet en cause les notions de droit et de devoir tels qu’ils sont imposés à l’enfant non-citoyen.
Plutôt que de mettre en péril la nation, la question est donc ignorée ou plus exactement réservée à ceux qui sont qualifiés de responsables (être au moins en terminale et en passe de devenir majeur).

2. Le risque de se poser la question de la valeur de la nation

     Les DVP tentent de séduire la république et par là même l’école en parlant de conscience citoyenne. Dans un contexte où les incivilités fleurissent et particulièrement à l’école, la cause est entendue. La solution semble évidente : DVP pour tous et surtout pour les enfants qui dysfonctionnent.
Mais si la nation souhaite un état apaisé, elle est d’abord et avant tout française. Alors, comme tous les regroupements à caractère ethnique et/ou culturel et/ou religieux, la nation se définit par la force des liens intra-communautaires et par la faiblesse des liens extra-communautaires.
En cas de conflit depuis la fin de la conscription en 2002, les conscrits sont remplacés par des volontaires (ref : loi n° 99-894 du 22 octobre 1999). Les enfants de la patrie ayant massivement pratiqué les DVP seraient-ils encore assez patriotes et obéissants pour faire de bons soldats volontaires? La DVP est humaniste, universelle et Il n’y a aucune raison que ces valeurs s’arrêtent aux frontières de l’hexagone. En effet, après avoir placé l’humain au centre du processus éducatif grâce à la pratique de représentations abstraites et décentrées, il nous semble impossible d’espérer que la valeur de la nation puisse l’emporter sur celles d’humanisme et d’universalité. Les DVP représentent en ce sens un danger de dissolution du sentiment national tel qu’il peut être perçu de manière territoriale et culturelle. Les DVP ont aussi pour but l’apprentissage d’une pensée critique et si comme le dit le philosophe Alain: « Penser, c’est dire non », cette pensée s’opposera à l’acceptation d’ordres non légitimes et non justifiés. Elles représentent alors, un danger pour la structure traditionnelle de défense de la nation.
Les DVP sont donc un moteur de modification du sentiment « national ». La reconnaissance des individualités et l’élargissement des structures de référence au genre humain plus qu’à un peuple sont perçu comme un élément pouvant créer une dissolution du sentiment national.

Conclusion et solution

     Les DVP sont un danger pour un système éducatif qui se veut tout autant national qu’éducatif. La représentation de la mise en difficulté d’un maître symbole de l’ordre national, qui hésite devant une question philosophique et la mise en évidence de valeurs supranationales sont des risques trop importants. Ainsi, afin d’éviter la dissolution d’un sentiment national et ce, malgré des avantages éducatifs certains, l’Éducation Nationale rechigne à l’intégration des DVP dans les programmes officiels.
Même si cette thèse n’est que partiellement recevable les contournements existent bel et bien. La mise en œuvre d’un développement « apatride » des DVP avec l’Unesco prend tout son sens. Il serait aussi possible de trouver des relais de croissance locaux et régionaux par exemple au sein des écoles, communes, villes, départements et régions. Il est sans doute possible de trouver d’autres alliés au-delà de la nation dans la communauté européenne ou encore dans d’autres organisations supranationales comme l’ONU ou les eurorégions. Infranational et supranational, c’est là que la DVP doit rechercher sa légitimité. Ensuite quand les nations seront devenues « a-nationalistes », les DVP rejoindront les rangs d’un système éducatif citoyen.
Dans une période de ré-émergence du sentiment national et de la volonté de souveraineté de la nation française, l’Éducation Nationale tant qu’elle sera nationale avant d’être universelle, humaniste et citoyenne ne devrait malheureusement pas s’ouvrir de manière officielle au DVP.


Christian Belbeze - Le 13 Juin 2014

Philippe, Paulette, Christian, Michel Tozzi et le jazz à Clermont-Ferrand juin 2014.

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