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Quelle philosophicité peut apparaître dans la pratique hors les murs ? Nina Boulehouat

 



ÉCOLE SUPÉRIEURE DU PROFESSORAT ET DE L’ÉDUCATION

 Diplôme Universitaire

 Formation à l’animation d’ateliers de philosophie  avec les enfants et les adolescents à l’école et dans la cité

Quelle philosophicité peut apparaître dans la pratique hors les murs ?


Présenté par Nina Boulehouat

Sous la direction de Johanna Hawken

Août 2024

 

Table des matières

Introduction..........................................................................................................................................3

1.  Contexte............................................................................................................................................4

1.1.  Constats.....................................................................................................................................5

1.2.  Questionnements, hypothèses, problématique..........................................................................6

2.  Philosophicité, de quoi parle-t-on ?..................................................................................................7

2.1.  Un terme questionnant..............................................................................................................7

2.2.  Risques de dérives....................................................................................................................7

2.3.  Conditions et critères................................................................................................................8

3.  Qu’entend-on par hors les murs ?...................................................................................................10

3.1.  Hors les murs, c’est quoi, c’est où ?.......................................................................................10

3.2.  Des ateliers philo hors les murs, pourquoi ?...........................................................................11

3.3.  Entre formel et informel, limites et intérêts............................................................................11

4.  Quelles résonances entre les nouvelles pratiques philosophiques et l’éducation populaire ?........13

4.1.  Les nouvelles pratiques philosophiques.................................................................................13

4.2.  L’éducation populaire.............................................................................................................13

4.3.  La visée émancipatrice............................................................................................................14

5.  Terrain d’expérimentation pour tenter de répondre à la problématique : Quelle philosophicité est

possible dans la pratique hors les murs ?............................................................................................15

5.1.  Cadre général de l’expérimentation........................................................................................15

5.2.  La question du nom.................................................................................................................17

5.3.  De l’informel au formel : cadre, repères et rituels..................................................................20

5.4.  Mouvement et circulation libre...............................................................................................23

5.5.  La question des thématiques...................................................................................................25

5.6.  Approches et postures.............................................................................................................28

5.7.  Synthèse de mes analyses.......................................................................................................32

6.  Conclusion......................................................................................................................................32

7.  Bibliographie..................................................................................................................................34

8.  Annexes..........................................................................................................................................35

Annexe 1 : Tableau des marqueurs de philosophicité...................................................................35

Annexe 2 : Schémas des marqueurs de philosophicité..................................................................37

Annexe 3 : Fiche de préparation d’un atelier.................................................................................38

Annexe 4 : Photos des outils utilisés.............................................................................................39

Annexe 5 : Pages du cahier géant..................................................................................................40

Annexe 6 : Extraits de mon journal de bord..................................................................................42

Annexe 7 : Verbatim – Terrain d’aventure – Liberté....................................................................44

 

Introduction

J’ai grandi dans un milieu populaire et j’ai fréquenté beaucoup de structures socio-culturelles en tant qu’enfant. J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs adultes qui m’ont fait confiance, m’ont permis d’oser et, a posteriori je dirais, qui m’ont considérée comme « interlocutrice valable »[1] (Dolto, 1987). C’est-à-dire que ma parole et ma pensée avaient une véritable valeur. À cette époque, la pratique de la philosophie avec les enfants n’était pas développée en tant que telle, mais dans certains lieux d’animation, une réelle attention était donnée à la parole de l’enfant à travers les pédagogies nouvelles.

Quand j’ai été en âge de travailler, je n’ai pas hésité longtemps, je voulais à mon tour accompagner des enfants de milieux dits défavorisés. J’ai donc d’abord eu dans l’animation un parcours éclectique, puis pour aller plus loin dans ma démarche, je me suis investie dans l’éducation spécialisée. Une façon de participer au projet d’une société humaniste, à mon échelle.

Au bout de dix années dans le travail social, j’ai, à regret, constaté le délabrement des institutions médico-sociales et la diminution de la place donnée à l’humain et à la pensée.

En parallèle, j’avais développé une expérience associative, autour d’ateliers d’écriture, et quand j’ai rencontré la pratique des ateliers philosophiques avec les enfants, j’ai eu envie de me réorienter, de quitter l’institution de travail social, et de créer mon nouveau métier. Ainsi, j’ai choisi de mettre ma force de travail, au service de l’animation d’ateliers philosophiques et d’ateliers d’écriture. Deux pratiques mettant à l’honneur les mots, qui ont toujours été de véritables amis durant mon existence. La pratique des ateliers philosophiques avec les enfants a été à la fois une grande découverte et une vraie confirmation de ce qui m’animait dans mes précédents métiers. Permettre à chaque enfant rencontré de reconnaître sa propre valeur, sa propre capacité à penser, à créer, à se relier. Et par extension, de participer à construire un monde plus juste, plus humain. Sur le plan professionnel, intégrer cette pratique m’a conduit à redonner du sens au collectif ; j’ai pu faire équipe avec d’autres praticiennes et m’impliquer dans la création d’un projet, celui d’une maison de la philosophie à Dijon. Cela a été possible, en grande partie, grâce à un réseau riche et généreux, celui des Nouvelles Pratiques Philosophiques (que je décrirai plus loin).

Mon premier contact avec ce milieu a été le parcours SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble), puis j’ai découvert le Pôle philo, La maison de la philo de Romainville, Les petites lumières, PhiloCité… et pour aller plus loin, pour continuer de me former, pour relever de nouveaux défis, j’ai intégré cette année, le Diplôme Universitaire de Formation à l’animation d’ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents à l’école et dans la cité, relié à l’INSPE de Nantes.

Après 4 années d’expériences d’ateliers, entrer en formation, c’était réactualiser et approfondir mes connaissances, explorer de nouveaux domaines, accepter de remettre en question ma pratique, rencontrer de nouvelles personnes motivées par le même but, et tenter de mettre en mots mon activité. J’ai aussi saisi l’opportunité de me placer dans une posture de recherche, de questionnement, sans objectif de réussite.

Choisir un sujet n’a pas été si simple, et j’ai finalement opté pour un sujet qui me tenait à cœur depuis longtemps et qui m’imposait de relever des défis en sortant de ma zone de confort.

Dans l’intitulé de notre formation, j’étais particulièrement intéressée par la nouvelle dénomination « dans l’école et dans la cité », notamment parce que je suis très attachée au fait de rendre accessible la philosophie, de la désacraliser et de permettre à toutes et à tous de la pratiquer, y compris en dehors de l’école. Une question me taraudait : jusqu’où peut-on aller pour démocratiser la philosophie ? Y a-t-il des conditions nécessaires pour philosopher ?

Je présenterai ainsi le contexte dans lequel je me place, les constats qui m’ont conduit à formuler ma problématique, les cadres théoriques, les dénominations utilisées, pour ensuite questionner et analyser ma pratique dans le but de formuler une réponse et des orientations.

1. Contexte

Le contexte dans lequel j’évolue depuis deux ans, me rapproche fortement de mes affinités avec l’éducation populaire, du fait que notre structure soit hébergée par La Maison Phare, une MEP (maison d’éducation populaire, fusion entre une MJC et un centre social) d’un quartier dit QPV (quartier politique de la ville) : La Fontaine d’Ouche, à Dijon. Depuis 2016, cette structure a la particularité d’avoir un projet pédagogique original, axé sur l’éducation intégrale, inspiré par la pédagogie sociale, avec des orientations philosophiques et politiques très affirmées, tout en étant une institution validée par la municipalité.

L’équipe de la Maison Phare s’est mobilisée en faveur de nombreux projets coconstruits avec les habitant·e·s, notamment en ritualisant plusieurs ateliers de rue tout au long de l’année.

Le dernier projet en date est le terrain d’aventure, il a été inauguré en mars 2024. Cette idée s’inspire d’une pratique née au Danemark il y a presque un siècle et qui s’est essaimée dans certaines villes de France. S’y déploie une démarche originale, où la découverte, la liberté, l’autonomie sont les maîtres mots, impliquant d’assumer la prise de risque. On y affirme, qu’il n’y a pas de « volonté initiale d’apprentissages formels » et que le principal enjeu est de « mieux se connaître, mieux comprendre les autres et la nécessité d’être avec les autres » (Wagnon et al., 2021). Concrètement, c’est un grand terrain arboré, sans aucune structure de jeux « pour enfants », avec des outils à disposition, des palettes et la possibilité de vivre des aventures. Le cadre donné est minimaliste : une clôture autour du terrain, un container pour ranger les outils, des animateur ices présent es. On y vient aux horaires d’ouverture, avec ou sans parents, et pour utiliser les outils en autonomie, on doit passer un permis.

Parmi les nombreuses expérimentations qui ont vu le jour dans cette structure, il y a eu, au tout début, quelques ateliers philo animés par le directeur en atelier de rue. Cette pratique a laissé la place à d’autres, mais lors de notre installation sur le quartier, j’ai pensé que je pouvais apporter mon expérience pour tenter une nouvelle approche.

1.1.Constats

J’ai commencé une première expérimentation à l’automne 2022, avec l’animation de 5 ateliers philo au sein d’un atelier de rue en bas d’immeuble, relié à un appartement. Sur les cinq, trois ont eu lieu à l’intérieur et deux en extérieur, dont un sous une grande tente. C’était court, mais cette première expérience m’a amenée à formuler plusieurs constats.

Faire choisir un thème aux enfants pour la fois suivante est compliqué puisque les enfants ne reviennent pas forcément d’une fois sur l’autre.

Étant habitués à aller et venir librement, les enfants se posent difficilement dans la discussion.

Le fait qu’il y ait d’autres propositions d’activités en même temps implique que l’atelier philo doit être attrayant et ludique.

En parallèle, lors des ateliers philo que j’ai animés dans des contextes scolaires depuis plusieurs années, j’observe que lorsque j’adopte un dispositif très cadré, type Discussion à Visée

Démocratique et Philosophique (DVDP), la discussion présente une véritable philosophicité. Les constats récurrents sont :

la ritualisation, la répétition de certaines phrases instaure une certaine solennité ;

l’utilisation d’un micro pousse les enfants à s’exprimer clairement et à tenir des propos sérieux ;

le fait de mettre en place des rôles responsabilise les enfants, les incite à être dans des postures d’écoute et de respect, tout en m’obligeant à moins intervenir ;

le dispositif m’oblige en tant qu’animatrice à tenir des objectifs clairs.

1.2.Questionnements, hypothèses, problématique

Ainsi ces deux pratiques très différentes permettent de se poser plusieurs questions : est-ce le cadre scolaire, ou le dispositif qui facilite la conduite d’ateliers philosophiques dignes de ce nom ? Les dispositifs, en tant que tels, par leur forme, leur « protocole », leur cadre garantissent-ils la philosophicité ou la visée philosophique ? Et sont-ils adaptés à tous les contextes ? Peut-on vraiment philosopher comme cela, partout ?

Le contexte scolaire est en lui-même un contexte très cadré, codifié, mais est-ce suffisant pour atteindre des objectifs philosophiques ? Est-il adapté pour que tous les enfants aient envie de philosopher ? Si l’on choisit d’animer des ateliers philo, dans la cité, par opposition aux structures scolaires, que doit-on faire pour que la dimension philosophique soit bien présente, qu’on tende bien vers une philosophicité ? Peut-on animer des ateliers philo, hors les murs, non pas dans un café, une bibliothèque, un centre de loisir, mais bien dans la rue ?

Et si l’on veut démocratiser la pratique philosophique, est-ce suffisant de la développer dans l’école ? Y a-t-il des lieux plus propices que d’autres ? Sortir des murs, n’est-ce pas prendre le risque de faire dériver la pratique ? De s’éloigner des objectifs philosophiques ?  Les « oasis de pensée » évoqués par Hanna Arendt (1993), sont-ils possibles en dehors des cadres formels ?

Dans ma pratique, j’avais d’abord fait l’hypothèse qu’il fallait développer des ateliers dans les écoles pour que cette pratique se démocratise, qu’elle soit connue et enviable, d’abord qu’on y soit « obligé » pour ensuite avoir envie de pratiquer volontairement.

Aujourd’hui, en fréquentant le contexte de la Maison phare où les pratiques éducatives hors les murs sont nombreuses, j’en viens à formuler une hypothèse inverse : et si la pratique en dehors du cadre formel, en dehors des murs, pouvait donner envie aux enfants et adolescents d’aller vers la pratique philosophique ? Si en y « goûtant » volontairement ils s’impliqueraient différemment quand cette pratique est proposée dans des espaces plus « contraints » ? Sortir du cadre, de l’école, des institutions, de la famille pourrait-il être un terrain propice pour se poser des questions sur son existence ?

Tous ces questionnements m’ont conduit à choisir cette problématique :

Quelle philosophicité est possible dans la pratique hors les murs ?

Je tenterai d’abord de définir les termes utilisés dans ma problématique, pour m’intéresser ensuite aux accointances entre les nouvelles pratiques philosophiques et l’éducation populaire (et plus précisément la pédagogie sociale). Pour enfin questionner la possibilité d’une pratique d’ateliers philo dans cet espace extérieur qualifié « hors les murs » à travers des marqueurs de philosophicité. Pour ce faire, je m’appuierai sur des ouvrages, des articles et sur l’analyse d’une courte expérimentation que j’ai menée.

2. Philosophicité, de quoi parle-t-on ?

2.1.Un terme questionnant

La philosophie connaît un nouvel engouement depuis quelques années, on a vu émerger et proliférer de nouvelles pratiques venant résonner avec la crise de sens que connaît notre époque postmoderne. C’est un véritable courant qui est né (dans les années 90 et intensifié depuis 20 ans) et qui s’est construit sous l’appellation des Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP). Ce courant a véritablement sorti la philosophie des sphères élitistes pour lui donner une place en tant que pratique dans les écoles et dans la cité.

Le terme de philosophicité est issu de cette « révolution », il est utilisé pour jauger du caractère proprement philosophique des ateliers philo. Il renvoie à la question de la légitimité, controversée par les uns (philosophe reconnus, universitaires, enseignant es) qui voudraient préserver une certaine conception de la philosophie et recherchée par les autres (animateur ices, enseignant es)   pour justifier cette appellation et garantir l’aspect philosophique. Autrement dit, « on est là dans un contexte de lutte qui évoque celui de Platon face aux sophistes : définir la philosophie (par contraste avec les « faux philosophes »que seraient les sophistes) devient un enjeu de territoire ; se revendiquer « philosophe »une question de légitimité, voire de prestige »(Herla, 2015). C’est ce terreau conflictuel, qui a notamment conduit le courant des NPP à théoriser sa pratique, travailler l’identité professionnelle, les compétences philosophiques requises pour se positionner et se différencier des pratiques académiques.

2.2.Risques de dérives

L’essor actuel dont bénéficie la pratique de la philosophie avec les enfants et les adolescents comporte un certain nombre de risques. Le principal est celui de l’instrumentalisation, notamment dans le cadre scolaire, quand certain es enseignant es veulent proposer des ateliers philo pour faire      de la régulation de classe ou quand les commanditaires nous demandent de nous inscrire dans des programmes d’éducation à (l’environnement, l’égalité filles-garçons, la santé…). Il y a aussi un risque de confusion avec le fonctionnement d’un groupe de parole ou d’une psychothérapie de groupe. Bien que « l’intimité puisse surgir à propos de n’importe quel sujet », il s’agira en atelier philo de conduire la discussion vers une généralisation conceptuelle et problématique. Toute discussion collective ne peut être désignée comme philosophique, Christian Budex (2022) dans son article consacré à ces questions nous enjoint « à distinguer la finalité et la méthode ». Ce qui est visé dans l’atelier philo c’est bien « le développement de l’esprit critique par l’interrogation méthodique des grandes questions de l’existence ». On retrouve ces dérives dans bien d’autres contextes que celui de l’école, sans bénéficier de la même influence que l’enseignant e, par sa position, l’animateur ice pourrait vouloir faire passer un message, une idéologie ou encourager l’introspection intime.

On comprend ainsi que préserver la philosophicité d’une discussion requiert une vigilance constante, une méthodologie rigoureuse et une posture intraitable sur les exigences philosophiques.

2.3.Conditions et critères

Il semblerait qu’une discussion devienne philosophique quand un certain nombre de conditions sont réunies, que nous pouvons appeler marqueurs de philosophicité. On peut distinguer d’une part, la méthode philosophique conduite par l’animateur ice permettant que les discussions contiennent des processus de pensée, habiletés de pensée, opérations de pensée ou encore gestes philosophiques. Et d’autre part, les postures des participant es et de l’animateur ice.   

Sans chercher à dresser une liste exhaustive de ces marqueurs, je choisis de m’appuyer sur un panel qui me semble être observable pour analyser ma pratique.

Concernant la méthode philosophique, Michel Tozzi (2020), dégage trois processus essentiels qui sont communément appelés des habiletés de pensée : la conceptualisation, la problématisation et l’argumentation. Il précise qu’ils « prennent une coloration spécifique en philosophie (ex : l’argumentation est rationnelle, et n’inclut pas comme en français la persuasion, elle vise une universalité, non un public cible. Elle se fait en langue naturelle, contrairement à la science etc.) ». Dans les faits, il en existe bien d’autres, comme, l’interprétation, la spéculation, le dégagement des présupposés, la déduction, l’induction, l’analogie, l’intentionnalité, etc.

La conceptualisation : il s’agit de se représenter l’idée ou l’objet (matériel ou mental), de partir du réel puis d’en dégager une vision abstraite, de déterminer ses contours, ce qu’on en connaît, de tenter de définir, d’exemplifier, nommer les éléments qui le composent, décrire ses attributs, préciser ses spécificités, ce qui le distingue. C’est en fait, sortir du langage commun, interroger l’écart entre « le mot et la chose », observer la polysémie. Ceci est souvent un préalable, pour qu’on puisse s’entendre sur les mots avant d’entrer dans une discussion, soulever des problèmes, mais c’est en réalité déjà une discussion et le concept « prend sens par le problème qui le travaille ». Il n’y a donc pas de chronologie déterminée avec les autres processus.

La problématisation : c’est avant tout se poser des questions, s’interroger, s’étonner. Une question sera philosophique, si elle demande une réflexion, n’aura pas de réponse immédiate et pourra toujours être remise en question, qu’elle doit concerner tout le monde, sinon beaucoup de monde, et elle renvoie à notre existence humaine. Il sera difficile d’y répondre. On pourra questionner la question, les présupposés qu’elle comporte, sa formulation. Il s’agit aussi dans la problématisation, de mettre en doute ses opinions, certitudes et celles des autres. C’est en fait, chercher quels sont les problèmes qu’on peut soulever autour d’un concept, d’une notion.

L’argumentation : c’est un raisonnement destiné à prouver ou justifier une affirmation. Il cherche à répondre à un problème posé, il commence souvent par le connecteur « parce que ». Contrairement à l’argument rhétorique qui cherche à convaincre, l’argument philosophique a pour objectif d’approfondir sa pensée. En ce sens, il ne relève pas d’une certitude, mais provient d’une hypothèse, une supposition, une spéculation. Il nécessite de clarifier, d’expliciter, de mettre en cohérence ses idées, de relier des concepts utilisés entre eux. Les arguments s’articulent autour d’une démonstration, qui peut s’appuyer sur des exemples, suite à quoi ils sont examinés, on vérifie leur validité, on teste leur force, leur faiblesse. Il existe plusieurs types d’arguments qu’on peut vouloir rejeter, parce qu’illogiques, d’autorité, fallacieux, irrationnels, etc.

Pour ce qui est des postures, je m’appuierai sur l’ouvrage de Johanna Hawken (2019) où elle présente une liste de dix critères nécessaires pour mener des ateliers philosophiques. Je propose d’en présenter quatre qui traitent de la posture des participant es et de l’animateur ice.      

L’ouverture d’esprit : cela correspond à la capacité à accueillir les idées des autres, à les voir comme complémentaires, contribuant à la réflexion collective. Sentir que nos idées peuvent être influencées et nuancées. Il s’agit de pouvoir « mettre en pause » son jugement « pour donner une chance à l’idée divergente ».

La lenteur précautionneuse : c’est accepter de rompre avec le rythme habituel, prendre le temps de « penser l’humanité ». Cela implique de ralentir, c’est aussi une exigence pour que la prise de parole soit un cheminement, un « processus de pensée » qui se fait avec « délicatesse, subtilité et justesse ». Il convient aussi de laisser la place au silence.

Le développement de l’estime intellectuelle de soi : il est essentiel de reconnaître l’enfant comme « interlocuteur valable », capable de penser, de porter une parole sur le monde, en tant qu’humain parmi les humains. En leur donnant cette légitimité, les succès cognitifs auront des effets indubitables et durables sur l’estime de soi. C’est aussi parce que les enfants se confronteront à la complexité, à la difficulté de résoudre des problématiques, qu’ils s’estimeront fiers d’avoir parfois réussi, et même parfois rejoindront par leur pensée des philosophes de tous les temps.

L’atmosphère bienveillante et pluraliste : construire des espaces protégés du monde où l’on peut se sentir en sécurité pour penser, discuter, exprimer sa singularité, découvrir l’altérité. La pluralité, les divergences, les désaccords peuvent ici exister, il s’agira de dédramatiser, pour les laisser s’exprimer en toute sérénité. La création d’un espace d’expression se doit d’offrir des droits et des limites, pour que cela soit fructueux pour le collectif.

Ces postures peuvent aussi être qualifiées d’attitudes philosophiques, on retrouve cette dénomination dans le chapitre consacré à la réfutation socratique dans l’ouvrage de PhiloCité (2020), méthode qui a été théorisée par Oscar Brenifier (acteur des NPP discrédité par son manque de bienveillance). Outre celles qui rejoignent les précédents critères, à savoir : le fait de se poser (pensée et corps), l’engagement, l’acceptation de la confrontation et l’étonnement, on peut en relever deux plus singulières :

Saisir le Kairos philosophique, c’est-à-dire le moment opportun, propice. C’est en fait

« pratiquer « l’art de l’occasion », s’atteler à débusquer et travailler tout ce qui pose problème ou question dans l’exercice philosophique proprement dit. » Ce qui nécessite de se détacher de sa préparation, ne pas vouloir mener le groupe quelque part, faire le deuil d’une maîtrise, sans toutefois ne jamais renoncer à animer le groupe, l’accompagner pour activer les processus de pensée.

Se positionner comme « maître ignorant »(Rancière, 1987) pour faire circuler le désir de penser des participant es sans être dans la recherche de «    la bonne réponse ». « La seule vraie transmission du « maître » tient donc à l’art même de philosopher, c’est à dire de se questionner sans fin sur la vérité de ce que l’on pense. » Ainsi par la pédagogie du dialogue, l’animateur ice invite à intérioriser ce dialogue critique de la pensée, devenir autonome pour problématiser ses propres idées.

Pour m’aider sur la partie analyse, j’ai produit un tableau qui reprend ces 9 marqueurs de philosophicité (cf. annexe).

Aussi, il me semble que la philosophicité est une visée, un objectif que l’on cherche à atteindre quand on anime un atelier philosophique et qu’il s’agit surtout de penser aux « aménagements » qui rendent possible l’émergence de moments philosophiques.

3. Qu’entend-on par hors les murs ?

3.1. Hors les murs, c’est quoi, c’est où ?

Dans le domaine des NPP l’appellation hors les murs est utilisée pour caractériser toute pratique philosophique existant en dehors de l’institution scolaire : cafés, bibliothèques, prison, ciné, hôpitaux, rando… ce qui revient à nous situer dans une autre institution ou complètement en dehors.

En Éducation populaire, travailler hors les murs signifie sortir du cadre physique des murs de la structure, aller dans le quartier, dans la rue, à la rencontre du public.

Cette idée peut renvoyer à la pratique antique de la Philosophie en Grèce,  à l’époque de Socrate, où la philosophie était d’abord nomade, s’invitant partout où se rencontraient les citoyens, la place publique, l’agora, la cité. Les philosophes étaient alors « immergés » et considéraient que « la vie quotidienne donne la possibilité de philosopher» (Queval, 2017). On peut également la rattacher à la notion d’espace public, que Habermas (1997) qualifie d’espace de médiation reliant des sphères autonomes, à un espace intermédiaire, hors institution, indépendant, où peut s’exercer la critique, nécessaire à toute démocratie.

3.2.Des ateliers philo hors les murs, pourquoi ?

Se placer hors les murs permet à la fois de se détacher des institutions (notamment scolaires), de leurs injonctions, tout en étant immergé dans la cité, au contact des préoccupations contemporaines des habitant·e·s.

En proposant des « ateliers philo » dans cet espace public, l’idée est d’offrir des espaces-temps « coupés de l’affairement du monde où les participants peuvent prendre de la distance pour penser sereinement ensemble » (Chirouter, 2022) comme le suggère Hannah Arendt en évoquant les « oasis de pensée ». Ainsi on peut s’approcher des enjeux de la pratique de la philosophie :

décrypter le réel, prendre de la hauteur par rapport aux évènements, viser le bien commun, chercher sagesse et la vérité.

Il s’agirait donc à la fois d’être relié au réel, tout en s’octroyant des pauses pour le penser, sans être assujettis à quelque institution. Il y a dans cette démarche une visée émancipatrice, qui pourrait revenir à penser qu’en se détachant du « cadre », on peut mieux le penser, le critiquer, s’en libérer. Ainsi, on peut se demander si sortir du cadre scolaire pourrait permettre de le penser ? Ou de penser ce qui n’est pas autorisé, ou encore autoriser les enfants « empêchés » de penser à le faire ?

Plus métaphoriquement, hors les murs peut aussi nous permettre d’être en lien, les uns les autres, comme le dit si bien Johanna Hawken (2024) : il est « nécessaire, utile et agréable de participer à un espace de parole et de réflexion afin de déconstruire les murs entre les univers philosophiques de chacun et chacune. »

3.3.Entre formel et informel, limites et intérêts

Selon moi, cette conception d’hors les murs s’oppose à la notion de formel ayant plus à voir avec des espaces « clos » correspondant aux institutions telles que l’institution scolaire, où nous dirons qu’il y a un cadre formel, avec des objectifs pédagogiques explicites, notamment en termes d’éducation, de transmission de savoirs.

L’école a connu de nombreux changements, grâce notamment à l’avènement des sciences de l’éducation, mais il semblerait que l’institution en tant que telle contienne de nombreuses failles qui rendent inopérante l’ambition de donner à tous tes les mêmes chances. En témoigne l’irréductible taux d’échec scolaire (15%), qui loin de conduire vers une ascension, cristallise les enjeux de déterminisme. Serge Boimare (2008) dans son ouvrage, « Ces enfants empêchés de penser » déplore que les injonctions d’apprentissages ne rencontrent pas les besoins nécessaires des enfants pour apprendre. Se creuse ainsi, pour certains enfants, une défiance du système scolaire, de tout ce qui se rapproche des apprentissages et plus largement de l’activité de penser. Il démontre combien le nourrissage culturel et la mise en place d’espaces de parole pourraient transformer le rapport à l’école.

Gilles Brougère (2002) quant à lui, décrit la possibilité d’une éducation informelle (notamment à travers le jeu) qui se déploie dans les expériences de vie quotidienne, sans qu’elles soient associées à une finalité éducative. » On peut même estimer qu’il s’agit là du lieu où « l’essentiel de ce qui est appris est reçu. » Il amène à considérer que l’école n’a pas le « monopole de l’apprentissage » et que l’éducation n’est pas toujours le résultat d’un « processus conscient et volontaire ». Ainsi il se pourrait qu’en dehors des cadres formels on puisse apprendre, sans que ce soit l’effet recherché.

Du côté des ateliers philo, la plupart des dispositifs mettent en place un cadre formel, comme la disposition en cercle, la lecture d’un album, la cueillette de questions, la mise en place de rôles, la formulation de règles, l’utilisation du bâton de parole, etc., afin d’encadrer, de structurer l’activité de penser. Ces conditions sont-elles absolument nécessaires ?

Peut-on imaginer, qu’en nous écartant du cadre formel (qui pourrait renvoyer à l’école), certains enfants puissent reprendre goût à penser ?

Comme dans l’exemple du jeu, développé par Brougère, ne pourrait-on pas voir entre ces deux pôles, formel et informel autre chose qu’une opposition ? Et ainsi, envisager la possibilité d’un processus de formalisation, qui permette de naviguer entre les deux, pour que progressivement, une dimension d’apprentissage, de conscientisation se fasse, pour celui qui gère la situation ou pour celui qui vit l’expérience.

Je proposerais pour ma part, une philosophie immergée dans ce qu’on appelle cité, dans le sens de périphérie urbaine, constituant aussi un espace public, et une version encore plus littérale du

« hors les murs » en allant dans des espaces extérieurs (tout en étant rattaché à une structure), naviguant entre le formel et l’informel.

4. Quelles résonances entre les nouvelles pratiques philosophiques et l’éducation populaire ?

Puisque mon terrain d’expérimentation se réalise dans une structure d’éducation populaire, je me suis intéressée également aux écrits sur ce courant. En croisant mes lectures entre les ouvrages dédiés à la pratique de la philosophie et ceux dédiés à l’éducation populaire, j’ai constaté des inspirations communes (tel que le courant Freinet et des méthodes actives), mais aussi des pratiques semblables.

4.1.Les nouvelles pratiques philosophiques

On entend par «  nouvelles pratiq  ues philosophiques  » (NPP) le mouvement renouvelant le rapport à la philosophie, en le démocratisant afin que les humains des temps modernes s’en saisissent. Il existe plusieurs approches différentes, notamment destinées à animer des ateliers philosophiques avec des enfants et adolescents. On distingue quatre grands courants, dont, la Communauté de Recherche Philosophique (CRP), la Discussion à Visée Philosophique (DVP), les Ateliers de Réflexion sur la Condition Humaine (ARCH) et la réfutation socratique ou maïeutique.

François Galichet (2022), une des grandes figures de ce mouvement, parle de pratique du philosopher, qui peut se résumer par ces quatre critères. L’universalité : « on ne philosophe pas pour soi, mais pour tous : c’est ce qui distingue une opinion d’une conviction ». L’exigence de l’implication : on ne peut pas rester simplement dans un raisonnement objectif. L’indécidabilité : toute question philosophique est questionnable à l’infini. La totalisation : chaque question, chaque notion renvoie les unes aux autres, c’est un maillage total.

4.2.L’éducation populaire

L’éducation populaire est un terme polysémique, je m’accorderai à la vision de Christian Maurel (2000) qui la caractérise comme un « ensemble des pratiques éducatives et culturelles qui œuvrent à la transformation sociale et politique, travaillent à l’émancipation des individus et du peuple, et augmentent leur puissance démocratique d’agir ».

Dans ce vaste champ, la pédagogie qui est appliquée dans le contexte où j’interviens est la pédagogie sociale, elle a été originellement théorisée par Paul Natrop, et plus récemment, par Laurent Ott (2011) qui la décrit comme « une pédagogie globale, une pédagogie de la réalité qui s’affranchit des murs, que ceux-ci soient du domaine physique (extérieur, hors institutions, etc.) ou métaphorique (décloisonnement des disciplines…). C’est une pédagogie qui invite le pédagogue à agir « pour », « avec » et « à travers » le milieu dans lequel il intervient. C’est agir ensemble. La pédagogie sociale, c’est la création d’espaces démocratiques. » Les principes majeurs sont :

l’accueil inconditionnel quel que soit l’âge, le milieu, sans inscription ni réservation nécessaire, et une libre participation,

le travail en dehors des murs « aller vers » / « laisser venir » et une régularité sur les points de rendez-vous,

la désinstitutionnalisation des rapports sociaux,

un travail sur l’activité, alliant principes de coopération, de création, de production, inspirée des besoins, intérêts et possibilités des personnes, qui ne soit ni occupationnelle, ni individualisante.

On voit dans ces deux approches, une volonté de se mettre à la portée de toutes les personnes rencontrées, de les accueillir dans leur globalité, d’être accessible, tout en ayant des ambitions de transformation sociale, d’exercer un regard critique sur la société et de donner les outils pour participer à la vie de la cité, à la démocratie.

Parmi les nombreuses résonances que j’y vois, comme l’ancrage dans la vie, la transformation sociale, la posture non-interventionniste, le non-dogmatisme, la quête de sens, la remise en question, je propose de mettre en lumière la visée émancipatrice.

4.3.La visée émancipatrice

L’émancipation signifie s’affranchir d’une autorité, domination, tutelle, aliénation, entrave. Elle implique pour une catégorie d’obtenir des droits identiques à d’autres (comme l’émancipation de la femme).

Cette visée se rattache à tout ce qui va favoriser la volonté d’agir ou de penser, non seulement pour soi mais aussi pour les autres, et non pas en se contentant de viser son propre épanouissement personnel, mais bien « l’émancipation individuelle et collective, et la transformation de la société » comme le dit Adeline Lepinay (2015). L’éducation populaire, « consiste à décrypter les rapports de domination, à prendre conscience de la place que l’on occupe dans la société, à apprendre à se constituer collectivement en contre-pouvoir, à expérimenter sa capacité à agir ».

Concernant les pratiques philosophiques, François Galichet (2022), explique, qu’il s’agit de faire émerger le « souci d’échapper autant que possible à l’égocentrisme » (qui déroge à l’exigence de totalisation), à l’illusion (qui déroge à l’universalité), à la mauvaise foi (qui déroge à l’exigence d’implication) et au dogmatisme (qui déroge à l’exigence d’indécidabilité). C’est pourquoi, bien que n’étant pas directement dans le domaine de l’agir, on peut dire qu’elle est émancipatrice. Christian Budex (2022), nous dit aussi à propos d’ateliers philosophiques dans les quartiers difficiles : « loin d’imaginer qu’une pratique philosophique régulière puisse arracher miraculeusement les individus à la somme des déterminations -- notamment sociales -- qui insèrent leur existence dans la chaîne de causalité, rien n’interdit toutefois de la penser comme un outil d’émancipation ».

Il me reste à mettre en lien toutes ces recherches avec ma courte expérimentation d’animation d’ateliers philosophiques dans l’espace public, hors les murs, dans un cadre peu formel, visant l’émancipation des publics en restant attentive à leur philosophicité.

5. Terrain d’expérimentation pour tenter de répondre à la problématique : Quelle philosophicité est possible dans la pratique hors les murs ?

5.1.Cadre général de l’expérimentation

Sur le quartier de la Fontaine d’Ouche, si la Maison Phare a bien implanté les ateliers de rue et qu’ils sont reconnus et « habités » avec souvent des habitudes installées, le terrain d’aventure bénéficie de l’attrait de la nouveauté et d’une myriade de possibles. J’ai choisi de naviguer entre ces deux terrains durant un mois, entre le mercredi 29 mai et le samedi 29 juin, j’ai installé des ateliers philo tous les mercredis et un samedi sur le terrain d’aventure, et tous les mardis sur l’atelier de rue de la place des écoles, soit dix rendez-vous, dont l’un n’a pu avoir lieu.

Il est important de préciser que mon cadre d’intervention a été facilitant par le fait que La maison Phare est connue et reconnue par les habitant·e·s, les enfants, les parents et qu’il y a un climat de confiance qui s’est construit sur plusieurs années. Que ce soit les ateliers de rue, ou le terrain d’aventure, le public était sur place sans que j’aie à aller le chercher.

Ce contexte particulier implique que les ateliers que j’ai animés étaient ce qu’on appelle des one shot, d’une certaine manière ponctuels, sans progression, ni continuité sur plusieurs séances, avec un public non captif et mouvant. Je précise mouvant, parce que conformément aux principes de la pédagogie sociale en place sur ces terrains, les enfants pouvaient aller et venir à leur guise, sans leurs parents ou, plus rarement, avec.

Sur l’atelier de rue, les enfants bougeaient beaucoup et se posaient peu, il y avait des tout petits (2-4 ans) surveillés par les plus grands, nous étions sur une place publique avec des structures de jeux juste à côté et l’équipe de la Maison Phare qui installait parfois d’autres coins à proximité, avec des ukulélés, des kaplas, en plus de l’atelier cuisine (occupé principalement par des adultes). Dans cet espace, les enfants étaient à proximité de chez eux, ils pouvaient être sommés de rentrer ou vouloir partir à tout moment.

Sur le terrain d’aventure, c’était différent, les enfants, majoritairement entre 8 et 13 ans venaient la plupart du temps pour toute l’après-midi, parfois à la demande des parents mais sans eux. Les activités principales étaient la construction de cabanes en autonomie (après avoir passé le permis), les jeux libres (balançoire, tyrolienne, cache-cache) et la préparation du goûter. L’espace est vaste, fait d’herbe, d’arbres, de coins cachés, et d’une base (avec barnum, container à outils et autres ustensiles). Les enfants parvenaient plus à se poser (entre 10 et 45 minutes), mais à tout moment ils pouvaient partir.

Sur les deux lieux, c’était souvent les mêmes enfants qui revenaient d’une fois sur l’autre, il y en a même une qui venaient sur les deux endroits, mais il y avait toujours des nouveaux, nouvelles participant·e·s. Le rendez-vous durait 3 heures, de 14h à 17h les mercredis et de 16h à 19h les mardis, j’étais là du démarrage au rangement. Il y avait plusieurs temps dans ces 3 heures, un temps d’installation, un temps d’observation (mutuel), plusieurs temps de discussion (avec un à six enfants), le temps du rangement, la participation au goûter et, uniquement sur le terrain d’aventure mais pas systématiquement, à l’assemblée (un temps commun avec toutes les personnes présentes avant le goûter) .

Mon installation comportait des constantes : un grand tapis sur lequel je disposais la valise avec du matériel, des livres, dont certains récurrents et d’autres en lien à une thématique, la mascotte Philomène (une petite poupée de tissu), divers supports (photo-langages, citations…), le cahier géant où j’inscrivais les questions, les réponses et où les enfants dessinaient, la valise à questions philo, les marque-pages « qu’avons-nous fait ? ».

Pour donner une vue d’ensemble de mon expérimentation, je propose le tableau page suivante, comme paysage global, pour ensuite décortiquer ma pratique à travers des portes d’entrées transversales, et tenter de répondre à la problématique de départ. Le contexte du terrain d’aventure étant plus approprié à l’enregistrement, explique qu’une majorité des exemples mentionnés en sont issus.

      Atelier de rue, place des écoles                              Atelier sur le terrain d’aventure




Dates et horaires

Lieux

Public

Thématiques

Supports

Mercredi 29/05/2024

Terrain d’aventure

2 ados + 5 adultes

Pourquoi y a-t-il des choses qu’on veut cacher ?

 

Mardi

04/06/2024

Atelier de rue

6 à 10 enfants + 1 adulte

C’est quoi penser ?

Jeu : étiquettes-mots à placer sous « Penser c’est / ce n’est pas »

Album : À quoi penses-tu ? (Laurent Moreau)

Mercredi 05/06/2024

Terrain d’aventure

5 enfants +

2 adultes

L’aventure c’est quoi ?

Album : Un jour parfait (Mélanie Ruten) Citations

Mardi

11/06/2024

Atelier de rue

5 enfants

Pourquoi on joue ?

Jeu : type jeu de l’oie

Album : Copains des collines (Benji Davies)

Mercredi 12/06/2024

Terrain d’aventure

6 enfants ou ados

Pourquoi construire des cabanes ?

Albums : Rêves de cabanes (François David), Abris (Emmanuelle Houdart)

Mardi

18/06/2024

16h-19h

Atelier de rue

7 enfants

À quoi servent les mots ?

Albums : Pourquoi les choses ont-elles un nom ?

(J-P Mogin), Tous les mots n’existent pas !

(Michaël Escoffier)

Mercredi 19/06/2024

Terrain d’aventure

6 enfants ou ados

Quels sont les liens entre Humains et Nature ?

Album : L’abre généreux (Shel Silverstein)

Mardi

25/06/2024

Atelier de rue

10 enfants

Grandir, on aime ou on aime pas ?

Grande toise avec les âges + post-it

Albums : Laurent tout seul (Anaïs Vaugelade),

Grandir (Emmanuelle Houdart)

Mercredi 26/06/2024

Terrain d’aventure

7 enfants ou ados

Faut-il prendre des risques ?

Photolangage

Citations

Album : Nour, le moment venu (Mélanie Ruten)

Samedi

29/06/2024

14h-17h

Terrain d’aventure

3 enfants ou ados

La liberté c’est faire tout ce qu’on veut ?

Débat mouvant

Jeu : sans cette liberté… (trouver les conséquences) Photolangage

Mercredi 03/07/2024

balade philo dans le quartier

Annulé

L’humain et la nature peuvent-ils cohabiter ?

Débat mouvant

Citations

Questions à piocher

5.2.La question du nom

Questionnements, hypothèses

Avant de commencer cette expérimentation, je me suis à nouveau posé la question de la dénomination. Peut-on appeler ces ateliers, des ateliers philosophiques au vu de leurs particularités ? Faut-il utiliser le mot philosophie ou bien philo pour présenter ces ateliers ? Est-ce que ce mot signifie quelque chose pour les enfants ? Est-ce qu’ils en ont une représentation négative ? Pourraient-ils philosopher sans le vouloir, le savoir ? Faut-il nommer les gestes philosophiques ? Si le but des ateliers philo est d’atteindre la philosophicité, faut-il cacher la philosophicité pour l’atteindre ?

Expérimentations

Lors du premier atelier au terrain d’aventure, j’avais envie de commencer sans utiliser l’appellation « atelier philo », personne ne venait sur le tapis que j’avais installé, j’ai finalement décidé d’aller vers deux adolescentes qui préparaient le goûter et j’ai simplement dit « ça vous dirait de discuter d’un thème ». Elles ont choisi de discuter de religion, à partir d’une situation vécue. Peu à peu dans la discussion, j’ai pu dire : « Pourquoi c’est haram ? Ce qui m’intéresse c’est de comprendre » ou « ça te questionne pas pourquoi c’est interdit ? » ou encore « moi mon travail, en philosophie, c’est de questionner les évidences, pour vous ça paraît évident, parce qu’on vous l’a toujours dit ». Sur la fin de la discussion, ensemble, nous avons formulé une question qui pouvait intéresser tout le monde, ce qui a donné : « pourquoi on a des choses à cacher ? » et elles l’ont posée lors de l’assemblée sur le mode interview avec le micro. C’est à ce moment que j’ai expliqué à toutes les personnes présentes ce que je faisais : des ateliers philo.

Dès le deuxième atelier philo, dans la rue, j’ai écrit « atelier philo » sur un petit panneau et j’ai expliqué simplement aux enfants qui s’approchaient que c’était un endroit pour discuter de questions sur notre existence. Il n’y a pas eu d’enfants qui sont partis en entendant le mot philo, mais certains en comprenant de quoi il s’agissait, ne sont pas restés. En revanche, Alba, une enfant de 11 ans, m’a répondu « je connais la philo, j’en fais avec mon prof », avec une certaine assurance. Je lui demande alors ce que c’est, elle me répond « ben, c’est de la philo ». Je lui propose un petit jeu sur l’étymologie (sous forme de puzzle), puis la questionne sur le mot sagesse, elle passe en revue les comportements sages et évoque la figure du grand sage. Elle écrit ensuite deux questions dans la boîte à questions.

Dans le matériel, j’avais préparé un petit marque-page intitulé « qu’avons-nous fait ? » avec quelques indications de ce que nous faisons généralement dans les ateliers philo : On s’est posé des questions sur notre existence / on a tenté de comprendre des mots et des idées / on a interrogé des évidences, des idées toutes faites / on a cherché des arguments, proposé des réponses, des hypothèses / on a pensé… Au verso, la citation d’Arthur Schopenhauer : « la philosophie naît de notre étonnement au sujet du monde et de notre propre existence. » Je le donnais principalement aux enfants qui étaient restés un long moment avec qui j’avais l’impression d’avoir « coché » au moins deux items.

Analyses

Dans l’exemple avec les deux jeunes filles, l’absence de thème donné m’a poussée à saisir le

Kaïros dans leurs propos, j’ai cherché à faire émerger des problèmes. Le fait de n’avoir pas nommé l’atelier ne les a pas empêchées d’essayer d’argumenter leurs affirmations, mais il a été nécessaire à un moment d’expliquer ma posture pour qu’elles puissent comprendre le processus à l’œuvre : « interroger ce qui vous paraît évident » correspondant à l’habileté de la problématisation. Leur compréhension de ce que nous faisions ensemble s’est faite progressivement par l’expérimentation, notamment par l’universalisation de leur questionnement initial. Elles ont pu percevoir l’intérêt en posant elles-mêmes la question à l’assemblée, cette question intéressait vraiment tout le monde (question philosophique).

Dans l’atelier de rue, nommer l’atelier a permis de poser les enjeux et de délimiter « l’activité » en toute transparence, cela permettait à la fois d’instaurer le postulat de « l’enfant interlocuteur valable » tout en protégeant l’espace de pensée avec des limites, dans l’idée qu’on ne se pose pas sur le tapis pour faire n’importe quoi, « ici on joue à se poser des questions ». L’hésitation d’utiliser le mot philosophie a été balayé par Alba, le mot philosophie ayant déjà été découvert à l’école, il serait dommage de le cacher en évitant de le nommer. On peut voir dans cet exemple, l’intérêt du travail complémentaire entre l’école et hors les murs : ses précédentes expériences ne lui permettaient pas d’expliciter l’activité philosophique (de la conceptualiser). Pour ce faire, il semble nécessaire de nommer non seulement l’atelier mais aussi les processus à l’œuvre (pour qu’elle puisse verbaliser ce qu’elle fait dans un atelier philo).

Quant à l’exemple du marque-page c’est une alternative pour que des mots soient posés dans l’après, même s’ils n’ont pas été formulés pendant l’atelier. C’est une manière de s’adapter au contexte mouvant des ateliers de rue. Mais cela suppose un accompagnement familial du type « qu’as-tu fait à l’atelier de rue ? je vais relire avec toi ce papier… c’est donc ça l’atelier philo… ». N’ayant eu aucun retour je ne sais pas si cela est utile ou non.

Remédiations

Si l’on choisit de ne pas nommer l’atelier, il faudrait prévoir un véritable temps à la fin de la discussion pour questionner ou nommer ce qui vient d’être vécu, (ex. « Là on a remis en question des évidences », « Vous avez questionné vos croyances », « On a cherché à universaliser vos questions… ») afin de donner des repères et de les guider vers une métacognition et une pensée réflexive. Le marque-page peut-être une alternative, mais il devrait au moins être introduit par une question adressée du type : « que penses-tu que nous ayons fait ensemble ? » afin de susciter l’interrogation.

En choisissant de nommer, il est nécessaire de réfléchir aux mots employés. Qu’ils soient clairs, compréhensibles, reflétant bien ce que l’on fera ensemble, tout en donnant envie. L’aspect visuel et ludique est à privilégier, au moins dans une première approche. Le puzzle n’étant pas très opérant, j’ai par la suite fabriqué un panneau sur l’étymologie. Mais j’aimerais construire une structure légère, avec des sortes de boîtes ou de volets qu’on manipule et qui permettent de s’interroger sur ce qu’on fait en philosophie.

Tentative de répondre à la problématique

Ici on peut dire que nommer à l’avance n’a pas forcément d’incidence sur la philosophicité à l’œuvre dans la pratique hors les murs, mais qu’il est nécessaire de trouver un moyen pour nommer les gestes philosophiques pratiqués afin qu’ils apparaissent tels quels, deviennent conscients, puissent entraîner un travail réflexif et d’appropriation.

5.3.De l’informel au formel : cadre, repères et rituels

Questionnements, hypothèses

Si le terrain d’aventure et l’atelier de rue constituent des espaces de liberté et d’expérimentation, sont-ils, pour autant, des endroits sans règles ? Les ateliers philo doivent-ils forcément respecter une structure définie ? La mise en place de rituels conditionne-t-elle la pratique de la philosophie ? Si oui, comment ritualiser ? Peut-on poser des règles dans un cadre informel ?

Expérimentations

Lors du premier atelier de rue, certains enfants étaient attirés par le matériel de dessin, ils voulaient des feuilles pour dessiner. J’en ai donné, mais leur consommation massive a rapidement épuisé mon stock. La fois suivante, j’ai expliqué, « ici si tu veux dessiner, c’est sur le cahier géant (dont je n’arracherais pas les feuilles) et en lien avec la thématique du jour ». Ça a été la première règle formulée clairement. En ce qui concerne les habituelles règles que l’on exprime généralement en début d’atelier philo, je ne les ai pas mentionnées, ni écrites. Cependant j’en ai répété quelques-unes, comme celle de ne pas se couper la parole, de prioriser celles ou ceux qui parlent le moins, de s’écouter. Et concernant une petite fille, j’ai dû lui redire quasiment à chaque atelier de ne pas emporter la mascotte Philomène « elle doit rester sur le tapis avec nous ». Lors des ateliers de rue, ce qui était compliqué c’était l’irruption fréquente des tout petits qui renversaient les pots de crayons, marchaient sur les livres, bien qu’ils soient accompagnés de leurs parents.

Dans l’atelier, « Penser c’est quoi ? » avec Zyna, j’ai animé une sorte de parcours : jeu + histoire + dessin dans le cahier géant. Je lui ai proposé de s’inspirer de l’illustration de l’album en dessinant son profil et d’y mettre ce à quoi elle pense. Je lui ai demandé si elle voulait signer son dessin, elle l’a fait avec application. Ensuite d’autres enfants se sont approchés et installés sur le tapis, en regardant dans le cahier géant ce qu’elle avait fait. Zyna a pris le cahier et m’a demandé

de reprendre son dessin. Je lui ai expliqué qu’on ne pouvait pas arracher la page parce qu’il y avait d’autres choses écrites de l’autre côté. Je ne l’avais pas prévenu. Percevant son malaise, je lui ait demandé de m’expliquer : « c’est parce je ne veux pas que les autres sachent ce que j’ai dans la tête ».  Pour trouver un compromis, je lui ai proposé de recouvrir son prénom pour que ce soit anonyme.

Sur chaque lieu, des enfants revenaient d’une fois sur l’autre et me demandaient « qu’est-ce que c’est la question aujourd’hui ? », parfois, ils demandaient à regarder les pages précédentes du cahier géant. Émilie était très contente de savoir que je serai à nouveau là, le mardi suivant. Au deuxième atelier, elle arrive en clamant « je suis là comme promis ! » ce qui correspond complètement aux principes de la pédagogie sociale, donner un rendez-vous. Sur le terrain d’aventure, Maya, a émis l’idée de construire une cabane philo. Dans un autre registre, Kaïs qui était toujours présent sur le terrain d’aventure et observait de loin ne nous a rejoints que lors du troisième atelier et il est resté quasiment 20 minutes.

Pour les fins du présent mémoire, j’utilisais un micro pour enregistrer les enfants, uniquement sur le terrain d’aventure. Quand la discussion semblait vraiment commencer je sortais le micro et j’enclenchais l’enregistrement. Les enfants le prenaient un peu comme un bâton de parole quand ils étaient plusieurs, et quand nous étions en duo avec un enfant, il s’en servait pour répondre aux questions ou en formuler. Le micro servait aussi à interviewer les autres personnes présentes sur le terrain d’aventure.

Analyses

Ici on voit que les règles se sont construites au fur et à mesure, à partir de l’expérimentation de ce qui était gênant. Il y a eu ici, une formalisation progressive faite à partir des « problèmes rencontrés ». Il y a les règles qu’on formule et celles qu’on se garde pour soi comme « ne pas proposer de signer les dessins » ou « proposer l’anonymat ». Les explicites et les implicites. Celles que les enfants comprennent à force de venir et revenir et celles qu’il faut toujours répéter parce qu’elles sont difficiles à appliquer. D’autre part, il m’a semblé parfois plus difficile de cadrer des enfants qui sont sous la responsabilité de leurs parents.

J’ai parfois été prise de cours, mais il y avait dans ces « accidents » de véritables occasions d’ouvrir des discussions philosophiques, comme « Pourquoi on ne veut pas que les autres sachent ce qu’il y a dans notre tête ? Est-ce qu’on aimerait savoir ce qu’il peut y avoir dans la tête des autres ? » ou au sujet des règles « Est-ce qu’on est forcément viré quand on ne respecte pas les règles ? ». Saisir le Kairos philosophique ne m’a pas toujours été facile.

Par ailleurs, la ritualisation, les repères temporels, spatiaux et matériels constituaient une sorte de cadre informel et rassurant qui participe à l’instauration d’un espace protégé, où l’on se sent en sécurité. Par l’expérimentation, parfois par l’observation, les enfants comprenaient ce qui était possible : se poser des questions, proposer des réponses, être en désaccord, découvrir la pensée des autres. La répétition des rendez-vous a permis, pour certain·e·s, une observation préalable avant l’engagement.

Concernant l’utilisation du micro, il a été très stimulant pour la plupart des enfants, cela a participé à les positionner comme « interlocuteurs valables » tout en donnant à leur prise de parole un caractère engageant (« attends faut que je réfléchisse avant de parler »). Dans une certaine mesure cela participait aussi à les amener à ralentir et à écouter les autres (lenteur précautionneuse).

Remédiations

Pour garantir l’atmosphère bienveillante, venir à deux animatrices pourrait permettre à l’une d’accueillir, rappeler les règles, le fonctionnement, tandis que l’autre pourrait s’occuper de conduire la discussion. Il serait aussi possible d’avoir un petit panneau avec des règles de bases qu’on pourrait brandir, quand elles ne sont pas respectées et qui serait visible pour les nouvelles personnes. Cela nécessite quand même que les participant·e·s sachent lire.

Pour aller plus loin dans le développement de l’estime intellectuelle de soi, les enregistrements audio pourraient constituer des matières pour des montages audios diffusés sur une radio locale ou simplement ré-écoutés lors d’un prochain atelier. L’utilisation du micro peut aussi être utilisé de manière factice (sans enregistrement) simplement pour amener une certaine solennité.

En inscrivant cette pratique sur une durabilité plus longue, comme une année entière, à raison d’une fois par semaine par exemple, il se pourrait que la philosophicité soit plus opérante. Il y a sur le terrain d’aventure, une habitude de clôturer l’après-midi par une assemblée, entre le rangement et le goûter. Dans la même idée, pourrait être institué le temps philo, où l’on rassemblerait les enfants présents. Cela impacterait la dimension volontaire, mais pourrait correspondre à une exigence d’implication pour participer à cette aventure. C’est une des pistes formulées par l’animatrice référente lors du bilan.

Tentative de répondre à la problématique

C’est dans la présence répétée que peut se construire un cadre propice à la philosophicité, les enfants sachant ce qui est attendu peuvent oser participer et respecter les « règles du jeu », s’engager dans l’exercice de la pensée. Même s’il n’y a pas de continuité vraiment possible, il y a un « habitus » (Bourdieu, 1967) qui peut se construire et avoir des effets sur l’appropriation des gestes philosophiques.

5.4.Mouvement et circulation libre

Questionnements, hypothèses

Peut-on mener une discussion alors que les enfants vont et viennent librement ? Faut-il exiger une durée d’engagement pour entrer dans l’atelier ? Les enfants peuvent-ils être attentifs et poser leur pensée alors qu’il y a du mouvement autour d’eux ? Le groupe est-il indispensable pour aller vers une philosophicité ? Faut-il aller vers les enfants ou les laisser venir ?

Expérimentations

Avec le fonctionnement instauré, de libre circulation, il arrivait que je passe de longs moments avec un seul enfant. Sans attendre qu’un groupe se fasse, j’animais des sortes de dialogues philosophiques avec un seul enfant. Avec Maya, c’est arrivé plusieurs fois. Parfois, nous allions chercher les autres avec des moments d’interviews qu’elle menait. Par exemple pour collecter des associations d’idées autour du mot cabane. Elle se prenait vraiment au jeu et vouvoyait les adultes.

Maya : Bonjour, j’ai une petite question pour toi, si on dit le mot cabane, à quel mot tu penses ?

Rachid : maison

Maya : Bonjour, j’ai une petite question pour vous, si on dit le mot cabane, vous pensez à quoi ?

Léo : à arbre, je pense à arbre directement

Maya : Bonjour, j’ai une question pour vous, si on vous dit le mot cabane, vous pensez à quoi ?

Quentin : heu… avant tout à un abri finalement, question de survie, pour fabriquer pour la nuit par exemple, ou… se rassembler autour d’une cabane c’est bien aussi

Maya : merci pour votre question… heu… pour votre réponse Quentin : de rien pour la question

Il y a eu aussi plusieurs moments collectifs, qui duraient en moyenne 20 minutes. Parfois ça commençait à deux, puis d’autres se rajoutaient. C’était les moments qui ressemblaient le plus à des ateliers philo tels que je les connaissais. Là les enfants se confrontaient, pouvaient interagir, d’accord, pas d’accord… il y avait une mini communauté (rarement plus de 6 enfants) dans un temps court. J’intervenais beaucoup, pour recentrer la discussion, les amener à préciser leur pensée, à problématiser. Leur capacité d’attention était limitée et en même temps, il fallait du temps pour qu’une amorce philosophique puisse se faire, souvent c’était juste au moment où ça prenait qu’ils partaient. Lors d’un atelier, une enfant m’a demandé d’installer une petite tente (3 places) qui faisait partie du matériel du site du terrain d’aventure. Les enfants se posaient à l’intérieur et moi je restais dehors avec le matériel, visible pour accueillir des potentiels nouveaux venus.

Il y avait aussi un phénomène de « disparition », les enfants pouvaient être là, bien présent, puis

« disparaître » subitement, aller chercher une chose, retrouver un autre enfant… Il arrivait que ce soit des petits groupes de 3 ou 4, et quand l’un e décidait de partir, les autres suivaient. Alors il fallait que je reste mobilisée pour les autres ou pour le seul enfant qui restait, et que j’accepte l’inachevé avec ces « disparu·e·s ». Parfois, ils revenaient plus tard et reprenaient la discussion en route. Lors du dernier atelier il n’y avait que trois enfants, j’ai animé un débat mouvant sur la liberté, au bout de 15 minutes, Kaïs est parti en criant « je démissionne ! » pour aller vers d’autres jeux.

Analyse

On voit dans ces exemples toute la complexité de ce contexte en mouvement, où il a été très difficile de constituer des groupes. Disons qu’il y a eu des « moments de groupe » furtifs, et que ces groupes pouvaient se composer et se décomposer à chaque instant. Cette donnée rend vraiment compliqué l’engagement nécessaire dans une réflexion collective. Sans rester du début à la fin de la discussion les enfants n’étaient pas véritablement confrontés à la complexité de la pensée, ni à l’épreuve de voir son idée modifiée. Il y a aussi une perpétuelle agitation autour d’eux qui empêche le cadre sûr, à tout moment la discussion peut être interrompue. Cette agitation s’oppose aussi à la lenteur précautionneuse qui pourrait permettre d’affiner sa pensée, prendre le temps, se poser. De plus les sollicitations sont nombreuses (encore plus dans l’atelier de rue) ce qui incite à rendre « l’activité » attrayante et aussi ce qui rend difficile la concentration. Des discussions ont cependant eu lieu, étant parfois seulement axée sur la recherche conceptuelle, mais témoignant d’une ouverture d’esprit et d’un sincère étonnement.

En revanche, les moments avec un seul ou deux enfants, étaient plus favorables pour prendre le temps de clarifier un argument, de chercher les problèmes, de formuler des questions. La relation duelle permettait d’avancer étape par étape sur le chemin de la pensée de l’enfant, sans qu’il soit interrompu par les remarques des autres. Par contre, il nous manquait la confrontation avec les autres. Bien qu’on ait pu aller chercher des mots pour élargir la conceptualisation, à travers les moments d’interviews, il ne s’agissait pas de contre-arguments.

Ma posture était très interventionniste, du fait que le groupe soit très fluctuant, il était nécessaire de diriger pour garder un cap et lorsque j’étais la seule interlocutrice, il fallait bien, au moins que je pose les questions. Les discussions restaient souvent en suspens, sans véritable conclusion ou réponse à la question. J’avais moi aussi du mal à fixer mon attention, il fallait être à la fois avec ceux qui étaient présents et être attentive à ceux qui pouvaient débarquer, pour discuter ou non…

Remédiations

Ici encore, travailler en duo, pourrait permettre de mieux mobiliser les fonctions d’animation à la discussion chez une seule personne, pendant que l’autre assure le reste des besoins. Cela améliorerait peut-être la capacité d’attention à la discussion.

On pourrait aussi expérimenter d’exiger une durée minimale pour participer, se poser, afin de limiter les mouvements permanents.

Avec l’entrainement et une durabilité plus longue, mon positionnement pourrait être différent, je suppose que je pourrais confier des rôles ou du moins laisser plus d’autonomie.

Relatif aussi à la question d’espace, il pourrait y avoir une délimitation plus opérante que le tapis qui exigerait qu’on puisse seulement entrer avec la volonté de participer. Une tente permettrait aussi de limiter la déperdition d’attention, pour fabriquer comme une bulle. Cependant, une telle installation peut aussi constituer un attrait pour le contenant et non pour le contenu.

Les moments d’interview pourraient être construits autour d’un argument posé par l’enfant, que l’on va confronter à d’autres arguments « untel pense ceci parce que… et toi qu’en penses-tu ? », l’enfant enquêteur pourrait disposer d’une série de questions de relance reliées à l’argumentation.

Tentative de répondre à la problématique

Il semblerait que pour qu’une philosophicité apparaisse, il faut pouvoir supporter quelques contraintes permettant la structuration de la pensée, comme le fait de se poser un certain temps, parce qu’une véritable réflexion ne peut pas se faire en 5 minutes. Décortiquer une idée, la formuler clairement, donner des exemples, chercher les problèmes, tout cela exige un certain temps.

L’articulation avec les autres, leur pensée, demande encore plus de temps mais enrichit la réflexion.

Pour éprouver l’altérité, le groupe ou une forme de confrontation avec d’autres est nécessaire.

5.5.La question des thématiques

Questionnements, hypothèses

Quels thèmes peuvent les intéresser ? Faut-il partir des grandes questions existentielles ou de leurs préoccupations actuelles ? Est-ce que je dois leur donner le choix ou leur imposer des thèmes ? Y a-t-il des thèmes qui peuvent plus facilement conduire vers une philosophicité ?

Expérimentations

J’ai animé mon premier atelier sans thème déterminé à l’avance, j’avais amené plusieurs supports, mais je ne m’étais pas vraiment préparé à une thématique. C’est une situation que j’ai déjà évoquée plus haut sur la question du nom. Après un moment de flottement suite à mon installation, je m’approche de deux adolescentes habituées de la Maison phare, qui préparent le goûter : des beignets qu’elles font frire. Je m’installe près d’elles et leur propose de commencer une discussion que j’enregistre. Je leur demande de quoi elles aimeraient parler, sans réactions de leur part, je leur suggère la cuisine, mais finalement l’une d’elles propose la religion. La fête de l’Aïd vient de passer et elle commence par évoquer une situation où l’une de ses profs lui a fait des remarques par rapport à ses habits (robes longues). La discussion dure environ 30 minutes. Dans une démarche de généralisation progressive, nous avons cherché ensemble à reformuler la question de départ qui était : « pourquoi des profs nous font des remarques sur l’habillement ». Pour finir par : « pourquoi on a des choses à cacher ? »

Pour les autres ateliers, j’ai choisi les thématiques à partir de mes observations et de ce que je présupposais pouvoir intéresser les enfants dans ce contexte. Des sujets qui concernaient leurs activités (pourquoi on joue ? C’est quoi l’aventure ? Pourquoi construire des cabanes ? Grandir, on aime ou pas ?), leur environnement ( Quels sont les liens entre Humains et Nature ? Faut-il prendre des risques ?) et des questions existentielles (C’est quoi penser ? La liberté est faire tout ce qu’on veut ?). Les questions étaient plutôt d’ordre conceptuel, mais dans la discussion surgissaient d’autres questions plus problématisantes, comme :« les chefs peuvent-ils être virés ? » donnant lieu à une argumentation à deux voix :            

Alba : s’il fait beaucoup de bêtises…

Nina : tu peux donner un exemple de bêtises ?

Alba : s’il est pas responsable de ce qu’il sert ou de ce qu’il gère, bah il est viré Mélissa : un chef on peut le virer s’il est pas là depuis plusieurs jours,

Nina : donc l’absence

Mélissa : oui, aussi l’attitude, s’il est méchant avec nos patients, heu… nos clients, s’il est irrespectueux avec nos clients, s’il dit « tiens ton café » ou si quelqu’un demande un café et lui il donne une tisane…

Nina : ha oui, s’il se trompe, s’il fait des erreurs ?

Mélissa : non, s’il le fait exprès, s’il l’a pas fait exprès c’est OK

Alba : aussi s’il respecte pas la nourriture, s’il dose pas bien le sucre, ou s’il en met trop, il gaspille

Nina : oui, le gaspillage

Alba : bah, c’est pas bien, c’est détestable, c’est pas bien de gaspiller, c’est détestable. Aussi par exemple si un chef, il répond à quelqu’un par des insultes, ben c’est pas bien. La dernière fois, y a eu des voleurs, c’est pas bien, moi je les ai disputés, je les ai bien grondés, mais y’avait des chefs, ils ont insulté leur mère. Moi j’ai dit « toi, t’es viré ».

Nina : donc l’insulte, le non-respect des autres, ce serait vraiment une raison de virer un chef.

Mélissa : oui aussi si y a une personne elle demande une tisane et que le chef il la boit, c’est pas bien.

Analyses

On peut supposer que l’inconnu, le cadre informel et l’hésitation m’ont poussé à vouloir improviser. Sans que les participant es connaissent la pratique des ateliers, leur proposer de choisir un thème m’a semblé risqué. Ici j’ai été assez désarçonnée par le choix des jeunes filles, mais en les écoutant j’ai pu comprendre qu’il correspondait à une préoccupation concrète. Ce qui correspond au principe intrinsèque de motivation, développé par Dewey puis par Lipman, ainsi, « l’activité éducative doit se placer dans l’exacte continuité de l’expérience enfantine, de ses intérêts et aspirations » (Hawken, 2019). Pour autant je ne me sentais pas vraiment prête à explorer une question socialement vive (QSV), encore moins sur le sujet de la religion. J’ai donc pris le parti de les guider pour expérimenter la problématisation, via la reformulation des questions, à partir de l’approche de la réfutation socratique. Comme Socrate, je me positionnais comme ignorante (ce qui était vrai concernant l’islam) et jouais d’un questionnement incessant visant à mettre à jour une sorte d’ « ignorance ». J’avais véritablement le sentiment d’être un « taon qui agace et titille » (Platon, 399 av.J-C). Du fait que j’interrogeais leurs croyances, elles auraient pu me rejeter, mais bien qu’elles puissent être dérangées, elles ont persévéré. Ceci étant, je n’avais pas envie de me confronter au même malaise. Il me semblait aussi que mon exploration au préalable d’une thématique ou d’une problématique pourrait me permettre de mieux improviser et d’être plus à l’écoute.  J’ai donc assumé le fait de choisir les thématiques à l’avance, de préparer mes ateliers, mes supports, ce qui me donnait en quelque sorte un cadre.

Pour ce qui est des questions-titres posées en début d’atelier, elles donnaient parfois lieu à de simple catalogue de réponses, mais cela a permis aussi de nuancer les représentations. La question de départ très axée sur la conceptualisation « c’est quoi l’aventure » avait tendance à limiter la réflexion à ce stade dans un premier temps. Quand les enfants « entraient » dans la discussion, il y avait des problèmes soulevés et cela entraînait d’autres questions que je pouvais leur poser. On peut avoir ici, une argumentation des raisons qui peuvent pousser à virer un e chef fe.        

Remédiations

L’observation et la discussion avec les animateur ices référent·e·s de la structure pourrait permettre de déceler quelques préoccupations prégnantes capables d’orienter le choix des thématiques.

La boîte à questions que j’avais mise en place aurait aussi pu être une source d’inspiration, mais elle nécessite des explications sur ce qu’est une question philo, soit un temps que je n’avais pas. Par contre, on peut supposer que dans la durée, les enfants saisissent mieux les attendus et puissent proposer des questions philosophiques. Restera encore le problème que les enfants ne soient pas là le jour où l’on pose la question qu’ils ont proposée.

La piste de l’improvisation requiert d’être suffisamment à l’aise avec les notions philosophiques pour réussir à explorer toutes les pistes soulevées par les participant·e·s. Ou de se concentrer sur une habileté de pensée, comme la problématisation ou la reformulation, en verbalisant : « aujourd’hui on ne répondra pas à la question, mais on va s’entraîner à… »

Tentative de répondre à la problématique

Si le cadre informel des ateliers philo hors les murs nécessite une certaine improvisation, il n’empêche pas de préparer son atelier dans le but d’atteindre la philosophicité tout en s’adaptant à ce qui émerge. Que ce soit les thématiques, les supports, les questions de relance, toutes ces préparations vont permettre aux participant·e·s de prendre de la distance par rapport à leur vécu, d’universaliser leurs questionnements et d’utiliser une méthode pour y répondre. Choisir la thématique, c’est proposer un cadre de réflexion dans lequel les enfants seront libres d’exprimer leur pensée. En proposant des thématiques autour de mots, on risque de stagner autour de la conceptualisation, alors que si on propose une question problématisante, où il y a une tension, les participant es seront rapidement motivé es à apporter des arguments. 

5.6.Approches et postures

Questionnements, hypothèses

Y a-t-il des approches plus opérantes pour garantir une philosophicité ? Faut-il répéter une approche plusieurs fois pour que l’on s’y sente à l’aise ? Doit-on signifier qu’on change d’approche ? Quels objectifs peut-on avoir ? Est-ce que l’utilisation de supports aide à aller vers une philosophicité ? Lesquels sont les plus opérants ? Peut-on apporter du contenu philosophique ? La posture est-ce une forme de cadre ? Comment la posture peut conduire vers une philosophicité ? La posture doit-elle toujours être la même ou peut-elle évoluer au fil du temps et des aléas ?

Expérimentations

J’ai pu m’inspirer de l’approche de la CRP en l’adaptant, puisque la « communauté de recherche » au sens Lipmanien n’est vraiment possible qu’avec un groupe. Cependant, lors d’un moment en duo avec Maya, le procédé y ressemblait fortement, avec la lecture d’un album, Un jour Parfait, la formulation d’une série de questions : « Est-ce que l’aventure se prépare ? Est-ce que l’aventure c’est toujours un voyage ? Est-ce que l’aventure c’est forcément dangereux ? Estce que l’aventure c’est un défi ? Est-ce qu’il y a des bonnes et des mauvaises aventures ? Est-ce que l’aventure c’est toujours rencontrer quelqu’un ? ». Elle a choisi une première question, puis a commencé une argumentation : « l’aventure c’est quelque chose que t’as envie de faire, qui se poursuit, qui se départ par quelque chose et que ça finit par quelque chose ». En donnant un exemple : « imagine ton projet, c’est de partir en Espagne. Ben, tu départ par… par économiser de l’argent et après pour terminer, t’es en Espagne et tu t’amuses ». Elle a même pu imaginer ce que les autres pourraient penser :  « pour moi l’aventure ça se fait seul, parce que je pense qu’y a certaines personnes qui vont se dire… enfin je suis pas dans leurs têtes…mais y’a qui se diraient, ça se fait à plusieurs ! ». Pour finir, elle a essayé une métaphore : « une aventure c’est aussi créer quelque chose, par exemple, une personne qui dit toujours « je veux toucher les étoiles », et son aventure c’est de faire plein de choses et chaque chose elle appelle ça une étoile, et pour elle c’est une aventure. » Ensuite, d’autres enfants nous ont rejoint, et c’est elle qui posait les questions qu’elle avait formulées, que j’avais écrites.

Je me suis aussi beaucoup inspiré de la réfutation socratique, en menant des dialogues à destination d’interlocteur ices privilégiées (un ou     deux enfants), notamment dans le tout premier atelier autour de la religion et d’un interdit. Mes questions pour tenter de remettre en question ce qui leur paraissait évident étaient : Et tu sais pourquoi ? Et pourquoi c’est pas bien ? Est-ce qu’il y a une explication ? T’es-tu déjà posé la question, pourquoi c’est interdit ? Ça te questionne pas pourquoi ? Est-ce qu’on peut imaginer qu’il y aurait une raison ?

Lors du dernier atelier, construit autour d’un débat mouvant à propos de la liberté. Il y avait trois enfants, Maya, Mélissa et Kaïs (son petit frère). C’était le dernier jour où j’intervenais. Hélène l’animatrice référente n’avait pas laissé le choix aux enfants de participer, « c’est le dernier jour où Nina est avec nous, alors vous y allez ! ». J’avais préparé des affirmations écrites sur des petits papiers, installé une corde et disposé d’un côté un panneau « Je suis d’accord » et de l’autre « je ne suis pas d’accord ». J’ai pris le temps de leur expliquer le dispositif du débat mouvant, sous forme de jeu : on doit toujours argumenter sa position, on a la possibilité de changer de côté en écoutant les arguments des autres (et en expliquant pourquoi). Les enfants piochaient des papiers et je les interrogeais. Kaïs a bien participé mais au bout de 10 minutes, il est parti, en criant « je démissionne ». Les deux plus grandes (10 ou 11 ans) sont restées près de 45 minutes. Elles ont notamment discuté de l’affirmation « c’est l’argent qui rend libre ». Mélissa a commencé en argumentant que l’argent peut nous aider à subvenir à nos besoins : « avec l’argent, on peut, s’acheter des choses, alors que sans argent, on peut pas s’acheter. Par exemple, les produits d’hygiène, les gels douche et tout, ben sans l’argent on peut pas se l’acheter. Et la nourriture, aussi, bon après ça on peut trouver dans la nature aussi. » Elle a ainsi fait une connexion entre

« bien être » et « liberté ». Maya était de l’autre côté de la ligne, et a d’abord utilisé un adage :

« moi je suis pas d’accord, parce que… comme on dit l’argent fait pas le bonheur… ben, tu peux… on va pas dire vivre sans argent, mais tu peux être libre sans avoir de l’argent entre les mains ». Je leur ai demandé de donner des exemples de situations où elles se sentaient libres sans dépenser d’argent, elles ont évoqué « l’imagination, la liberté de parler » et Mélissa à qui je venais de faire remarquer qu’elle changeait de côté de ligne a repris : « ben après avec l’argent t’es mieux, t’es plus libre, tu peux faire plus de trucs, d’activités, mais là on a pas payé ». « Là » signifiait le terrain d’aventure. Pour argumenter, elles on dit ensemble : « ben on peut faire un peu ce qu’on veut, on est autonome, on peut faire de la balançoire, on peut bricoler, on peut jouer, on est libre… ». Donc cette fois, elles utilisent le concept d’autonomie. Je leur rappelle qu’elles avaient mentionné l’existence de règles sur le terrain, et je leur demande « et ces règles ça vous empêche pas d’être libre ? » elles ont répondu unanimes, « non ». On est passé à un autre papier ensuite.

Pour ce qui est de l’approche ARCH, je ne l’ai pas vraiment mise en place, mais je m’en suis inspiré pendant un moment lors de l’atelier sur les cabanes, sans pour autant utiliser ni le bâton de parole, ni le micro. J’écrivais seulement leurs propositions au fur et à mesure sur le cahier. La question avait été posée par un enfant, je l’ai simplement redite.

Nina : Est-ce qu’une cabane peut être une maison ?

Rina : les maisons c’est pas dans les arbres

Rayan : dans une cabane y a pas de toilette

Ayem : une cabane c’est dans la nature, pas en ville

Rina : oui mais y a la cabane pour les petits dans la maison, dans le jardin

Ayem : et aussi les cabanes qu’on fait avec les draps

Rayan : une cabane c’est que pour les enfants

Rina : non c’est pour tout le monde

Ayem : ici dans les cabanes ‘y a des règles, faut demander la permission à qui l’a construite…

Analyse

On constate dans ces exemples que certains ateliers ont privilégié une approche plutôt qu’une autre, mais en fait, comme il y avait plusieurs moments, j’ai surtout mélangé les approches et les postures.

Le support album jeunesse permettait d’ouvrir la pensée d’un enfant seul, mais aussi de canaliser quand il y avait un groupe. La cueillette de questions a été là un véritable objectif « je vais lire l’histoire et tu vas me dire toutes les questions que ça peut te poser ». Ainsi Maya est entrée pleinement dans l’habileté de problématiser. On voit ici aussi que l’absence d’autres participant·e·s peut être comblée par « l’invocation » d’autres et venir nous aider à imaginer les contre-arguments possibles. Même si ici Maya ne va pas aussi loin, elle l’imagine.

Le débat mouvant lui ne s’appuie sur aucun support, mais par sa forme il favorise plusieurs marqueurs de philosophicité. Ainsi, la nécessité de se placer d’un côté ou de l’autre, impose une certaine lenteur, du moins un temps réflexif. Ensuite, en commençant sa phrase par « je suis d’accord parce… » ou « je ne suis pas d’accord parce que » les enfants entrent facilement dans la recherche d’arguments, il faut parfois les aider à les affiner, mais globalement, ils saisissent bien le geste philosophique. En ayant la possibilité de passer d’un côté ou de l’autre, les enfants perçoivent que leurs idées peuvent bouger, s’influencer et cela les incite à écouter les arguments des autres. On remarque les liens notionnels que font Mélissa et Maya, comment elles ont pu à la fois être dans la confrontation d’idées et se nourrir, s’influencer des idées de l’une et de l’autre. Mes questionnements dans cet extrait poussent uniquement à donner des exemples ou clarifier les liens entre leurs arguments et l’affirmation de départ. J’aurai pu continuer d’interroger le lien entre liberté et règles, mais le format jeu du débat mouvant implique aussi une certaine dynamique. Le fait qu’il se présente comme un jeu est un atout considérable, d’autant plus qu’il mobilise le corps et induit des déplacements. J’ai utilisé d’autres jeux, comme la roue des jeux ou la toise pour « Grandir » qui ont moins accroché les enfants lors des ateliers de rue.

Concernant la DVDP, je ne m’en suis pas du tout inspiré, la mise en place me paraissait trop formelle pour ce contexte.

Ma posture est restée celle de non-sachante et j’ai remarqué que les enfants n’attendaient pas de réponse de ma part, ou n’étaient pas dans la recherche d’une réponse attendue.

Remédiations

Je pourrais essayer la forme DVDP en donnant des rôles, j’avais pensé par exemple au rôle de l’avocat du diable (proposé par J. Hawken dans 1,2,3 pensez !), ou bien au reformulateur. Ces rôles peuvent être facilement mis en place, ils donnent un caractère engageant et en même temps, on peut passer le relais à un autre enfant.

Tentative de répondre à la problématique

Pour favoriser la philosophicité dans les ateliers hors les murs, on peut s’appuyer sur des procédés issus des différentes approches. Cela donne une forme et aide à conduire la discussion. De plus en formulant des objectifs clairs, comme « on s’entraîne à problématiser » ou « on laisse les idées des autres nous influencer » ou encore « on répond à une seule question », la visée philosophique de la discussion sera plus opérante.

5.7.Synthèse de mes analyses

En me plaçant dans l’environnement de jeu des enfants, j’ai pu à la fois leur donner une occasion de penser leur vécu tout en universalisant leurs questionnements. Étant extérieure et non référente, ils détenaient un savoir expérientiel qui me plaçait d’emblée dans une posture « ignorante ».

L’hésitation de nommer mon action « atelier de philo » s’est finalement transformé en une nécessité de nommer les gestes philosophiques, que ce soit en amont lors de la présentation, en cours de route, pendant la pratique, ou à la fin dans un retour sur ce qui a été vécu. L’important étant de transmettre l’art de philosopher.

Le cadre informel m’a posé un certain nombre de difficultés et d’inconforts, mais j’ai pu mesurer la puissance de la ritualisation qui constitue en soi une forme, et la possibilité de poser les limites au fur et à mesure, pour garantir l’atmosphère bienveillante. Un processus de formalisation a pu se faire par la répétition des rendez-vous et des repères donnés.

Concernant ma posture, j’ai dû être à la fois très interventionniste pour conduire les enfants dans la manipulation des habiletés de pensée. L’absence de groupe constitué, m’a obligé à expérimenter des formes minimalistes ou des dialogues à deux et à saisir les moments collectifs. Cela m’a demandé une attention constante, une adaptation et une souplesse permanente. J’ai pu comprendre ce qu’on appelle « l’art de saisir l’occasion » et la nécessité d’improviser.

Il y a des marqueurs philosophiques qui ont été plus ou moins opérants, certains comme la lenteur précautionneuse, exigerait des aménagements différents.

6. Conclusion

Il est temps de répondre à ma question initiale : quelle philosophicité est possible dans la pratique hors les murs ?

Il m’a semblé à travers cette courte expérimentation, que les enfants peuvent être volontaires pour l’exercice de la pensée en dehors du cadre scolaire, en dehors d’une institution, en dehors d’une volonté parentale. La pensée peut s’inviter sur le terrain de jeu et devenir un apprentissage informel. Je ne peux pour autant pas affirmer que cela contribuerait à inciter les enfants à s’impliquer dans des ateliers philo plus formels, il faudrait un temps plus long pour observer ce genre d’impact.

Je reconnais que la pratique philosophique hors les murs comporte de nombreux freins à la philosophicité, comme la difficulté à se poser, à prendre le temps de penser et à faire groupe. Cependant, l’exigence philosophique peut être soutenue par l’utilisation d’un panel de procédés issus des diverses méthodes et en adoptant une posture rigoureuse (attention, adaptation, improvisation). Il me semble aussi que la mise en place d’aménagements innovants pourraient y contribuer.

Enfin plus que tout, l’inscription dans un temps long serait nécessaire. Ainsi la ritualisation prendrait tout son sens et favoriserait l’appropriation d’une méthode philosophique par les enfants. C’est ainsi que l’ambition de démocratiser la pratique philosophique pourra se faire, en complémentarité, dans l’école et hors de l’école.

Rendre la philosophie accessible c’est aussi rejoindre la visée émancipatrice qui m’est chère et qui m’a conduit à mener ce projet en lien avec une structure de l’éducation populaire.

Aussi, je souhaite poursuivre ces « tentatives », ces « approches », qui n’ont pas la prétention d’atteindre une philosophicité aboutie, mais dont l’intention est de donner goût et d’ouvrir l’appétit.

Et comme la philosophie est ce questionnement incessant, je m’attèlerais à explorer des questions qui ont surgi au cours de cette réflexion : Qu’est-ce qui favorise l’émancipation dans la pratique d’ateliers philo ? Peut-on conjuguer le plaisir et la rigueur de penser ? En quoi le volontariat et l’agentivité peuvent favoriser la philosophicité ?

7. Bibliographie

Dolto F., Tout est langage, 1987 ; 2002, p.43

Wagnon, Patry, Depoil, 2021,  Des terrains d’aventure pour redessiner la place des enfants en ville,  The conversation, 6 mai 2021

Arendt H., Qu’est-ce que la politique ?, Seuil, 1993 ; 201, p.153

Herla A. ( 2015). Synthèse d’une discussion en séminaire sur les conditions de possibilité du dialogue philosophique,Diotime n°63,

Budex C.(2022). Les dérives possibles de la discussion à visée philosophique, Diotime n°90 Tozzi, M. (2018). Développer le jugement moral et la citoyenneté des élèves par la DVDP. Spirale, 62

Tozzi, M. (2020). Quelques indicateurs des processus de pensée pour une visée philosophique de la discussion, Diotime n°84

Hawken, J.(2019) - 1…,2…,3…, Pensez ! Philosophons les enfants !

PhiloCité (2020). Philosophie par le dialogue - Quatre méthodes, Vrin, p.147

Queval, S.(2017). La philosophie dans la cité grecque, Diotime n°72

Rancière, J. (1987). Le maître ignorant

Habermas J. (1997), Droits et Démocratie, ch 7

Chirouter, E. (2022)  Philosopher avec les enfants    : Un enjeu politique, un enjeu pour l’émancipation, Diotime 92

Hawken, J. (2024) -  Philolala, guide pour animer des ateliers phil autour de la diversité linguistique et culturelle

Boimare, S. (2008) - Ces enfants empêchés de penser

Brougère G. (2002). Jeu et loisirs comme espaces d’apprentissages informels - Cairn - 2002 - 2, p.5

Galichet, F. (2022) - La philosophie avec les enfants, un paradigme pour l’émancipation entre reconnaissance et résonnance,o.col.dirigé par Chirouter E., p.80

Maurel, C. (2000). Éducation populaire et puissance d’agir. Les processus culturels de l’émancipation, Paris, L’harmattan, p.20

Ott, L. (2011) - Pédagogie sociale, Une pédagogie pour tous les éducateurs

Lepinay A. (2015)  « Édito : Partout l’éducation populaire », Alternative Libertaire, dossier spécial « Éducation populaire, la liberté », n° 252

Christian Budex - diotime n°90

Platon ( 399 av. JC), Apologie de Socrate

Bourdieu P.  (1967)

8. Annexes

Annexe 1 : Tableau des marqueurs de philosophicité

Le processus de conceptualisation : il s’agit de se représenter l’idée ou l’objet (matériel ou

H

mental), de partir du réel puis d’en dégager une vision abstraite, de déterminer ses contours, ce

1                     qu’on en connaît, de tenter de définir, d’exemplifier, nommer les éléments qui le composent, décrire ses attributs, préciser ses spécificités, ce qui le distingue. C’est en fait, sortir du langage commun, interroger l’écart entre “le mot et la chose”, observer la polysémie. Ceci est souvent un préalable, qu’on puisse s’entendre sur les mots avant d’entrer dans une discussion, de soulever des problèmes, mais c’est en réalité déjà une discussion et le concept “prend sens par le problème qui le travaille”.

Le processus de problématisation : c’est avant tout se poser des questions, s’interroger, s’étonner.

Une question sera philosophique, si elle demande une réflexion, n’aura pas de réponse immédiate

2                     et pourra toujours être remise en question, qu’elle doit concerner tout le monde, sinon beaucoup de monde (pas réservé à un cercle fermé), et elle renvoie à notre existence humaine. Il sera difficile d’y répondre. On pourra questionn

TABLEAU MARQUEURS PHILOSOPHICITÉ

er la question, les présupposés qu’elle comporte, sa formulation.  Il s’agit aussi dans la problématisation, de mettre en doute ses opinions, certitudes et celles des autres. C’est en fait, chercher quels sont les problèmes qu’on peut soulever autour d’un concept, d’une notion.

Le processus d’argumentation : c’est un raisonnement destiné à prouver ou justifier une

3             affirmation. Il cherche à répondre à un problème posé, il commence souvent par le connecteur “parce que”. Contrairement à l’argument rhétorique qui cherche à convaincre, l’argument philosophique a pour objectif d’approfondir sa pensée. En ce sens, il ne relève pas d’une certitude, mais provient d’une hypothèse, une supposition, une spéculation. Il nécessite de clarifier, d’expliciter, de mettre en cohérence ses idées, de relier des concepts utilisés entre eux. Les arguments s’articulent autour d’une démonstration, qui peut s’appuyer sur des exemples, suite à quoi ils sont examinés, on vérifie leur validité, on teste leur force, leur faiblesse. Il existe plusieurs types d’arguments qu’on peut vouloir rejeter, parce qu’illogiques, d’autorité, fallacieux, irrationnels, etc.

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Données extraites des ouvrages : Tozzi, M. (2020) - Hawken, J.(2019) - PhiloCité (2020)


4

5

L’ouverture d’esprit: cela correspond à la capacité à accueillir les idées des autres, à les voir comme complémentaires, contribuant à la réflexion collective. Sentir que nos idées peuvent être influencées et nuancées. Il s’agit de pouvoir “mettre en pause” son jugement “pour donner une chance à l’idée divergente”.

La lenteur précautionneuse: c’est accepter de rompre avec le rythme habituel, prendre le temps de “penser l’humanité”. Cela implique de ralentir, c’est aussi une exigence pour que la prise de parole soit un cheminement, un “processus de pensée” qui se fait avec “délicatesse, subtilité et

6

justesse”. Il convient aussi de laisser la place au silence. Le fait de se poser, par le corps et la pensée.

Le développement de l’estime intellectuelle de soi: il est essentiel de reconnaître l’enfant comme « interlocuteur valable », capable de penser, de porter une parole sur le monde, en tant qu’humain parmi les humains. En leur donnant cette légitimité, les succès cognitifs auront des effets indubitables et durables sur l’estime de soi. C’est aussi parce que les enfants se confronteront à la complexité, à la difficulté de résoudre des problématiques, qu’ils s’estimeront fiers d’avoir parfois

 

réussi, et même parfois rejoindront par leur pensée des philosophes de tous les temps.

7

L’atmosphère bienveillante et pluraliste: construire des espaces protégés du monde où l’on peut se sentir en sécurité pour penser, discuter, exprimer sa singularité, découvrir l’altérité. La pluralité, les divergences, les désaccords peuvent ici exister, il s’agira de dédramatiser, pour les laisser s’exprimer en toute sérénité. La création d’un espace d’expression se doit d’offrir des droits et des

 

limites, pour que cela soit fructueux pour le collectif.

8

Saisir le Kairos philosophique c’est à dire le moment opportun, propice. C’est en fait “pratiquer “l’art de l’occasion” et de s’atteler à débusquer et travailler tout se qui pose problème ou question dans l’exercice philosophique proprement dit.” Ce qui nécessite de se détacher de sa préparation, ne pas vouloir mener le groupe quelque part, faire le deuil d’une maîtrise, sans toutefois ne jamais renoncer à animer le groupe, l’accompagner pour activer les processus de pensée.

9

Se positionner comme "maître ignorant" (J. Rancière) pour faire circuler le désir de penser des participant es sans être dans la recherche de la bonne réponse. “La seule vraie transmission du “maître” tient donc à l’art même de philosopher, c’est à dire de se questionner sans fin sur la vérité de ce que l’on pense.” Ainsi par la pédagogie du dialogue, l’animateur ice invite à intérioriser ce dialogue critique de la pensée, devenir autonome pour problématiser ses propres idées.

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Données extraites des ouvrages : Tozzi, M. (2020) - Hawken, J.(2019) - PhiloCité (2020)

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Annexe 2 : Schémas des marqueurs de philosophicité





Annexe 3 : Fiche de préparation d’un atelier

 LA Liberté – terrain d’aventure

PUBLIC (âge-nbre) : 7-14

DURÉE : ?

LIEU : terrain d’aventure

ORGA SPATIALE

(cercle, rôles..)

 OBJECTIFS GÉNÉRAUX

  écouter et prendre la parole / échanger des idées / réfléchir à plusieurs à un thème / poser des questions / se sentir capable de penser (par soi-même) / affirmer sa pensée en argumentant / oser dire qu’on n’est pas d’accord /

 MATÉRIEL

corde pour débat mouvant

Albums : Chèvre de Mr

Seguin

texte : Anneau de Gygès

 

      DÉROULÉ

1.       débat mouvent

2.       Si… Alors

3.       Photolangage

4.       lectures

5.       écriture d’aphorismes inspirés de la discussion pour conclure

MOTS CLÉS (notions-

valeurs)

Responsabilité – désir – limites – éthique – conséquences -

 

 RESSOURCES UTILISÉES

SUPPORT 1

 

Débat mouvant : Affirmations sur la liberté

- chacun son tour pioche une affirmation, temps de réflexion, positionnement autour de la corde, argumentation, changement de côté ?

   SUPPORT 2

Si … Alors Conséquences de la privation d’une liberté papier à piocher (type de liberté) puis faire deviner aux autres. Si je n’avais pas cette liberté alors….

SUPPORT 3

Photolangage Chaqun choisit une image qui représente le plus la liberté

SUPPORT 4

Albums :

Chèvre de Mr Seguin, Mythe de Gygès   > et toi que ferais tu dans cette situation ?

 

                Questions conceptualisantes

          Questions Problématisantes

 Qu’est-ce que la liberté ? Donne des situations

Existe-t-il plusieurs types de liberté ?

La liberté est-ce un état physique, psychologique, un sentiment, un acte ?

Satisfaire tous ses désirs est-ce être libre ?

Être libre, est-ce avoir le choix ?

Quel lien entre la liberté et la responsabilité ?

Le contraire de la liberté ? Donne des situations

Est-on plus libre quand on est enfant ou adulte ?

Quel lien peut-on faire entre liberté et choisir ?

Quel lien peut-on faire entre liberté et responsabilité ?

 

 

La liberté existe-t-elle ?

Peut-on se sentir libre quand il y a des règles ?

Les limites à notre liberté sont-elles nécessaires?

Les règles viennent-elles toujours de l’extérieur ou peut-on s’imposer des règles à soi-même ? (lesquelles?) Que serait le monde sans interdits?

à quoi servent les règles ? Pourrait-on vivre sans règles ?

Peut-on être libre seul (ex. Robinson Crusoé) ?

Peut-on être libre ensemble ?

Choisit-on d’être libre ?

Devenons-nous libres ou Naissonsnous libres ?

La liberté peut-elle être une illusion ? Peut-on croire qu’on est libre alors qu’on ne l’est pas ?

La liberté peut-elle être une contrainte ? Comment l’autre conditionne-t-il ma liberté ?

 

Peut-on sacrifier sa liberté pour la liberté ?

 

Peut-on se sentir libre en prison ? Dans une dictature ?

 

Qu’est-ce qui peut nous permettre d’être libre ?

 

Peut-on s’empêcher soi-même d’être libre ?