ÉCOLE SUPÉRIEURE DU PROFESSORAT
ET DE L’ÉDUCATION
Diplôme Universitaire
Formation à l’animation d’ateliers de
philosophie avec les enfants et les
adolescents à l’école et dans la cité
Quelle philosophicité peut apparaître dans la pratique
hors les murs ?
Présenté par Nina Boulehouat
Sous la direction de Johanna Hawken
Août 2024
Table des matières
Introduction..........................................................................................................................................3
1. Contexte............................................................................................................................................4
1.1. Constats.....................................................................................................................................5
1.2. Questionnements,
hypothèses,
problématique..........................................................................6
2. Philosophicité,
de quoi parle-t-on
?..................................................................................................7
2.1. Un
terme
questionnant..............................................................................................................7
2.2. Risques
de
dérives....................................................................................................................7
2.3. Conditions
et
critères................................................................................................................8
3. Qu’entend-on
par hors les murs
?...................................................................................................10
3.1. Hors
les murs, c’est quoi, c’est où
?.......................................................................................10
3.2. Des
ateliers philo hors les murs, pourquoi
?...........................................................................11
3.3. Entre
formel et informel, limites et
intérêts............................................................................11
4. Quelles
résonances entre les nouvelles pratiques philosophiques et l’éducation
populaire ?........13
4.1. Les
nouvelles pratiques
philosophiques.................................................................................13
4.2. L’éducation
populaire.............................................................................................................13
4.3. La
visée
émancipatrice............................................................................................................14
5. Terrain
d’expérimentation pour tenter de répondre à la problématique : Quelle
philosophicité est
possible dans la
pratique hors les murs
?............................................................................................15
5.1. Cadre
général de
l’expérimentation........................................................................................15
5.2. La
question du
nom.................................................................................................................17
5.3. De
l’informel au formel : cadre, repères et
rituels..................................................................20
5.4. Mouvement
et circulation
libre...............................................................................................23
5.5. La
question des
thématiques...................................................................................................25
5.6. Approches
et
postures.............................................................................................................28
5.7. Synthèse
de mes analyses.......................................................................................................32
6. Conclusion......................................................................................................................................32
7. Bibliographie..................................................................................................................................34
8. Annexes..........................................................................................................................................35
Annexe 1 : Tableau
des marqueurs de
philosophicité...................................................................35
Annexe 2 : Schémas
des marqueurs de
philosophicité..................................................................37
Annexe 3 : Fiche de
préparation d’un
atelier.................................................................................38
Annexe 4 : Photos des
outils
utilisés.............................................................................................39
Annexe 5 : Pages du
cahier
géant..................................................................................................40
Annexe 6 : Extraits
de mon journal de
bord..................................................................................42
Annexe 7 : Verbatim –
Terrain d’aventure –
Liberté....................................................................44
Introduction
J’ai grandi dans un milieu populaire et j’ai
fréquenté beaucoup de structures socio-culturelles en tant qu’enfant. J’ai eu
la chance de rencontrer plusieurs adultes qui m’ont fait confiance, m’ont
permis d’oser et, a posteriori je dirais, qui m’ont considérée comme «
interlocutrice valable »[1]
(Dolto, 1987). C’est-à-dire que ma parole et ma pensée avaient une véritable
valeur. À cette époque, la pratique de la philosophie avec les enfants n’était
pas développée en tant que telle, mais dans certains lieux d’animation, une
réelle attention était donnée à la parole de l’enfant à travers les pédagogies
nouvelles.
Quand j’ai été en âge de travailler, je n’ai pas
hésité longtemps, je voulais à mon tour accompagner des enfants de milieux dits
défavorisés. J’ai donc d’abord eu dans l’animation un parcours éclectique, puis
pour aller plus loin dans ma démarche, je me suis investie dans l’éducation
spécialisée. Une façon de participer au projet d’une société humaniste, à mon
échelle.
Au bout de dix années dans le travail social, j’ai, à
regret, constaté le délabrement des institutions médico-sociales et la
diminution de la place donnée à l’humain et à la pensée.
En parallèle, j’avais développé une expérience
associative, autour d’ateliers d’écriture, et quand j’ai rencontré la pratique
des ateliers philosophiques avec les enfants, j’ai eu envie de me réorienter,
de quitter l’institution de travail social, et de créer mon nouveau métier.
Ainsi, j’ai choisi de mettre ma force de travail, au service de l’animation
d’ateliers philosophiques et d’ateliers d’écriture. Deux pratiques mettant à
l’honneur les mots, qui ont toujours été de véritables amis durant mon existence.
La pratique des ateliers philosophiques avec les enfants a été à la fois une
grande découverte et une vraie confirmation de ce qui m’animait dans mes
précédents métiers. Permettre à chaque enfant rencontré de reconnaître sa
propre valeur, sa propre capacité à penser, à créer, à se relier. Et par
extension, de participer à construire un monde plus juste, plus humain. Sur le
plan professionnel, intégrer cette pratique m’a conduit à redonner du sens au
collectif ; j’ai pu faire équipe avec d’autres praticiennes et m’impliquer dans
la création d’un projet, celui d’une maison de la philosophie à Dijon. Cela a
été possible, en grande partie, grâce à un réseau riche et généreux, celui des
Nouvelles Pratiques Philosophiques (que je décrirai plus loin).
Mon premier contact avec ce milieu a été le parcours
SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble), puis j’ai découvert le Pôle philo, La
maison de la philo de Romainville, Les petites lumières, PhiloCité… et pour
aller plus loin, pour continuer de me former, pour relever de nouveaux défis,
j’ai intégré cette année, le Diplôme Universitaire de Formation à l’animation
d’ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents à l’école et dans
la cité, relié à l’INSPE de Nantes.
Après 4 années d’expériences d’ateliers, entrer en
formation, c’était réactualiser et approfondir mes connaissances, explorer de
nouveaux domaines, accepter de remettre en question ma pratique, rencontrer de
nouvelles personnes motivées par le même but, et tenter de mettre en mots mon
activité. J’ai aussi saisi l’opportunité de me placer dans une posture de
recherche, de questionnement, sans objectif de réussite.
Choisir un sujet n’a pas été si simple, et j’ai
finalement opté pour un sujet qui me tenait à cœur depuis longtemps et qui
m’imposait de relever des défis en sortant de ma zone de confort.
Dans l’intitulé de notre formation, j’étais
particulièrement intéressée par la nouvelle dénomination « dans l’école et dans
la cité », notamment parce que je suis très attachée au fait de rendre accessible la philosophie, de la
désacraliser et de permettre à toutes et à tous de la pratiquer, y compris en
dehors de l’école. Une question me taraudait : jusqu’où peut-on aller pour
démocratiser la philosophie ? Y a-t-il des conditions nécessaires pour
philosopher ?
Je présenterai ainsi le contexte dans lequel je me
place, les constats qui m’ont conduit à formuler ma problématique, les cadres
théoriques, les dénominations utilisées, pour ensuite questionner et analyser
ma pratique dans le but de formuler une réponse et des orientations.
1. Contexte
Le contexte dans lequel j’évolue depuis deux ans, me
rapproche fortement de mes affinités avec l’éducation populaire, du fait que
notre structure soit hébergée par La Maison Phare, une MEP (maison d’éducation
populaire, fusion entre une MJC et un centre social) d’un quartier dit QPV
(quartier politique de la ville) : La Fontaine d’Ouche, à Dijon. Depuis 2016,
cette structure a la particularité d’avoir un projet pédagogique original, axé
sur l’éducation intégrale, inspiré par la pédagogie
sociale, avec des orientations philosophiques et politiques très affirmées,
tout en étant une institution validée par la municipalité.
L’équipe de la Maison Phare s’est mobilisée en faveur
de nombreux projets coconstruits avec les habitant·e·s, notamment en
ritualisant plusieurs ateliers de rue
tout au long de l’année.
Le dernier projet en date est le terrain d’aventure,
il a été inauguré en mars 2024. Cette idée s’inspire d’une pratique née au
Danemark il y a presque un siècle et qui s’est essaimée dans certaines villes
de France. S’y déploie une démarche originale, où la découverte, la liberté,
l’autonomie sont les maîtres mots, impliquant d’assumer la prise de risque. On
y affirme, qu’il n’y a pas de « volonté initiale d’apprentissages formels » et
que le principal enjeu est de « mieux se connaître, mieux comprendre les autres
et la nécessité d’être avec les autres » (Wagnon et al., 2021). Concrètement,
c’est un grand terrain arboré, sans aucune structure de jeux « pour enfants »,
avec des outils à disposition, des palettes et la possibilité de vivre des
aventures. Le cadre donné est minimaliste : une clôture autour du terrain, un
container pour ranger les outils, des animateur ices ⋅ présent es. On y vient aux horaires d’ouverture, avec
ou sans parents, et pour utiliser les outils en ⋅ autonomie,
on doit passer un permis.
Parmi les nombreuses expérimentations qui ont vu le
jour dans cette structure, il y a eu, au tout début, quelques ateliers philo
animés par le directeur en atelier de rue. Cette pratique a laissé la place à
d’autres, mais lors de notre installation sur le quartier, j’ai pensé que je
pouvais apporter mon expérience pour tenter une nouvelle approche.
1.1.Constats
J’ai commencé une première expérimentation à
l’automne 2022, avec l’animation de 5 ateliers philo au sein d’un atelier de
rue en bas d’immeuble, relié à un appartement. Sur les cinq, trois ont eu lieu
à l’intérieur et deux en extérieur, dont un sous une grande tente. C’était
court, mais cette première expérience m’a amenée à formuler plusieurs constats.
Faire
choisir un thème aux enfants pour la fois suivante est compliqué puisque les
enfants ne reviennent pas forcément d’une fois sur l’autre.
Étant habitués à aller et venir librement, les enfants se
posent difficilement dans la discussion.
Le
fait qu’il y ait d’autres propositions d’activités en même temps implique que
l’atelier philo doit être attrayant et ludique.
En parallèle, lors des ateliers philo que j’ai animés
dans des contextes scolaires depuis plusieurs années, j’observe que lorsque
j’adopte un dispositif très cadré, type Discussion à Visée
Démocratique et Philosophique (DVDP),
la discussion présente une véritable philosophicité. Les constats récurrents
sont :
la ritualisation, la répétition de certaines phrases
instaure une certaine solennité ;
l’utilisation d’un micro pousse les enfants à s’exprimer
clairement et à tenir des propos sérieux ;
le
fait de mettre en place des rôles responsabilise les enfants, les incite à être
dans des postures d’écoute et de respect, tout en m’obligeant à moins
intervenir ;
le dispositif m’oblige en tant qu’animatrice à tenir des
objectifs clairs.
1.2.Questionnements, hypothèses, problématique
Ainsi ces deux pratiques très différentes permettent
de se poser plusieurs questions : est-ce le cadre scolaire, ou le dispositif
qui facilite la conduite d’ateliers philosophiques dignes de ce nom ? Les
dispositifs, en tant que tels, par leur forme, leur « protocole », leur cadre
garantissent-ils la philosophicité ou la visée philosophique ? Et sont-ils
adaptés à tous les contextes ? Peut-on vraiment philosopher comme cela, partout
?
Le contexte scolaire est en lui-même un contexte très
cadré, codifié, mais est-ce suffisant pour atteindre des objectifs
philosophiques ? Est-il adapté pour que tous les enfants aient envie de
philosopher ? Si l’on choisit d’animer des ateliers philo, dans la cité, par
opposition aux structures scolaires, que doit-on faire pour que la dimension
philosophique soit bien présente, qu’on tende bien vers une philosophicité ?
Peut-on animer des ateliers philo, hors les murs, non pas dans un café, une
bibliothèque, un centre de loisir, mais bien dans la rue ?
Et si l’on veut démocratiser la pratique
philosophique, est-ce suffisant de la développer dans l’école ? Y a-t-il des
lieux plus propices que d’autres ? Sortir des murs, n’est-ce pas prendre le
risque de faire dériver la pratique ? De s’éloigner des objectifs
philosophiques ? Les « oasis de pensée »
évoqués par Hanna Arendt (1993), sont-ils possibles en dehors des cadres
formels ?
Dans ma pratique, j’avais d’abord fait l’hypothèse
qu’il fallait développer des ateliers dans les écoles pour que cette pratique
se démocratise, qu’elle soit connue et enviable, d’abord qu’on y soit « obligé
» pour ensuite avoir envie de pratiquer volontairement.
Aujourd’hui, en fréquentant le contexte de la Maison
phare où les pratiques éducatives hors les murs sont nombreuses, j’en viens à
formuler une hypothèse inverse : et si
la pratique en dehors du cadre formel, en dehors des murs, pouvait donner envie
aux enfants et adolescents d’aller vers la pratique philosophique ? Si en y
« goûtant » volontairement ils s’impliqueraient différemment quand cette
pratique est proposée dans des espaces plus « contraints » ? Sortir du cadre,
de l’école, des institutions, de la famille pourrait-il être un terrain propice
pour se poser des questions sur son existence ?
Tous ces
questionnements m’ont conduit à choisir cette problématique :
Quelle philosophicité est possible dans la pratique hors les murs ?
Je tenterai d’abord de définir les termes utilisés
dans ma problématique, pour m’intéresser ensuite aux accointances entre les
nouvelles pratiques philosophiques et l’éducation populaire (et plus
précisément la pédagogie sociale). Pour enfin questionner la possibilité d’une
pratique d’ateliers philo dans cet espace extérieur qualifié « hors les murs »
à travers des marqueurs de philosophicité. Pour ce faire, je m’appuierai sur
des ouvrages, des articles et sur l’analyse d’une courte expérimentation que j’ai
menée.
2. Philosophicité, de quoi parle-t-on ?
2.1.Un terme questionnant
La philosophie connaît un nouvel engouement depuis
quelques années, on a vu émerger et proliférer de nouvelles pratiques venant
résonner avec la crise de sens que connaît notre époque postmoderne. C’est un
véritable courant qui est né (dans les années 90 et intensifié depuis 20 ans)
et qui s’est construit sous l’appellation des Nouvelles Pratiques
Philosophiques (NPP). Ce courant a véritablement sorti la philosophie des
sphères élitistes pour lui donner une place en tant que pratique dans les
écoles et dans la cité.
Le terme de philosophicité est issu de cette «
révolution », il est utilisé pour jauger du caractère proprement philosophique
des ateliers philo. Il renvoie à la question de la légitimité, controversée par les uns (philosophe reconnus,
universitaires, enseignant es) qui voudraient préserver une ⋅ certaine conception de la
philosophie et recherchée par les autres (animateur ices, enseignant es) ⋅ ⋅ pour
justifier cette appellation et garantir
l’aspect philosophique. Autrement dit, « on est là dans un contexte de
lutte qui évoque celui de Platon face aux sophistes : définir la philosophie
(par contraste avec les « faux philosophes »que seraient les sophistes) devient
un enjeu de territoire ; se revendiquer « philosophe »une question de
légitimité, voire de prestige »(Herla, 2015). C’est ce terreau conflictuel, qui
a notamment conduit le courant des NPP à théoriser sa pratique, travailler l’identité professionnelle, les compétences philosophiques requises
pour se positionner et se différencier des pratiques académiques.
2.2.Risques de dérives
L’essor actuel dont bénéficie la pratique de la
philosophie avec les enfants et les adolescents comporte un certain nombre de
risques. Le principal est celui de l’instrumentalisation,
notamment dans le cadre scolaire, quand certain es enseignant es veulent
proposer des ateliers philo pour faire ⋅ ⋅ de la régulation de classe ou
quand les commanditaires nous demandent de nous inscrire dans des programmes
d’éducation à (l’environnement, l’égalité filles-garçons, la santé…). Il y a
aussi un risque de confusion avec le
fonctionnement d’un groupe de parole ou d’une psychothérapie de groupe. Bien
que « l’intimité puisse surgir à propos de n’importe quel sujet », il s’agira
en atelier philo de conduire la discussion vers une généralisation conceptuelle
et problématique. Toute discussion collective ne peut être désignée comme
philosophique, Christian Budex (2022) dans son article consacré à ces questions
nous enjoint « à distinguer la finalité et la méthode ». Ce qui est visé dans
l’atelier philo c’est bien « le développement de l’esprit critique par l’interrogation
méthodique des grandes questions de l’existence ». On retrouve ces dérives dans
bien d’autres contextes que celui de l’école, sans bénéficier de la même
influence que l’enseignant e, par sa position, ⋅ l’animateur
ice pourrait vouloir faire passer un message, une idéologie ou encourager ⋅ l’introspection intime.
On comprend ainsi que préserver la philosophicité
d’une discussion requiert une vigilance constante, une méthodologie rigoureuse
et une posture intraitable sur les exigences philosophiques.
2.3.Conditions et critères
Il semblerait qu’une discussion devienne
philosophique quand un certain nombre de conditions sont réunies, que nous
pouvons appeler marqueurs de
philosophicité. On peut distinguer d’une part, la méthode philosophique
conduite par l’animateur ice permettant que les discussions ⋅ contiennent des processus de
pensée, habiletés de pensée, opérations de pensée ou encore gestes
philosophiques. Et d’autre part, les postures des participant es et de
l’animateur ice.⋅ ⋅
Sans chercher à dresser une liste exhaustive de ces
marqueurs, je choisis de m’appuyer sur un panel qui me semble être observable
pour analyser ma pratique.
Concernant la méthode philosophique, Michel Tozzi
(2020), dégage trois processus essentiels qui sont communément appelés des habiletés de pensée : la
conceptualisation, la problématisation et l’argumentation. Il précise qu’ils «
prennent une coloration spécifique en philosophie (ex : l’argumentation est
rationnelle, et n’inclut pas comme en français la persuasion, elle vise une
universalité, non un public cible. Elle se fait en langue naturelle,
contrairement à la science etc.) ». Dans les faits, il en existe bien d’autres,
comme, l’interprétation, la spéculation, le dégagement des présupposés, la
déduction, l’induction, l’analogie, l’intentionnalité, etc.
La
conceptualisation : il s’agit de se représenter l’idée ou l’objet
(matériel ou mental), de partir du réel puis d’en dégager une vision abstraite,
de déterminer ses contours, ce qu’on en connaît, de tenter de définir,
d’exemplifier, nommer les éléments qui le composent, décrire ses attributs,
préciser ses spécificités, ce qui le distingue. C’est en fait, sortir du
langage commun, interroger l’écart entre « le mot et la chose », observer la
polysémie. Ceci est souvent un préalable, pour qu’on puisse s’entendre sur les
mots avant d’entrer dans une discussion, soulever des problèmes, mais c’est en
réalité déjà une discussion et le concept « prend sens par le problème qui le
travaille ». Il n’y a donc pas de chronologie déterminée avec les autres
processus.
La
problématisation : c’est avant tout se poser des questions,
s’interroger, s’étonner. Une question sera philosophique, si elle demande une
réflexion, n’aura pas de réponse immédiate et pourra toujours être remise en
question, qu’elle doit concerner tout le monde, sinon beaucoup de monde, et
elle renvoie à notre existence humaine. Il sera difficile d’y répondre. On
pourra questionner la question, les présupposés qu’elle comporte, sa
formulation. Il s’agit aussi dans la problématisation, de mettre en doute ses
opinions, certitudes et celles des autres. C’est en fait, chercher quels sont
les problèmes qu’on peut soulever autour d’un concept, d’une notion.
L’argumentation :
c’est un raisonnement destiné à prouver ou justifier une affirmation. Il
cherche à répondre à un problème posé, il commence souvent par le connecteur «
parce que ». Contrairement à l’argument rhétorique qui cherche à convaincre,
l’argument philosophique a pour objectif d’approfondir sa pensée. En ce sens,
il ne relève pas d’une certitude, mais provient d’une hypothèse, une
supposition, une spéculation. Il nécessite de clarifier, d’expliciter, de
mettre en cohérence ses idées, de relier des concepts utilisés entre eux. Les
arguments s’articulent autour d’une démonstration, qui peut s’appuyer sur des
exemples, suite à quoi ils sont examinés, on vérifie leur validité, on teste
leur force, leur faiblesse. Il existe plusieurs types d’arguments qu’on peut
vouloir rejeter, parce qu’illogiques, d’autorité, fallacieux, irrationnels,
etc.
Pour ce qui est des postures, je m’appuierai sur l’ouvrage de Johanna Hawken (2019) où
elle présente une liste de dix critères nécessaires pour mener des ateliers
philosophiques. Je propose d’en présenter quatre qui traitent de la posture des
participant es et de l’animateur ice.⋅ ⋅
L’ouverture
d’esprit : cela correspond à la capacité à accueillir les idées des
autres, à les voir comme complémentaires, contribuant à la réflexion
collective. Sentir que nos idées peuvent être influencées et nuancées. Il
s’agit de pouvoir « mettre en pause » son jugement « pour donner une chance à
l’idée divergente ».
La lenteur
précautionneuse : c’est accepter de rompre avec le rythme habituel,
prendre le temps de « penser l’humanité ». Cela implique de ralentir, c’est
aussi une exigence pour que la prise de parole soit un cheminement, un «
processus de pensée » qui se fait avec « délicatesse, subtilité et justesse ».
Il convient aussi de laisser la place au silence.
Le
développement de l’estime intellectuelle de soi : il est essentiel
de reconnaître l’enfant comme «
interlocuteur valable », capable de penser, de porter une parole sur le
monde, en tant qu’humain parmi les humains. En leur donnant cette légitimité,
les succès cognitifs auront des effets indubitables et durables sur l’estime de
soi. C’est aussi parce que les enfants se confronteront à la complexité, à la
difficulté de résoudre des problématiques, qu’ils s’estimeront fiers d’avoir
parfois réussi, et même parfois rejoindront par leur pensée des philosophes de
tous les temps.
L’atmosphère
bienveillante et pluraliste : construire des espaces protégés du
monde où l’on peut se sentir en sécurité pour penser, discuter, exprimer sa
singularité, découvrir l’altérité. La pluralité, les divergences, les
désaccords peuvent ici exister, il s’agira de dédramatiser, pour les laisser
s’exprimer en toute sérénité. La création d’un espace d’expression se doit
d’offrir des droits et des limites, pour que cela soit fructueux pour le
collectif.
Ces postures peuvent aussi être qualifiées
d’attitudes philosophiques, on retrouve cette dénomination dans le chapitre
consacré à la réfutation socratique dans l’ouvrage de PhiloCité (2020), méthode
qui a été théorisée par Oscar Brenifier (acteur des NPP discrédité par son
manque de bienveillance). Outre celles qui rejoignent les précédents critères,
à savoir : le fait de se poser (pensée et corps), l’engagement, l’acceptation
de la confrontation et l’étonnement, on peut en relever deux plus singulières :
Saisir le Kairos philosophique, c’est-à-dire le moment
opportun, propice. C’est en fait
« pratiquer « l’art de l’occasion »,
s’atteler à débusquer et travailler tout ce qui pose problème ou question dans
l’exercice philosophique proprement dit. » Ce qui nécessite de se détacher de
sa préparation, ne pas vouloir mener le groupe quelque part, faire le deuil
d’une maîtrise, sans toutefois ne jamais renoncer à animer le groupe,
l’accompagner pour activer les processus de pensée.
Se
positionner comme « maître ignorant »(Rancière, 1987) pour faire circuler le désir de
penser des participant es sans être dans la recherche de «⋅
la bonne réponse ». « La seule vraie transmission du « maître » tient donc à
l’art même de philosopher, c’est à dire de se questionner sans fin sur la
vérité de ce que l’on pense. » Ainsi par la pédagogie du dialogue, l’animateur
ice ⋅ invite à intérioriser ce dialogue
critique de la pensée, devenir autonome pour problématiser ses propres idées.
Pour m’aider sur la partie analyse,
j’ai produit un tableau qui reprend ces 9 marqueurs de philosophicité (cf.
annexe).
Aussi, il me semble que la philosophicité est une
visée, un objectif que l’on cherche à atteindre quand on anime un atelier
philosophique et qu’il s’agit surtout de penser aux « aménagements » qui
rendent possible l’émergence de moments philosophiques.
3. Qu’entend-on par hors les murs ?
3.1. Hors
les murs, c’est quoi, c’est où ?
Dans le domaine des NPP l’appellation hors les murs
est utilisée pour caractériser toute pratique philosophique existant en dehors
de l’institution scolaire : cafés, bibliothèques, prison, ciné, hôpitaux,
rando… ce qui revient à nous situer dans une autre institution ou complètement
en dehors.
En Éducation populaire, travailler
hors les murs signifie sortir du cadre physique des murs de la structure, aller
dans le quartier, dans la rue, à la rencontre du public.
Cette idée peut renvoyer à la pratique antique de la
Philosophie en Grèce, à l’époque de
Socrate, où la philosophie était d’abord nomade, s’invitant partout où se
rencontraient les citoyens, la place publique, l’agora, la cité. Les
philosophes étaient alors « immergés » et considéraient que « la vie
quotidienne donne la possibilité de philosopher» (Queval, 2017). On peut
également la rattacher à la notion d’espace public, que Habermas (1997)
qualifie d’espace de médiation reliant des sphères autonomes, à un espace
intermédiaire, hors institution, indépendant, où peut s’exercer la critique,
nécessaire à toute démocratie.
3.2.Des ateliers philo hors les murs, pourquoi ?
Se placer hors les murs permet à la fois de se détacher des
institutions (notamment scolaires), de leurs injonctions, tout en étant immergé
dans la cité, au contact des préoccupations contemporaines des habitant·e·s.
En proposant des « ateliers philo » dans cet espace
public, l’idée est d’offrir des espaces-temps « coupés de l’affairement du
monde où les participants peuvent prendre de la distance pour penser
sereinement ensemble » (Chirouter, 2022) comme le suggère Hannah Arendt en
évoquant les « oasis de pensée ». Ainsi on peut s’approcher des enjeux de la
pratique de la philosophie :
décrypter le réel, prendre de la
hauteur par rapport aux évènements, viser le bien commun, chercher sagesse et
la vérité.
Il s’agirait donc à la fois d’être relié au réel,
tout en s’octroyant des pauses pour le penser, sans être assujettis à quelque
institution. Il y a dans cette démarche une visée émancipatrice, qui pourrait
revenir à penser qu’en se détachant du « cadre », on peut mieux le penser, le
critiquer, s’en libérer. Ainsi, on peut se demander si sortir du cadre scolaire
pourrait permettre de le penser ? Ou de penser ce qui n’est pas autorisé, ou
encore autoriser les enfants « empêchés » de penser à le faire ?
Plus métaphoriquement, hors les murs peut aussi nous
permettre d’être en lien, les uns les autres, comme le dit si bien Johanna
Hawken (2024) : il est « nécessaire, utile et agréable de participer à un
espace de parole et de réflexion afin de déconstruire les murs entre les
univers philosophiques de chacun et chacune. »
3.3.Entre formel et informel, limites et
intérêts
Selon moi, cette conception d’hors les murs s’oppose à la notion de formel ayant plus à voir avec
des espaces « clos » correspondant aux institutions telles que l’institution
scolaire, où nous dirons qu’il y a un cadre formel, avec des objectifs
pédagogiques explicites, notamment en termes d’éducation, de transmission de
savoirs.
L’école a connu de nombreux changements, grâce
notamment à l’avènement des sciences de l’éducation, mais il semblerait que
l’institution en tant que telle contienne de nombreuses failles qui rendent
inopérante l’ambition de donner à tous tes les mêmes chances. En témoigne
l’irréductible ⋅ taux d’échec
scolaire (15%), qui loin de conduire vers une ascension, cristallise les enjeux
de déterminisme. Serge Boimare (2008) dans son ouvrage, « Ces enfants empêchés
de penser » déplore que les injonctions d’apprentissages ne rencontrent pas les
besoins nécessaires des enfants pour apprendre. Se creuse ainsi, pour certains
enfants, une défiance du système scolaire, de tout ce qui se rapproche des
apprentissages et plus largement de l’activité de penser. Il démontre combien
le nourrissage culturel et la mise en place d’espaces de parole pourraient
transformer le rapport à l’école.
Gilles Brougère (2002) quant à lui, décrit la
possibilité d’une éducation informelle (notamment à travers le jeu) qui se
déploie dans les expériences de vie quotidienne, sans qu’elles soient associées
à une finalité éducative. » On peut même estimer qu’il s’agit là du lieu où «
l’essentiel de ce qui est appris est reçu. » Il amène à considérer que l’école
n’a pas le « monopole de l’apprentissage » et que l’éducation n’est pas
toujours le résultat d’un « processus conscient et volontaire ». Ainsi il se pourrait
qu’en dehors des cadres formels on puisse apprendre, sans que ce soit l’effet
recherché.
Du côté des ateliers philo, la plupart des
dispositifs mettent en place un cadre formel, comme la disposition en cercle,
la lecture d’un album, la cueillette de questions, la mise en place de rôles,
la formulation de règles, l’utilisation du bâton de parole, etc., afin
d’encadrer, de structurer l’activité de penser. Ces conditions sont-elles
absolument nécessaires ?
Peut-on imaginer, qu’en nous écartant du cadre formel
(qui pourrait renvoyer à l’école), certains enfants puissent reprendre goût à
penser ?
Comme dans l’exemple du jeu, développé par Brougère,
ne pourrait-on pas voir entre ces deux pôles, formel et informel autre chose
qu’une opposition ? Et ainsi, envisager la possibilité d’un processus de
formalisation, qui permette de naviguer entre les deux, pour que
progressivement, une dimension d’apprentissage, de conscientisation se fasse,
pour celui qui gère la situation ou pour celui qui vit l’expérience.
Je proposerais pour ma part, une philosophie immergée
dans ce qu’on appelle cité, dans le sens de périphérie urbaine, constituant
aussi un espace public, et une version encore plus littérale du
« hors les murs » en allant dans
des espaces extérieurs (tout en étant rattaché à une structure), naviguant
entre le formel et l’informel.
4. Quelles
résonances entre les nouvelles pratiques philosophiques et l’éducation
populaire ?
Puisque mon terrain d’expérimentation se réalise
dans une structure d’éducation populaire, je me suis intéressée également aux
écrits sur ce courant. En croisant mes lectures entre les ouvrages dédiés à la
pratique de la philosophie et ceux dédiés à l’éducation populaire, j’ai
constaté des inspirations communes (tel que le courant Freinet et des méthodes
actives), mais aussi des pratiques semblables.
4.1.Les nouvelles pratiques philosophiques
On entend par « nouvelles pratiq ues philosophiques » (NPP) le mouvement renouvelant le rapport à
la philosophie, en le démocratisant afin que les humains des temps modernes
s’en saisissent. Il existe plusieurs approches différentes, notamment destinées
à animer des ateliers philosophiques avec des enfants et adolescents. On
distingue quatre grands courants, dont, la Communauté de Recherche
Philosophique (CRP), la Discussion à Visée Philosophique (DVP), les Ateliers de
Réflexion sur la Condition Humaine (ARCH) et la réfutation socratique ou
maïeutique.
François Galichet (2022), une des grandes figures de
ce mouvement, parle de pratique du philosopher,
qui peut se résumer par ces quatre critères. L’universalité : « on ne philosophe pas pour soi, mais pour tous :
c’est ce qui distingue une opinion d’une conviction ». L’exigence de l’implication : on ne peut pas rester simplement dans
un raisonnement objectif. L’indécidabilité
: toute question philosophique est questionnable à l’infini. La totalisation : chaque question, chaque
notion renvoie les unes aux autres, c’est un maillage total.
4.2.L’éducation populaire
L’éducation populaire est un terme polysémique, je
m’accorderai à la vision de Christian Maurel (2000) qui la caractérise comme un
« ensemble des pratiques éducatives et culturelles qui œuvrent à la
transformation sociale et politique, travaillent à l’émancipation des individus
et du peuple, et augmentent leur puissance démocratique d’agir ».
Dans ce vaste champ, la pédagogie qui est appliquée
dans le contexte où j’interviens est la pédagogie sociale, elle a été
originellement théorisée par Paul Natrop, et plus récemment, par Laurent Ott
(2011) qui la décrit comme « une pédagogie globale, une pédagogie de la réalité
qui s’affranchit des murs, que ceux-ci soient du domaine physique (extérieur,
hors institutions, etc.) ou métaphorique (décloisonnement des disciplines…).
C’est une pédagogie qui invite le pédagogue à agir « pour », « avec » et « à travers
» le milieu dans lequel il intervient. C’est agir ensemble. La pédagogie
sociale, c’est la création d’espaces démocratiques. » Les principes majeurs
sont :
l’accueil
inconditionnel quel que soit l’âge, le milieu, sans inscription ni réservation
nécessaire, et une libre participation,
le
travail en dehors des murs « aller vers » / « laisser venir » et une régularité
sur les points de rendez-vous,
la désinstitutionnalisation des rapports sociaux,
un
travail sur l’activité, alliant principes de coopération, de création, de
production, inspirée des besoins, intérêts et possibilités des personnes, qui
ne soit ni occupationnelle, ni individualisante.
On voit dans ces deux approches, une volonté de se
mettre à la portée de toutes les personnes rencontrées, de les accueillir dans
leur globalité, d’être accessible, tout en ayant des ambitions de
transformation sociale, d’exercer un regard critique sur la société et de
donner les outils pour participer à la vie de la cité, à la démocratie.
Parmi les nombreuses résonances que j’y vois, comme
l’ancrage dans la vie, la transformation sociale, la posture
non-interventionniste, le non-dogmatisme, la quête de sens, la remise en
question, je propose de mettre en lumière la visée émancipatrice.
4.3.La visée émancipatrice
L’émancipation signifie s’affranchir d’une autorité,
domination, tutelle, aliénation, entrave. Elle implique pour une catégorie
d’obtenir des droits identiques à d’autres (comme l’émancipation de la femme).
Cette visée se rattache à tout ce qui va favoriser la
volonté d’agir ou de penser, non seulement pour soi mais aussi pour les autres,
et non pas en se contentant de viser son propre épanouissement personnel, mais
bien « l’émancipation individuelle et collective, et la transformation de la
société » comme le dit Adeline Lepinay (2015). L’éducation populaire, «
consiste à décrypter les rapports de domination, à prendre conscience de la
place que l’on occupe dans la société, à apprendre à se constituer collectivement
en contre-pouvoir, à expérimenter sa capacité à agir ».
Concernant les pratiques philosophiques, François
Galichet (2022), explique, qu’il s’agit de faire émerger le « souci d’échapper
autant que possible à l’égocentrisme » (qui déroge à l’exigence de
totalisation), à l’illusion (qui déroge à l’universalité), à la mauvaise foi
(qui déroge à l’exigence d’implication) et au dogmatisme (qui déroge à
l’exigence d’indécidabilité). C’est pourquoi, bien que n’étant pas directement
dans le domaine de l’agir, on peut dire qu’elle est émancipatrice. Christian
Budex (2022), nous dit aussi à propos d’ateliers philosophiques dans les
quartiers difficiles : « loin d’imaginer qu’une pratique philosophique
régulière puisse arracher miraculeusement les individus à la somme des
déterminations -- notamment sociales -- qui insèrent leur existence dans la
chaîne de causalité, rien n’interdit toutefois de la penser comme un outil
d’émancipation ».
Il me reste à mettre en lien toutes ces recherches
avec ma courte expérimentation d’animation d’ateliers philosophiques dans
l’espace public, hors les murs, dans un cadre peu formel, visant l’émancipation
des publics en restant attentive à leur philosophicité.
5. Terrain
d’expérimentation pour tenter de répondre à la problématique : Quelle
philosophicité est possible dans la pratique hors les murs ?
5.1.Cadre général de l’expérimentation
Sur le quartier de la Fontaine d’Ouche, si la Maison
Phare a bien implanté les ateliers de rue et qu’ils sont reconnus et « habités
» avec souvent des habitudes installées, le terrain d’aventure bénéficie de
l’attrait de la nouveauté et d’une myriade de possibles. J’ai choisi de
naviguer entre ces deux terrains durant un mois, entre le mercredi 29 mai et le
samedi 29 juin, j’ai installé des ateliers philo tous les mercredis et un
samedi sur le terrain d’aventure, et tous les mardis sur l’atelier de rue de la
place des écoles, soit dix rendez-vous, dont l’un n’a pu avoir lieu.
Il est important de préciser que mon cadre
d’intervention a été facilitant par le fait que La maison Phare est connue et
reconnue par les habitant·e·s, les enfants, les parents et qu’il y a un climat
de confiance qui s’est construit sur plusieurs années. Que ce soit les ateliers
de rue, ou le terrain d’aventure, le public était sur place sans que j’aie à
aller le chercher.
Ce contexte particulier implique que les ateliers que
j’ai animés étaient ce qu’on appelle des one
shot, d’une certaine manière ponctuels, sans progression, ni continuité sur
plusieurs séances, avec un public non captif et mouvant. Je précise mouvant, parce que conformément aux
principes de la pédagogie sociale en place sur ces terrains, les enfants
pouvaient aller et venir à leur guise, sans leurs parents ou, plus rarement,
avec.
Sur l’atelier de rue, les enfants bougeaient beaucoup
et se posaient peu, il y avait des tout petits (2-4 ans) surveillés par les
plus grands, nous étions sur une place publique avec des structures de jeux
juste à côté et l’équipe de la Maison Phare qui installait parfois d’autres
coins à proximité, avec des ukulélés, des kaplas, en plus de l’atelier cuisine
(occupé principalement par des adultes). Dans cet espace, les enfants étaient à
proximité de chez eux, ils pouvaient être sommés de rentrer ou vouloir partir à
tout moment.
Sur le terrain d’aventure, c’était différent, les
enfants, majoritairement entre 8 et 13 ans venaient la plupart du temps pour
toute l’après-midi, parfois à la demande des parents mais sans eux. Les
activités principales étaient la construction de cabanes en autonomie (après
avoir passé le permis), les jeux libres (balançoire, tyrolienne, cache-cache)
et la préparation du goûter. L’espace est vaste, fait d’herbe, d’arbres, de
coins cachés, et d’une base (avec barnum, container à outils et autres ustensiles).
Les enfants parvenaient plus à se poser (entre 10 et 45 minutes), mais à tout
moment ils pouvaient partir.
Sur les deux lieux, c’était souvent les mêmes enfants
qui revenaient d’une fois sur l’autre, il y en a même une qui venaient sur les
deux endroits, mais il y avait toujours des nouveaux, nouvelles
participant·e·s. Le rendez-vous durait 3 heures, de 14h à 17h les mercredis et
de 16h à 19h les mardis, j’étais là du démarrage au rangement. Il y avait
plusieurs temps dans ces 3 heures, un temps d’installation, un temps
d’observation (mutuel), plusieurs temps de discussion (avec un à six enfants),
le temps du rangement, la participation au goûter et, uniquement sur le terrain
d’aventure mais pas systématiquement, à l’assemblée (un temps commun avec
toutes les personnes présentes avant le goûter) .
Mon installation comportait des constantes : un grand
tapis sur lequel je disposais la valise avec du matériel, des livres, dont
certains récurrents et d’autres en lien à une thématique, la mascotte Philomène
(une petite poupée de tissu), divers supports (photo-langages, citations…), le
cahier géant où j’inscrivais les questions, les réponses et où les enfants
dessinaient, la valise à questions philo, les marque-pages « qu’avons-nous fait
? ».
Pour donner une vue d’ensemble de mon
expérimentation, je propose le tableau page suivante, comme paysage global,
pour ensuite décortiquer ma pratique à travers des portes d’entrées
transversales, et tenter de répondre à la problématique de départ. Le contexte
du terrain d’aventure étant plus approprié à l’enregistrement, explique qu’une
majorité des exemples mentionnés en sont issus.
Atelier de rue,
place des écoles Atelier
sur le terrain d’aventure
Dates et horaires |
Lieux |
Public |
Thématiques |
Supports |
Mercredi
29/05/2024 |
Terrain d’aventure |
2 ados +
5 adultes |
Pourquoi y a-t-il des
choses qu’on veut cacher ? |
|
Mardi 04/06/2024 |
Atelier de rue |
6 à 10
enfants + 1 adulte |
C’est quoi penser ? |
Jeu : étiquettes-mots à
placer sous « Penser c’est / ce n’est pas » Album : À
quoi penses-tu ? (Laurent Moreau) |
Mercredi
05/06/2024 |
Terrain d’aventure |
5 enfants
+ 2 adultes |
L’aventure
c’est quoi ? |
Album : Un jour parfait
(Mélanie Ruten) Citations |
Mardi 11/06/2024 |
Atelier de rue |
5 enfants |
Pourquoi on joue ? |
Jeu :
type jeu de l’oie Album :
Copains des collines (Benji Davies) |
Mercredi
12/06/2024 |
Terrain d’aventure |
6 enfants
ou ados |
Pourquoi construire des
cabanes ? |
Albums :
Rêves de cabanes (François David), Abris (Emmanuelle Houdart) |
Mardi 18/06/2024 16h-19h |
Atelier de rue |
7 enfants |
À quoi servent les mots ? |
Albums :
Pourquoi les choses ont-elles un nom ? (J-P
Mogin), Tous les mots n’existent pas ! (Michaël
Escoffier) |
Mercredi
19/06/2024 |
Terrain d’aventure |
6 enfants
ou ados |
Quels sont les liens entre
Humains et Nature ? |
Album :
L’abre généreux (Shel Silverstein) |
Mardi 25/06/2024 |
Atelier de rue |
10
enfants |
Grandir, on aime ou on
aime pas ? |
Grande
toise avec les âges + post-it Albums :
Laurent tout seul (Anaïs Vaugelade), Grandir
(Emmanuelle Houdart) |
Mercredi
26/06/2024 |
Terrain d’aventure |
7 enfants
ou ados |
Faut-il prendre des
risques ? |
Photolangage Citations Album :
Nour, le moment venu (Mélanie Ruten) |
Samedi 29/06/2024 14h-17h |
Terrain d’aventure |
3 enfants
ou ados |
La liberté c’est faire
tout ce qu’on veut ? |
Débat
mouvant Jeu :
sans cette liberté… (trouver les conséquences) Photolangage |
Mercredi
03/07/2024 |
balade philo dans le
quartier |
Annulé |
L’humain
et la nature peuvent-ils cohabiter ? |
Débat
mouvant Citations Questions
à piocher |
5.2.La question du nom
Questionnements, hypothèses
Avant de commencer cette expérimentation, je me suis
à nouveau posé la question de la dénomination. Peut-on appeler ces ateliers,
des ateliers philosophiques au vu de leurs particularités ? Faut-il utiliser le
mot philosophie ou bien philo pour présenter ces ateliers ? Est-ce que ce mot
signifie quelque chose pour les enfants ? Est-ce qu’ils en ont une
représentation négative ? Pourraient-ils philosopher sans le vouloir, le savoir
? Faut-il nommer les gestes philosophiques ? Si le but des ateliers philo est
d’atteindre la philosophicité, faut-il cacher la philosophicité pour
l’atteindre ?
Expérimentations
Lors
du premier atelier au terrain d’aventure, j’avais envie de commencer sans
utiliser l’appellation « atelier philo », personne ne venait sur le tapis que
j’avais installé, j’ai finalement décidé d’aller vers deux adolescentes qui
préparaient le goûter et j’ai simplement dit « ça vous dirait de discuter d’un
thème ». Elles ont choisi de discuter de religion, à partir d’une situation
vécue. Peu à peu dans la discussion, j’ai pu dire : « Pourquoi c’est haram ? Ce
qui m’intéresse c’est de comprendre » ou « ça te questionne pas pourquoi c’est
interdit ? » ou encore « moi mon travail, en philosophie, c’est de questionner
les évidences, pour vous ça paraît évident, parce qu’on vous l’a toujours dit
». Sur la fin de la discussion, ensemble, nous avons formulé une question qui
pouvait intéresser tout le monde, ce qui a donné : « pourquoi on a des choses à
cacher ? » et elles l’ont posée lors de l’assemblée sur le mode interview avec
le micro. C’est à ce moment que j’ai expliqué à toutes les personnes présentes
ce que je faisais : des ateliers philo.
Dès
le deuxième atelier philo, dans la rue, j’ai écrit « atelier philo » sur un
petit panneau et j’ai expliqué simplement aux enfants qui s’approchaient que
c’était un endroit pour discuter de questions sur notre existence. Il n’y a pas
eu d’enfants qui sont partis en entendant le mot philo, mais certains en
comprenant de quoi il s’agissait, ne sont pas restés. En revanche, Alba, une
enfant de 11 ans, m’a répondu « je
connais la philo, j’en fais avec mon prof », avec une certaine assurance.
Je lui demande alors ce que c’est, elle me répond « ben, c’est de la philo ». Je lui propose un petit jeu sur
l’étymologie (sous forme de puzzle), puis la questionne sur le mot sagesse, elle passe en revue les
comportements sages et évoque la figure du grand sage. Elle écrit ensuite deux
questions dans la boîte à questions.
Dans
le matériel, j’avais préparé un petit marque-page intitulé « qu’avons-nous fait
? » avec quelques indications de ce que nous faisons généralement dans les
ateliers philo : On s’est posé des questions sur notre existence / on a tenté
de comprendre des mots et des idées / on a interrogé des évidences, des idées
toutes faites / on a cherché des arguments, proposé des réponses, des
hypothèses / on a pensé… Au verso, la citation d’Arthur Schopenhauer : « la
philosophie naît de notre étonnement au sujet du monde et de notre propre
existence. » Je le donnais principalement aux enfants qui étaient restés un
long moment avec qui j’avais l’impression d’avoir « coché » au moins deux
items.
Analyses
Dans l’exemple avec
les deux jeunes filles, l’absence de thème donné m’a poussée à saisir le
Kaïros dans leurs propos, j’ai cherché à
faire émerger des problèmes. Le fait de n’avoir pas nommé l’atelier ne les a
pas empêchées d’essayer d’argumenter leurs affirmations, mais il a été
nécessaire à un moment d’expliquer ma posture pour qu’elles puissent comprendre
le processus à l’œuvre : « interroger ce qui vous paraît évident »
correspondant à l’habileté de la problématisation. Leur compréhension de ce que
nous faisions ensemble s’est faite progressivement par l’expérimentation,
notamment par l’universalisation de leur questionnement initial. Elles ont pu
percevoir l’intérêt en posant elles-mêmes la question à l’assemblée, cette
question intéressait vraiment tout le monde (question philosophique).
Dans l’atelier de rue, nommer l’atelier a permis de
poser les enjeux et de délimiter « l’activité » en toute transparence, cela
permettait à la fois d’instaurer le postulat de « l’enfant interlocuteur
valable » tout en protégeant l’espace de pensée avec des limites, dans l’idée
qu’on ne se pose pas sur le tapis pour faire n’importe quoi, « ici on joue à se
poser des questions ». L’hésitation d’utiliser le mot philosophie a été balayé
par Alba, le mot philosophie ayant déjà été découvert à l’école, il serait
dommage de le cacher en évitant de le nommer. On peut voir dans cet exemple,
l’intérêt du travail complémentaire entre l’école et hors les murs : ses
précédentes expériences ne lui permettaient pas d’expliciter l’activité
philosophique (de la conceptualiser). Pour ce faire, il semble nécessaire de
nommer non seulement l’atelier mais aussi les processus à l’œuvre (pour qu’elle
puisse verbaliser ce qu’elle fait dans un atelier philo).
Quant à l’exemple du marque-page c’est une
alternative pour que des mots soient posés dans l’après, même s’ils n’ont pas
été formulés pendant l’atelier. C’est une manière de s’adapter au contexte
mouvant des ateliers de rue. Mais cela suppose un accompagnement familial du
type « qu’as-tu fait à l’atelier de rue ?
je vais relire avec toi ce papier… c’est donc ça l’atelier philo… ».
N’ayant eu aucun retour je ne sais pas si cela est utile ou non.
Remédiations
Si l’on choisit de ne pas nommer l’atelier, il
faudrait prévoir un véritable temps à la fin de la discussion pour questionner
ou nommer ce qui vient d’être vécu, (ex. « Là on a remis en question des
évidences », « Vous avez questionné vos croyances », « On a cherché à
universaliser vos questions… ») afin de donner des repères et de les guider
vers une métacognition et une pensée réflexive. Le marque-page peut-être une
alternative, mais il devrait au moins être introduit par une question adressée
du type : « que penses-tu que nous ayons fait ensemble ? » afin de susciter
l’interrogation.
En choisissant de nommer, il est nécessaire de
réfléchir aux mots employés. Qu’ils soient clairs, compréhensibles, reflétant
bien ce que l’on fera ensemble, tout en donnant envie. L’aspect visuel et
ludique est à privilégier, au moins dans une première approche. Le puzzle
n’étant pas très opérant, j’ai par la suite fabriqué un panneau sur
l’étymologie. Mais j’aimerais construire une structure légère, avec des sortes
de boîtes ou de volets qu’on manipule et qui permettent de s’interroger sur ce
qu’on fait en philosophie.
Tentative de répondre à la
problématique
Ici on peut dire que nommer à l’avance n’a pas
forcément d’incidence sur la philosophicité à l’œuvre dans la pratique hors les
murs, mais qu’il est nécessaire de trouver un moyen pour nommer les gestes
philosophiques pratiqués afin qu’ils apparaissent tels quels, deviennent
conscients, puissent entraîner un travail réflexif et d’appropriation.
5.3.De l’informel au formel : cadre, repères et
rituels
Questionnements, hypothèses
Si le terrain d’aventure et l’atelier de rue
constituent des espaces de liberté et d’expérimentation, sont-ils, pour autant,
des endroits sans règles ? Les ateliers philo doivent-ils forcément respecter
une structure définie ? La mise en place de rituels conditionne-t-elle la
pratique de la philosophie ? Si oui, comment ritualiser ? Peut-on poser des
règles dans un cadre informel ?
Expérimentations
Lors
du premier atelier de rue, certains enfants étaient attirés par le matériel de
dessin, ils voulaient des feuilles pour dessiner. J’en ai donné, mais leur
consommation massive a rapidement épuisé mon stock. La fois suivante, j’ai
expliqué, « ici si tu veux dessiner, c’est sur le cahier géant (dont je
n’arracherais pas les feuilles) et en lien avec la thématique du jour ». Ça a
été la première règle formulée clairement. En ce qui concerne les habituelles
règles que l’on exprime généralement en début d’atelier philo, je ne les ai pas
mentionnées, ni écrites. Cependant j’en ai répété quelques-unes, comme celle de
ne pas se couper la parole, de prioriser celles ou ceux qui parlent le moins,
de s’écouter. Et concernant une petite fille, j’ai dû lui redire quasiment à
chaque atelier de ne pas emporter la mascotte Philomène « elle doit rester sur
le tapis avec nous ». Lors des ateliers de rue, ce qui était compliqué c’était
l’irruption fréquente des tout petits qui renversaient les pots de crayons,
marchaient sur les livres, bien qu’ils soient accompagnés de leurs parents.
Dans
l’atelier, « Penser c’est quoi ? » avec Zyna, j’ai animé une sorte de parcours
: jeu + histoire + dessin dans le cahier géant. Je lui ai proposé de s’inspirer
de l’illustration de l’album en dessinant son profil et d’y mettre ce à quoi
elle pense. Je lui ai demandé si elle voulait signer son dessin, elle l’a fait
avec application. Ensuite d’autres enfants se sont approchés et installés sur
le tapis, en regardant dans le cahier géant ce qu’elle avait fait. Zyna a pris
le cahier et m’a demandé
de reprendre son dessin. Je lui ai
expliqué qu’on ne pouvait pas arracher la page parce qu’il y avait d’autres
choses écrites de l’autre côté. Je ne l’avais pas prévenu. Percevant son
malaise, je lui ait demandé de m’expliquer : « c’est parce je ne veux pas que les autres sachent ce que j’ai dans la
tête ». Pour trouver un compromis,
je lui ai proposé de recouvrir son prénom pour que ce soit anonyme.
Sur
chaque lieu, des enfants revenaient d’une fois sur l’autre et me demandaient «
qu’est-ce que c’est la question aujourd’hui ? », parfois, ils demandaient à
regarder les pages précédentes du cahier géant. Émilie était très contente de
savoir que je serai à nouveau là, le mardi suivant. Au deuxième atelier, elle
arrive en clamant « je suis là comme promis ! » ce qui correspond complètement
aux principes de la pédagogie sociale, donner un rendez-vous. Sur le terrain
d’aventure, Maya, a émis l’idée de construire une cabane philo. Dans un autre
registre, Kaïs qui était toujours présent sur le terrain d’aventure et
observait de loin ne nous a rejoints que lors du troisième atelier et il est
resté quasiment 20 minutes.
Pour
les fins du présent mémoire, j’utilisais un micro pour enregistrer les enfants,
uniquement sur le terrain d’aventure. Quand la discussion semblait vraiment
commencer je sortais le micro et j’enclenchais l’enregistrement. Les enfants le
prenaient un peu comme un bâton de parole quand ils étaient plusieurs, et quand
nous étions en duo avec un enfant, il s’en servait pour répondre aux questions
ou en formuler. Le micro servait aussi à interviewer les autres personnes
présentes sur le terrain d’aventure.
Analyses
Ici on voit que les règles se sont construites au fur
et à mesure, à partir de l’expérimentation de ce qui était gênant. Il y a eu
ici, une formalisation progressive faite à partir des « problèmes rencontrés ».
Il y a les règles qu’on formule et celles qu’on se garde pour soi comme « ne
pas proposer de signer les dessins » ou « proposer l’anonymat ». Les explicites
et les implicites. Celles que les enfants comprennent à force de venir et
revenir et celles qu’il faut toujours répéter parce qu’elles sont difficiles à
appliquer. D’autre part, il m’a semblé parfois plus difficile de cadrer des
enfants qui sont sous la responsabilité de leurs parents.
J’ai parfois été prise de cours, mais il y avait dans
ces « accidents » de véritables occasions d’ouvrir des discussions
philosophiques, comme « Pourquoi on ne veut pas que les autres sachent ce qu’il
y a dans notre tête ? Est-ce qu’on aimerait savoir ce qu’il peut y avoir dans
la tête des autres ? » ou au sujet des règles « Est-ce qu’on est forcément viré
quand on ne respecte pas les règles ? ». Saisir le Kairos philosophique ne m’a
pas toujours été facile.
Par ailleurs, la ritualisation, les repères
temporels, spatiaux et matériels constituaient une sorte de cadre informel et
rassurant qui participe à l’instauration d’un espace protégé, où l’on se sent
en sécurité. Par l’expérimentation, parfois par l’observation, les enfants
comprenaient ce qui était possible : se poser des questions, proposer des
réponses, être en désaccord, découvrir la pensée des autres. La répétition des
rendez-vous a permis, pour certain·e·s, une observation préalable avant
l’engagement.
Concernant l’utilisation du micro, il a été très
stimulant pour la plupart des enfants, cela a participé à les positionner comme
« interlocuteurs valables » tout en donnant à leur prise de parole un caractère
engageant (« attends faut que je réfléchisse avant de parler »). Dans une
certaine mesure cela participait aussi à les amener à ralentir et à écouter les
autres (lenteur précautionneuse).
Remédiations
Pour garantir l’atmosphère bienveillante, venir à
deux animatrices pourrait permettre à l’une d’accueillir, rappeler les règles,
le fonctionnement, tandis que l’autre pourrait s’occuper de conduire la
discussion. Il serait aussi possible d’avoir un petit panneau avec des règles
de bases qu’on pourrait brandir, quand elles ne sont pas respectées et qui
serait visible pour les nouvelles personnes. Cela nécessite quand même que les
participant·e·s sachent lire.
Pour aller plus loin dans le développement de
l’estime intellectuelle de soi, les enregistrements audio pourraient constituer
des matières pour des montages audios diffusés sur une radio locale ou
simplement ré-écoutés lors d’un prochain atelier. L’utilisation du micro peut
aussi être utilisé de manière factice (sans enregistrement) simplement pour
amener une certaine solennité.
En inscrivant cette pratique sur une durabilité plus
longue, comme une année entière, à raison d’une fois par semaine par exemple,
il se pourrait que la philosophicité soit plus opérante. Il y a sur le terrain
d’aventure, une habitude de clôturer l’après-midi par une assemblée, entre le
rangement et le goûter. Dans la même idée, pourrait être institué le temps
philo, où l’on rassemblerait les enfants présents. Cela impacterait la
dimension volontaire, mais pourrait correspondre à une exigence d’implication pour
participer à cette aventure. C’est une des pistes formulées par l’animatrice
référente lors du bilan.
Tentative de répondre à la
problématique
C’est dans la présence répétée que peut se construire
un cadre propice à la philosophicité, les enfants sachant ce qui est attendu
peuvent oser participer et respecter les « règles du jeu », s’engager dans
l’exercice de la pensée. Même s’il n’y a pas de continuité vraiment possible,
il y a un « habitus » (Bourdieu, 1967) qui peut se construire et avoir des
effets sur l’appropriation des gestes philosophiques.
5.4.Mouvement et circulation libre
Questionnements, hypothèses
Peut-on mener une discussion alors que les enfants
vont et viennent librement ? Faut-il exiger une durée d’engagement pour entrer
dans l’atelier ? Les enfants peuvent-ils être attentifs et poser leur pensée
alors qu’il y a du mouvement autour d’eux ? Le groupe est-il indispensable pour
aller vers une philosophicité ? Faut-il aller vers les enfants ou les laisser
venir ?
Expérimentations
Avec le fonctionnement instauré, de libre circulation, il
arrivait que je passe de longs moments avec un seul enfant. Sans attendre qu’un
groupe se fasse, j’animais des sortes de dialogues philosophiques avec un seul
enfant. Avec Maya, c’est arrivé plusieurs fois. Parfois, nous allions chercher
les autres avec des moments d’interviews qu’elle menait. Par exemple pour
collecter des associations d’idées autour du mot cabane. Elle se prenait
vraiment au jeu et vouvoyait les adultes.
–Maya : Bonjour, j’ai une petite
question pour toi, si on dit le mot cabane, à quel mot tu penses ? –Rachid : maison –Maya
: Bonjour, j’ai une petite question pour vous, si on dit le mot cabane, vous
pensez à quoi ? –Léo : à arbre, je pense à arbre
directement –Maya : Bonjour, j’ai une question
pour vous, si on vous dit le mot cabane, vous pensez à quoi ? –Quentin : heu… avant tout à un abri finalement, question
de survie, pour fabriquer pour la nuit par exemple, ou… se rassembler autour
d’une cabane c’est bien aussi –Maya
: merci pour votre question… heu… pour votre réponse –Quentin
: de rien pour la question |
Il
y a eu aussi plusieurs moments collectifs, qui duraient en moyenne 20 minutes.
Parfois ça commençait à deux, puis d’autres se rajoutaient. C’était les moments
qui ressemblaient le plus à des ateliers philo tels que je les connaissais. Là
les enfants se confrontaient, pouvaient interagir, d’accord, pas d’accord… il y
avait une mini communauté (rarement plus de 6 enfants) dans un temps court.
J’intervenais beaucoup, pour recentrer la discussion, les amener à préciser
leur pensée, à problématiser. Leur capacité d’attention était limitée et en
même temps, il fallait du temps pour qu’une amorce philosophique puisse se
faire, souvent c’était juste au moment où ça prenait qu’ils partaient. Lors
d’un atelier, une enfant m’a demandé d’installer une petite tente (3 places)
qui faisait partie du matériel du site du terrain d’aventure. Les enfants se
posaient à l’intérieur et moi je restais dehors avec le matériel, visible pour
accueillir des potentiels nouveaux venus.
Il y avait aussi un phénomène de « disparition », les
enfants pouvaient être là, bien présent, puis
« disparaître » subitement, aller chercher une chose,
retrouver un autre enfant… Il arrivait que ce soit des petits groupes de 3 ou
4, et quand l’un e décidait de partir, les autres suivaient. Alors il ⋅ fallait que je reste mobilisée
pour les autres ou pour le seul enfant qui restait, et que j’accepte l’inachevé
avec ces « disparu·e·s ». Parfois, ils revenaient plus tard et reprenaient la
discussion en route. Lors du dernier atelier il n’y avait que trois enfants,
j’ai animé un débat mouvant sur la liberté, au bout de 15 minutes, Kaïs est
parti en criant « je démissionne ! » pour aller vers d’autres jeux.
Analyse
On voit dans ces exemples toute la complexité de ce
contexte en mouvement, où il a été très difficile de constituer des groupes.
Disons qu’il y a eu des « moments de groupe » furtifs, et que ces groupes
pouvaient se composer et se décomposer à chaque instant. Cette donnée rend
vraiment compliqué l’engagement nécessaire dans une réflexion collective. Sans
rester du début à la fin de la discussion les enfants n’étaient pas
véritablement confrontés à la complexité de la pensée, ni à l’épreuve de voir
son idée modifiée. Il y a aussi une perpétuelle agitation autour d’eux qui
empêche le cadre sûr, à tout moment la discussion peut être interrompue. Cette
agitation s’oppose aussi à la lenteur précautionneuse qui pourrait permettre
d’affiner sa pensée, prendre le temps, se poser. De plus les sollicitations
sont nombreuses (encore plus dans l’atelier de rue) ce qui incite à rendre «
l’activité » attrayante et aussi ce qui rend difficile la concentration. Des
discussions ont cependant eu lieu, étant parfois seulement axée sur la
recherche conceptuelle, mais témoignant d’une ouverture d’esprit et d’un
sincère étonnement.
En revanche, les moments avec un seul ou deux
enfants, étaient plus favorables pour prendre le temps de clarifier un
argument, de chercher les problèmes, de formuler des questions. La relation
duelle permettait d’avancer étape par étape sur le chemin de la pensée de
l’enfant, sans qu’il soit interrompu par les remarques des autres. Par contre,
il nous manquait la confrontation avec les autres. Bien qu’on ait pu aller
chercher des mots pour élargir la conceptualisation, à travers les moments
d’interviews, il ne s’agissait pas de contre-arguments.
Ma posture était très interventionniste, du fait que
le groupe soit très fluctuant, il était nécessaire de diriger pour garder un
cap et lorsque j’étais la seule interlocutrice, il fallait bien, au moins que
je pose les questions. Les discussions restaient souvent en suspens, sans
véritable conclusion ou réponse à la question. J’avais moi aussi du mal à fixer
mon attention, il fallait être à la fois avec ceux qui étaient présents et être
attentive à ceux qui pouvaient débarquer, pour discuter ou non…
Remédiations
Ici encore, travailler en duo, pourrait permettre de
mieux mobiliser les fonctions d’animation à la discussion chez une seule
personne, pendant que l’autre assure le reste des besoins. Cela améliorerait
peut-être la capacité d’attention à la discussion.
On pourrait aussi expérimenter d’exiger une durée
minimale pour participer, se poser, afin de limiter les mouvements permanents.
Avec l’entrainement et une durabilité plus longue,
mon positionnement pourrait être différent, je suppose que je pourrais confier
des rôles ou du moins laisser plus d’autonomie.
Relatif aussi à la question d’espace, il pourrait y
avoir une délimitation plus opérante que le tapis qui exigerait qu’on puisse
seulement entrer avec la volonté de participer. Une tente permettrait aussi de
limiter la déperdition d’attention, pour fabriquer comme une bulle. Cependant,
une telle installation peut aussi constituer un attrait pour le contenant et
non pour le contenu.
Les moments d’interview pourraient être construits
autour d’un argument posé par l’enfant, que l’on va confronter à d’autres
arguments « untel pense ceci parce que… et toi qu’en penses-tu ? », l’enfant
enquêteur pourrait disposer d’une série de questions de relance reliées à
l’argumentation.
Tentative de répondre à la
problématique
Il semblerait que pour qu’une philosophicité
apparaisse, il faut pouvoir supporter quelques contraintes permettant la
structuration de la pensée, comme le fait de se poser un certain temps, parce
qu’une véritable réflexion ne peut pas se faire en 5 minutes. Décortiquer une
idée, la formuler clairement, donner des exemples, chercher les problèmes, tout
cela exige un certain temps.
L’articulation avec
les autres, leur pensée, demande encore plus de temps mais enrichit la
réflexion.
Pour éprouver l’altérité, le groupe
ou une forme de confrontation avec d’autres est nécessaire.
5.5.La question des thématiques
Questionnements, hypothèses
Quels thèmes peuvent les intéresser ? Faut-il partir
des grandes questions existentielles ou de leurs préoccupations actuelles ?
Est-ce que je dois leur donner le choix ou leur imposer des thèmes ? Y a-t-il
des thèmes qui peuvent plus facilement conduire vers une philosophicité ?
Expérimentations
J’ai
animé mon premier atelier sans thème déterminé à l’avance, j’avais amené
plusieurs supports, mais je ne m’étais pas vraiment préparé à une thématique.
C’est une situation que j’ai déjà évoquée plus haut sur la question du nom.
Après un moment de flottement suite à mon installation, je m’approche de deux
adolescentes habituées de la Maison phare, qui préparent le goûter : des
beignets qu’elles font frire. Je m’installe près d’elles et leur propose de
commencer une discussion que j’enregistre. Je leur demande de quoi elles
aimeraient parler, sans réactions de leur part, je leur suggère la cuisine,
mais finalement l’une d’elles propose la religion. La fête de l’Aïd vient de
passer et elle commence par évoquer une situation où l’une de ses profs lui a fait
des remarques par rapport à ses habits (robes longues). La discussion dure
environ 30 minutes. Dans une démarche de généralisation progressive, nous avons
cherché ensemble à reformuler la question de départ qui était : « pourquoi des profs nous font des remarques
sur l’habillement ». Pour finir par : « pourquoi
on a des choses à cacher ? »
Pour les autres ateliers, j’ai choisi les thématiques à
partir de mes observations et de ce que je présupposais pouvoir intéresser les
enfants dans ce contexte. Des sujets qui concernaient leurs activités (pourquoi
on joue ? C’est quoi l’aventure ? Pourquoi construire des cabanes ? Grandir, on
aime ou pas ?), leur environnement ( Quels sont les liens entre Humains et
Nature ? Faut-il prendre des risques ?) et des questions existentielles (C’est
quoi penser ? La liberté est faire tout ce qu’on veut ?). Les questions étaient
plutôt d’ordre conceptuel, mais dans la discussion surgissaient d’autres
questions plus problématisantes, comme :« les
chefs peuvent-ils être virés ? » donnant lieu à une argumentation à deux
voix :
–Alba : s’il fait beaucoup de
bêtises… –Nina : tu peux donner un exemple de
bêtises ? –Alba : s’il est pas responsable de ce qu’il sert ou de ce
qu’il gère, bah il est viré –Mélissa : un chef on peut
le virer s’il est pas là depuis plusieurs jours, –Nina : donc l’absence –Mélissa : oui, aussi l’attitude, s’il est méchant avec
nos patients, heu… nos clients, s’il est irrespectueux avec nos clients, s’il
dit « tiens ton café » ou si quelqu’un demande un café et lui il donne une
tisane… –Nina : ha oui, s’il se trompe, s’il
fait des erreurs ? –Mélissa : non, s’il le fait exprès,
s’il l’a pas fait exprès c’est OK –Alba : aussi s’il respecte pas la nourriture, s’il dose
pas bien le sucre, ou s’il en met trop, il gaspille –Nina : oui, le gaspillage –Alba : bah, c’est pas bien, c’est détestable, c’est pas
bien de gaspiller, c’est détestable. Aussi par exemple si un chef, il répond
à quelqu’un par des insultes, ben c’est pas bien. La dernière fois, y a eu
des voleurs, c’est pas bien, moi je les ai disputés, je les ai bien grondés,
mais y’avait des chefs, ils ont insulté leur mère. Moi j’ai dit « toi, t’es
viré ». –Nina : donc l’insulte, le
non-respect des autres, ce serait vraiment une raison de virer un chef. –Mélissa : oui aussi si y a une personne elle demande une
tisane et que le chef il la boit, c’est pas bien. |
Analyses
On peut supposer que l’inconnu, le cadre informel et
l’hésitation m’ont poussé à vouloir improviser. Sans que les participant es
connaissent la pratique des ateliers, leur proposer de choisir ⋅ un thème m’a semblé risqué. Ici
j’ai été assez désarçonnée par le choix des jeunes filles, mais en les écoutant
j’ai pu comprendre qu’il correspondait à une préoccupation concrète. Ce qui
correspond au principe intrinsèque de motivation, développé par Dewey puis par
Lipman, ainsi, « l’activité éducative doit se placer dans l’exacte continuité
de l’expérience enfantine, de ses intérêts et aspirations » (Hawken, 2019).
Pour autant je ne me sentais pas vraiment prête à explorer une question
socialement vive (QSV), encore moins sur le sujet de la religion. J’ai donc
pris le parti de les guider pour expérimenter la problématisation, via la
reformulation des questions, à partir de l’approche de la réfutation
socratique. Comme Socrate, je me positionnais comme ignorante (ce qui était
vrai concernant l’islam) et jouais d’un questionnement incessant visant à
mettre à jour une sorte d’ « ignorance ». J’avais véritablement le sentiment
d’être un « taon qui agace et titille » (Platon, 399 av.J-C). Du fait que
j’interrogeais leurs croyances, elles auraient pu me rejeter, mais bien
qu’elles puissent être dérangées, elles ont persévéré. Ceci étant, je n’avais
pas envie de me confronter au même malaise. Il me semblait aussi que mon
exploration au préalable d’une thématique ou d’une problématique pourrait me
permettre de mieux improviser et d’être plus à l’écoute. J’ai donc assumé le fait de choisir les
thématiques à l’avance, de préparer mes ateliers, mes supports, ce qui me
donnait en quelque sorte un cadre.
Pour ce qui est des questions-titres posées en début
d’atelier, elles donnaient parfois lieu à de simple catalogue de réponses, mais
cela a permis aussi de nuancer les représentations. La question de départ très
axée sur la conceptualisation « c’est quoi l’aventure » avait tendance à
limiter la réflexion à ce stade dans un premier temps. Quand les enfants «
entraient » dans la discussion, il y avait des problèmes soulevés et cela
entraînait d’autres questions que je pouvais leur poser. On peut avoir ici, une
argumentation des raisons qui peuvent pousser à virer un e chef fe.⋅ ⋅
Remédiations
L’observation et la discussion avec les animateur
ices référent·e·s de la structure pourrait ⋅ permettre
de déceler quelques préoccupations prégnantes capables d’orienter le choix des
thématiques.
La boîte à questions que j’avais mise en place aurait
aussi pu être une source d’inspiration, mais elle nécessite des explications
sur ce qu’est une question philo, soit un temps que je n’avais pas. Par contre,
on peut supposer que dans la durée, les enfants saisissent mieux les attendus
et puissent proposer des questions philosophiques. Restera encore le problème
que les enfants ne soient pas là le jour où l’on pose la question qu’ils ont
proposée.
La piste de l’improvisation requiert d’être suffisamment à
l’aise avec les notions philosophiques pour réussir à explorer toutes les
pistes soulevées par les participant·e·s. Ou de se concentrer sur une habileté
de pensée, comme la problématisation ou la reformulation, en verbalisant : «
aujourd’hui on ne répondra pas à la question, mais on va s’entraîner à… »
Tentative de répondre à la
problématique
Si le cadre informel des ateliers philo hors les
murs nécessite une certaine improvisation, il n’empêche pas de préparer son
atelier dans le but d’atteindre la philosophicité tout en s’adaptant à ce qui
émerge. Que ce soit les thématiques, les supports, les questions de relance,
toutes ces préparations vont permettre aux participant·e·s de prendre de la
distance par rapport à leur vécu, d’universaliser leurs questionnements et
d’utiliser une méthode pour y répondre. Choisir la thématique, c’est proposer
un cadre de réflexion dans lequel les enfants seront libres d’exprimer leur
pensée. En proposant des thématiques autour de mots, on risque de stagner
autour de la conceptualisation, alors que si on propose une question
problématisante, où il y a une tension, les participant es seront rapidement
motivé es à apporter des arguments.⋅ ⋅
5.6.Approches et postures
Questionnements, hypothèses
Y a-t-il des approches plus opérantes pour garantir
une philosophicité ? Faut-il répéter une approche plusieurs fois pour que l’on
s’y sente à l’aise ? Doit-on signifier qu’on change d’approche ? Quels
objectifs peut-on avoir ? Est-ce que l’utilisation de supports aide à aller
vers une philosophicité ? Lesquels sont les plus opérants ? Peut-on apporter du
contenu philosophique ? La posture est-ce une forme de cadre ? Comment la
posture peut conduire vers une philosophicité ? La posture doit-elle toujours
être la même ou peut-elle évoluer au fil du temps et des aléas ?
Expérimentations
J’ai
pu m’inspirer de l’approche de la CRP en l’adaptant, puisque la « communauté de
recherche » au sens Lipmanien n’est vraiment possible qu’avec un groupe.
Cependant, lors d’un moment en duo avec Maya, le procédé y ressemblait
fortement, avec la lecture d’un album, Un jour Parfait, la formulation d’une
série de questions : « Est-ce que l’aventure se prépare ? Est-ce que l’aventure
c’est toujours un voyage ? Est-ce que l’aventure c’est forcément dangereux ?
Estce que l’aventure c’est un défi ? Est-ce qu’il y a des bonnes et des
mauvaises aventures ? Est-ce que l’aventure c’est toujours rencontrer quelqu’un
? ». Elle a choisi une première question, puis a commencé une argumentation : «
l’aventure c’est quelque chose que t’as envie de faire, qui se poursuit, qui se
départ par quelque chose et que ça finit par quelque chose ». En donnant un
exemple : « imagine ton projet, c’est de partir en Espagne. Ben, tu départ par…
par économiser de l’argent et après pour terminer, t’es en Espagne et tu
t’amuses ». Elle a même pu imaginer ce que les autres pourraient penser : « pour moi l’aventure ça se fait seul, parce
que je pense qu’y a certaines personnes qui vont se dire… enfin je suis pas
dans leurs têtes…mais y’a qui se diraient, ça se fait à plusieurs ! ». Pour
finir, elle a essayé une métaphore : « une aventure c’est aussi créer quelque
chose, par exemple, une personne qui dit toujours « je veux toucher les étoiles
», et son aventure c’est de faire plein de choses et chaque chose elle appelle
ça une étoile, et pour elle c’est une aventure. » Ensuite, d’autres enfants
nous ont rejoint, et c’est elle qui posait les questions qu’elle avait
formulées, que j’avais écrites.
Je
me suis aussi beaucoup inspiré de la réfutation socratique, en menant des
dialogues à destination d’interlocteur ices privilégiées (un ou ⋅ deux
enfants), notamment dans le tout premier atelier autour de la religion et d’un
interdit. Mes questions pour tenter de remettre en question ce qui leur
paraissait évident étaient : Et tu sais pourquoi ? Et pourquoi c’est pas bien ?
Est-ce qu’il y a une explication ? T’es-tu déjà posé la question, pourquoi
c’est interdit ? Ça te questionne pas pourquoi ? Est-ce qu’on peut imaginer
qu’il y aurait une raison ?
Lors
du dernier atelier, construit autour d’un débat mouvant à propos de la liberté.
Il y avait trois enfants, Maya, Mélissa et Kaïs (son petit frère). C’était le
dernier jour où j’intervenais. Hélène l’animatrice référente n’avait pas laissé
le choix aux enfants de participer, « c’est le dernier jour où Nina est avec
nous, alors vous y allez ! ». J’avais préparé des affirmations écrites sur des
petits papiers, installé une corde et disposé d’un côté un panneau « Je suis
d’accord » et de l’autre « je ne suis pas d’accord ». J’ai pris le temps de
leur expliquer le dispositif du débat mouvant, sous forme de jeu : on doit
toujours argumenter sa position, on a la possibilité de changer de côté en
écoutant les arguments des autres (et en expliquant pourquoi). Les enfants
piochaient des papiers et je les interrogeais. Kaïs a bien participé mais au
bout de 10 minutes, il est parti, en criant « je démissionne ». Les deux plus
grandes (10 ou 11 ans) sont restées près de 45 minutes. Elles ont notamment
discuté de l’affirmation « c’est l’argent qui rend libre ». Mélissa a commencé
en argumentant que l’argent peut nous aider à subvenir à nos besoins : « avec
l’argent, on peut, s’acheter des choses, alors que sans argent, on peut pas
s’acheter. Par exemple, les produits d’hygiène, les gels douche et tout, ben
sans l’argent on peut pas se l’acheter. Et la nourriture, aussi, bon après ça
on peut trouver dans la nature aussi. » Elle a ainsi fait une connexion entre
« bien être » et «
liberté ». Maya était de l’autre côté de la ligne, et a d’abord utilisé un
adage :
« moi je suis pas d’accord, parce que…
comme on dit l’argent fait pas le bonheur… ben, tu peux… on va pas dire vivre
sans argent, mais tu peux être libre sans avoir de l’argent entre les mains ».
Je leur ai demandé de donner des exemples de situations où elles se sentaient
libres sans dépenser d’argent, elles ont évoqué « l’imagination, la liberté de
parler » et Mélissa à qui je venais de faire remarquer qu’elle changeait de
côté de ligne a repris : « ben après avec l’argent t’es mieux, t’es plus libre,
tu peux faire plus de trucs, d’activités, mais là on a pas payé ». « Là »
signifiait le terrain d’aventure. Pour argumenter, elles on dit ensemble : «
ben on peut faire un peu ce qu’on veut, on est autonome, on peut faire de la
balançoire, on peut bricoler, on peut jouer, on est libre… ». Donc cette fois,
elles utilisent le concept d’autonomie. Je leur rappelle qu’elles avaient
mentionné l’existence de règles sur le terrain, et je leur demande « et ces
règles ça vous empêche pas d’être libre ? » elles ont répondu unanimes, « non
». On est passé à un autre papier ensuite.
Pour
ce qui est de l’approche ARCH, je ne l’ai pas vraiment mise en place, mais je
m’en suis inspiré pendant un moment lors de l’atelier sur les cabanes, sans
pour autant utiliser ni le bâton de parole, ni le micro. J’écrivais seulement
leurs propositions au fur et à mesure sur le cahier. La question avait été
posée par un enfant, je l’ai simplement redite.
–Nina : Est-ce qu’une cabane peut être une maison ?
–Rina : les maisons
c’est pas dans les arbres
–Rayan : dans une
cabane y a pas de toilette
–Ayem : une cabane
c’est dans la nature, pas en ville
–Rina : oui mais y a
la cabane pour les petits dans la maison, dans le jardin
–Ayem : et aussi les
cabanes qu’on fait avec les draps
–Rayan : une cabane
c’est que pour les enfants
–Rina : non c’est pour
tout le monde
–Ayem : ici dans les
cabanes ‘y a des règles, faut demander la permission à qui l’a construite…
Analyse
On constate dans ces exemples que certains ateliers ont
privilégié une approche plutôt qu’une autre, mais en fait, comme il y avait
plusieurs moments, j’ai surtout mélangé les approches et les postures.
Le support album jeunesse permettait d’ouvrir la
pensée d’un enfant seul, mais aussi de canaliser quand il y avait un groupe. La
cueillette de questions a été là un véritable objectif « je vais lire
l’histoire et tu vas me dire toutes les questions que ça peut te poser ». Ainsi
Maya est entrée pleinement dans l’habileté de problématiser. On voit ici aussi
que l’absence d’autres participant·e·s peut être comblée par « l’invocation »
d’autres et venir nous aider à imaginer les contre-arguments possibles. Même si
ici Maya ne va pas aussi loin, elle l’imagine.
Le débat mouvant lui ne s’appuie sur aucun support,
mais par sa forme il favorise plusieurs marqueurs de philosophicité. Ainsi, la
nécessité de se placer d’un côté ou de l’autre, impose une certaine lenteur, du
moins un temps réflexif. Ensuite, en commençant sa phrase par « je suis
d’accord parce… » ou « je ne suis pas d’accord parce que » les enfants entrent
facilement dans la recherche d’arguments, il faut parfois les aider à les
affiner, mais globalement, ils saisissent bien le geste philosophique. En ayant
la possibilité de passer d’un côté ou de l’autre, les enfants perçoivent que
leurs idées peuvent bouger, s’influencer et cela les incite à écouter les
arguments des autres. On remarque les liens notionnels que font Mélissa et
Maya, comment elles ont pu à la fois être dans la confrontation d’idées et se
nourrir, s’influencer des idées de l’une et de l’autre. Mes questionnements
dans cet extrait poussent uniquement à donner des exemples ou clarifier les
liens entre leurs arguments et l’affirmation de départ. J’aurai pu continuer
d’interroger le lien entre liberté et règles, mais le format jeu du débat
mouvant implique aussi une certaine dynamique. Le fait qu’il se présente comme
un jeu est un atout considérable, d’autant plus qu’il mobilise le corps et induit
des déplacements. J’ai utilisé d’autres jeux, comme la roue des jeux ou la
toise pour « Grandir » qui ont moins accroché les enfants lors des ateliers de
rue.
Concernant la DVDP, je ne m’en suis pas du tout
inspiré, la mise en place me paraissait trop formelle pour ce contexte.
Ma posture est restée celle de non-sachante et j’ai
remarqué que les enfants n’attendaient pas de réponse de ma part, ou n’étaient
pas dans la recherche d’une réponse attendue.
Remédiations
Je pourrais essayer la forme DVDP en donnant des
rôles, j’avais pensé par exemple au rôle de l’avocat du diable (proposé par J.
Hawken dans 1,2,3 pensez !), ou bien au reformulateur. Ces rôles peuvent être
facilement mis en place, ils donnent un caractère engageant et en même temps,
on peut passer le relais à un autre enfant.
Tentative de répondre à la
problématique
Pour favoriser la philosophicité dans les ateliers
hors les murs, on peut s’appuyer sur des procédés issus des différentes
approches. Cela donne une forme et aide à conduire la discussion. De plus en
formulant des objectifs clairs, comme « on s’entraîne à problématiser » ou « on
laisse les idées des autres nous influencer » ou encore « on répond à une seule
question », la visée philosophique de la discussion sera plus opérante.
5.7.Synthèse de mes analyses
En me plaçant dans l’environnement de jeu des
enfants, j’ai pu à la fois leur donner une occasion de penser leur vécu tout en
universalisant leurs questionnements. Étant extérieure et non référente, ils
détenaient un savoir expérientiel qui me plaçait d’emblée dans une posture «
ignorante ».
L’hésitation de nommer mon action « atelier de philo
» s’est finalement transformé en une nécessité de nommer les gestes
philosophiques, que ce soit en amont lors de la présentation, en cours de
route, pendant la pratique, ou à la fin dans un retour sur ce qui a été vécu.
L’important étant de transmettre l’art de philosopher.
Le cadre informel m’a posé un certain nombre de
difficultés et d’inconforts, mais j’ai pu mesurer la puissance de la
ritualisation qui constitue en soi une forme, et la possibilité de poser les
limites au fur et à mesure, pour garantir l’atmosphère bienveillante. Un
processus de formalisation a pu se faire par la répétition des rendez-vous et
des repères donnés.
Concernant ma posture, j’ai dû être à la fois très
interventionniste pour conduire les enfants dans la manipulation des habiletés
de pensée. L’absence de groupe constitué, m’a obligé à expérimenter des formes
minimalistes ou des dialogues à deux et à saisir les moments collectifs. Cela
m’a demandé une attention constante, une adaptation et une souplesse
permanente. J’ai pu comprendre ce qu’on appelle « l’art de saisir l’occasion »
et la nécessité d’improviser.
Il y a des marqueurs philosophiques qui ont été
plus ou moins opérants, certains comme la lenteur précautionneuse, exigerait
des aménagements différents.
6. Conclusion
Il est temps de
répondre à ma question initiale : quelle
philosophicité est possible dans la pratique hors les murs ?
Il m’a semblé à travers cette courte expérimentation,
que les enfants peuvent être volontaires pour l’exercice de la pensée en dehors
du cadre scolaire, en dehors d’une institution, en dehors d’une volonté
parentale. La pensée peut s’inviter sur le terrain de jeu et devenir un
apprentissage informel. Je ne peux pour autant pas affirmer que cela
contribuerait à inciter les enfants à s’impliquer dans des ateliers philo plus
formels, il faudrait un temps plus long pour observer ce genre d’impact.
Je reconnais que la pratique philosophique hors les
murs comporte de nombreux freins à la philosophicité, comme la difficulté à se
poser, à prendre le temps de penser et à faire groupe. Cependant, l’exigence
philosophique peut être soutenue par l’utilisation d’un panel de procédés issus
des diverses méthodes et en adoptant une posture rigoureuse (attention,
adaptation, improvisation). Il me semble aussi que la mise en place
d’aménagements innovants pourraient y contribuer.
Enfin plus que tout, l’inscription dans un temps long
serait nécessaire. Ainsi la ritualisation prendrait tout son sens et
favoriserait l’appropriation d’une méthode philosophique par les enfants. C’est
ainsi que l’ambition de démocratiser la pratique philosophique pourra se faire,
en complémentarité, dans l’école et hors de l’école.
Rendre la philosophie accessible c’est aussi
rejoindre la visée émancipatrice qui m’est chère et qui m’a conduit à mener ce
projet en lien avec une structure de l’éducation populaire.
Aussi, je souhaite poursuivre ces «
tentatives », ces « approches », qui n’ont pas la prétention d’atteindre une
philosophicité aboutie, mais dont l’intention est de donner goût et d’ouvrir
l’appétit.
Et comme la philosophie est ce questionnement
incessant, je m’attèlerais à explorer des questions qui ont surgi au cours de
cette réflexion : Qu’est-ce qui favorise l’émancipation dans la pratique
d’ateliers philo ? Peut-on conjuguer le plaisir et la rigueur de penser ? En
quoi le volontariat et l’agentivité peuvent favoriser la philosophicité ?
7. Bibliographie
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Bourdieu P. (1967)
8. Annexes
Annexe 1 : Tableau des marqueurs de philosophicité
Le processus de conceptualisation : il s’agit de se représenter l’idée ou l’objet (matériel ou
H
mental), de partir du réel puis
d’en dégager une vision abstraite, de déterminer ses contours, ce 1 qu’on en connaît, de tenter de
définir, d’exemplifier, nommer les éléments qui le composent, décrire ses
attributs, préciser ses spécificités, ce qui le distingue. C’est en fait,
sortir du langage commun, interroger l’écart entre “le mot et la chose”, observer
la polysémie. Ceci est souvent un préalable, qu’on puisse s’entendre sur les
mots avant d’entrer dans une discussion, de soulever des problèmes, mais
c’est en réalité déjà une discussion et le concept “prend sens par le
problème qui le travaille”. |
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Le processus de problématisation : c’est avant tout
se poser des questions, s’interroger, s’étonner. Une question sera philosophique, si
elle demande une réflexion, n’aura pas de réponse immédiate 2 et pourra toujours être remise en question, qu’elle doit concerner tout le monde, sinon beaucoup de monde (pas réservé à un cercle fermé), et elle renvoie à notre existence humaine. Il sera difficile d’y répondre. On pourra questionn TABLEAU MARQUEURS PHILOSOPHICITÉer la question, les présupposés
qu’elle comporte, sa formulation. Il
s’agit aussi dans la problématisation, de mettre en doute ses opinions,
certitudes et celles des autres. C’est en fait, chercher quels sont les
problèmes qu’on peut soulever autour d’un concept, d’une notion. |
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Le processus d’argumentation : c’est un raisonnement destiné à prouver ou
justifier une 3 affirmation. Il cherche à répondre
à un problème posé, il commence souvent par le connecteur “parce que”.
Contrairement à l’argument rhétorique qui cherche à convaincre, l’argument
philosophique a pour objectif d’approfondir sa pensée. En ce sens, il ne relève
pas d’une certitude, mais provient d’une hypothèse, une supposition, une
spéculation. Il nécessite de clarifier, d’expliciter, de mettre en cohérence
ses idées, de relier des concepts utilisés entre eux. Les arguments
s’articulent autour d’une démonstration, qui peut s’appuyer sur des exemples,
suite à quoi ils sont examinés, on vérifie leur validité, on teste leur
force, leur faiblesse. Il existe plusieurs types d’arguments qu’on peut
vouloir rejeter, parce qu’illogiques, d’autorité, fallacieux, irrationnels,
etc. |
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A
B
I
L
E
T
É
S
DE
P
E
N
S
É
E
Données extraites des
ouvrages : Tozzi, M. (2020) - Hawken, J.(2019) - PhiloCité (2020)
4 5 |
L’ouverture d’esprit: cela correspond à la capacité à accueillir les
idées des autres, à les voir comme complémentaires, contribuant à la
réflexion collective. Sentir que nos idées peuvent être influencées et
nuancées. Il s’agit de pouvoir “mettre en pause” son jugement “pour donner
une chance à l’idée divergente”. La lenteur
précautionneuse: c’est accepter de rompre avec le rythme habituel,
prendre le temps de “penser l’humanité”. Cela implique de ralentir, c’est
aussi une exigence pour que la prise de parole soit un cheminement, un
“processus de pensée” qui se fait avec “délicatesse, subtilité et |
6 |
justesse”. Il convient aussi de
laisser la place au silence. Le fait de se poser, par le corps et la pensée. Le
développement de l’estime intellectuelle de soi: il est
essentiel de reconnaître l’enfant comme « interlocuteur valable », capable de
penser, de porter une parole sur le monde, en tant qu’humain parmi les
humains. En leur donnant cette légitimité, les succès cognitifs auront des
effets indubitables et durables sur l’estime de soi. C’est aussi parce que
les enfants se confronteront à la complexité, à la difficulté de résoudre des
problématiques, qu’ils s’estimeront fiers d’avoir parfois |
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réussi, et même parfois rejoindront par leur pensée
des philosophes de tous les temps. |
7 |
L’atmosphère
bienveillante et pluraliste: construire des espaces protégés
du monde où l’on peut se sentir en sécurité pour penser, discuter, exprimer
sa singularité, découvrir l’altérité. La pluralité, les divergences, les
désaccords peuvent ici exister, il s’agira de dédramatiser, pour les laisser
s’exprimer en toute sérénité. La création d’un espace d’expression se doit
d’offrir des droits et des |
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limites, pour que cela soit fructueux pour le
collectif. |
8 |
Saisir le
Kairos philosophique c’est à dire le moment opportun, propice. C’est en
fait “pratiquer “l’art de l’occasion” et de s’atteler à débusquer et
travailler tout se qui pose problème ou question dans l’exercice
philosophique proprement dit.” Ce qui nécessite de se détacher de sa
préparation, ne pas vouloir mener le groupe quelque part, faire le deuil
d’une maîtrise, sans toutefois ne jamais renoncer à animer le groupe,
l’accompagner pour activer les processus de pensée. |
9 |
Se positionner comme "maître ignorant" (J. Rancière) pour faire circuler le désir
de penser des participant es sans être dans la recherche de la bonne réponse.
“La seule vraie transmission du ⋅
“maître” tient donc à l’art même de philosopher, c’est à dire de se
questionner sans fin sur la vérité de ce que l’on pense.” Ainsi par la
pédagogie du dialogue, l’animateur ice invite à intérioriser ce ⋅ dialogue critique de la pensée, devenir autonome
pour problématiser ses propres idées. |
P
O
S
T
U
R
E
S
ET
A
T
T
I
T
U
D
E
S
Données
extraites des ouvrages : Tozzi, M. (2020) - Hawken, J.(2019) - PhiloCité (2020)
36
Annexe 2 : Schémas des marqueurs de philosophicité
Annexe 3 :
Fiche de préparation d’un atelier
LA Liberté – terrain d’aventure
PUBLIC (âge-nbre) : 7-14 DURÉE : ? LIEU : terrain d’aventure ORGA SPATIALE (cercle,
rôles..) |
OBJECTIFS GÉNÉRAUX écouter et prendre la
parole / échanger des idées / réfléchir à plusieurs à un thème / poser des
questions / se sentir capable de penser (par soi-même) / affirmer sa pensée
en argumentant / oser dire qu’on n’est pas d’accord / |
MATÉRIEL corde pour débat mouvant Albums : Chèvre de Mr Seguin texte : Anneau de Gygès |
DÉROULÉ 1. débat
mouvent 2. Si… Alors 3. Photolangage
4. lectures 5. écriture
d’aphorismes inspirés de la discussion pour conclure |
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MOTS CLÉS (notions- valeurs) Responsabilité
– désir – limites – éthique – conséquences - |
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RESSOURCES
UTILISÉES |
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SUPPORT 1 Débat
mouvant : Affirmations sur la liberté - chacun son tour
pioche une affirmation, temps de réflexion, positionnement autour de la
corde, argumentation, changement de côté ? |
SUPPORT 2 Si … Alors Conséquences de
la privation d’une liberté papier à piocher (type de liberté) puis faire
deviner aux autres. Si je n’avais pas cette liberté alors…. |
SUPPORT 3 Photolangage Chaqun
choisit une image qui représente le plus la liberté |
SUPPORT 4 Albums : Chèvre de Mr Seguin,
Mythe de Gygès > et toi que ferais
tu dans cette situation ? |
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Questions conceptualisantes |
Questions Problématisantes |
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→ Qu’est-ce que la liberté ? Donne des
situations → Existe-t-il
plusieurs types de liberté ? → La liberté
est-ce un état physique, psychologique, un sentiment, un acte ? → Satisfaire tous ses désirs est-ce être
libre ? → Être
libre, est-ce avoir le choix ? →
Quel lien entre la liberté et la
responsabilité ? →
Le contraire de la liberté ? Donne des
situations → Est-on plus libre quand on est enfant ou
adulte ? → Quel lien
peut-on faire entre liberté et choisir ? →
Quel lien peut-on faire entre liberté et
responsabilité ? → |
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La liberté existe-t-elle ? Peut-on se sentir libre quand il y a des
règles ? Les limites à notre liberté sont-elles
nécessaires? Les règles viennent-elles toujours de
l’extérieur ou peut-on s’imposer des règles à soi-même ? (lesquelles?) Que
serait le monde sans interdits? à quoi servent les règles ? Pourrait-on
vivre sans règles ? Peut-on être libre seul (ex. Robinson
Crusoé) ? Peut-on être libre ensemble ? Choisit-on d’être libre ? Devenons-nous libres ou Naissonsnous libres ? La liberté peut-elle être une illusion ? Peut-on croire qu’on est
libre alors qu’on ne l’est pas ? La liberté peut-elle être une contrainte ?
Comment l’autre conditionne-t-il ma liberté ? |
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Peut-on sacrifier sa liberté pour la liberté ? |
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Peut-on se sentir libre en prison ? Dans une
dictature ? |
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Qu’est-ce qui peut nous permettre d’être libre ? |
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Peut-on s’empêcher soi-même d’être libre ? |