Diplôme Universitaire 2023/2024
Animer
et concevoir des ateliers de philosophie avec les enfants et adolescents à
l’école et dans la Cité
Connaître
les biais cognitifs pour éviter d’influencer les enfants et les adolescents
dans notre posture d’animateur d’atelier de philosophie
Impartialité ? Neutralité ? « Ruse » ?
Peut-on animer des ateliers de philosophie avec les
enfants et les adolescents sans les influencer ?
Présenté
par Anne ROCHE
Sous la
direction de Charlie RENARD
Août 2024
Remerciements
Je tiens à remercier Edwige Chirouter pour la mise en
place de ce DU, animer et concevoir des ateliers de philosophie avec les
enfants et adolescents à l’école et dans la Cité, ainsi que toute l’équipe
pédagogique, pour la qualité de leurs enseignements. Même si ce n’est pas
toujours facile de faire des études tout en travaillant, j’ai beaucoup apprécié
toutes les évaluations, elles nous ont obligés à approfondir, chacune dans une
nouvelle direction. L’élaboration de ce mémoire m’a énormément éclairée sur ma
posture dans l’animation d’ateliers de philosophie. Un grand merci à Charlie
Renard pour son accompagnement dans la production de cet écrit, merci pour la
disponibilité, les conseils, la bienveillance et les encouragements. Merci à
tous de m’avoir donné des clés pour entrer dans ce monde de l’animation
d’ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents.
Je remercie également tous les étudiants de cette
promo 2023-2024, pour la bienveillance, la solidarité, pour la richesse des
échanges, en cours, en collocation, en soirée ou en GEASE. Le 23 ocobre 2023,
premier jour de cours pour ce DU, j’ai dit être enthousiaste comme une enfant à
son premier jour de colo, et c’est la colonie la plus réussie de ma vie !
Je remercie Nancy Garnier et Benoît Ribes de m’avoir
accueillie dans leur école, de m’avoir fait confiance et laissé carte blanche
avec leurs élèves. Un grand merci à tous les élèves également pour tous ces
moments d’ateliers.
Je remercie mon conjoint, Valéry et mes enfants, pour
m’avoir soutenue et supportée dans les moments de stress tout au long de cette
année.
Et enfin un grand merci à
Pascale, Mélo, Anne et mon Papa pour leur relecture de ce mémoire, et leur
retour très précieux !
Sommaire
Introduction…….…………………………………………………………………………….. 4
1. Posture de l’animateur d’ateliers
de philosophie………………....……………...……… 5
1.1. Une recherche d’équilibre ....…………………………………………….………………..
5
1.2. Abandon de la posture de sachant ....……………………………………………………...
8
2. Les biais cognitifs ....……………………………………………………………………….
10
2.1. Qu’est-ce
qu’un biais cognitif ? Pourquoi notre cerveau fonctionne ainsi ? ....…….…….. 10
2.2. Les
biais cognitifs à connaître pour la posture d’animateur ....…………………….……... 11
2.2.1.
Le biais de confirmation ....……………………………………………….…….. 11
2.2.2.
Le biais de cadrage ....…………………………………………………….…….. 13
2.3. Les
biais cognitifs à l’intérieur du dialogue philosophique ....…………………….……... 16
2.3.1.
Biais d’ancrage ....………………………………………………………………. 16
2.3.2.
Effet de cascade ....……………………………………………………………… 17
2.3.3.
Le paradoxe Condorcet ....……………………………………………………… 18
3. Analyse de la pratique ....…………………………………………………………………. 21
3.1. Mise
en pratique de la théorie ....…………………………………………………………. 21
3.2. Zoom
sur des moments d’ateliers ....……………………………………………………… 27
3.2.1.
Mon attitude suite à la réaction des élèves (CM1/CM2)
sur la couverture de
Yakouba ....……………………………………………………..……………...… 27
3.2.2.
Illustration du biais de cadrage ....…………………………………………….… 29
3.2.3.
Zoom sur l’atelier avec le support Jean de la Lune avec
les CP/CE1 ....……..…
31
Conclusion ....…………………………………………………………………………………. 32
Bibliographie ....………………………………………………………………………………. 34
Annexe
1 : analyse d’actes de langage moralisateurs ....…………………………………….... 35
Annexe
2 : « Thog problem » ou problème du Schmilblick ....………………………………. 36
Annexe 3
: Description de l’atelier basé sur l’anneau de Gygès ....…………………………. 38
Annexe
4 : Liste des différents ateliers avec les CM1/CM2 ....…………………………….… 39
Annexe
5 : Liste des différents ateliers avec les CP/CE1 ....………………………………….. 43
Annexe
6 : Verbatim du début de l’atelier avec l’album Yacouba avec les CM1/CM2 ....….... 46
Annexe 7 : Verbatim de l’atelier avec
l’album Jean de la Lune avec les CP/CE1 ....………… 49
Introduction
Personnellement, j’ai le
sentiment d’avoir commencé à exister, en tant que MOI, à 18 ans. Âge où j’ai
pris conscience que je pouvais penser par moi-même, que mon opinion pouvait
avoir de la valeur, que je pouvais remettre en question la morale qu’on m’avait
transmise. En écrivant ces lignes, je prends conscience que dans mon éducation
il était sous-entendu qu’on était adulte à 18 ans et qu’alors, seulement, on
devenait un interlocuteur valable !
Ce fût une période compliquée, j’ai dû me décharger
d’une morale qui ne me correspondait pas. Une morale présente consciemment et
inconsciemment. Quand je suis devenue mère, il m’a semblé fondamental d’élever
mes enfants avec mes valeurs, mais sans surcharger leurs épaules. Ils étaient
des interlocuteurs valables, des êtres à part entière. Ainsi, avec leur père,
nous nous sommes efforcés à ce qu’ils développent leur pensée, leur esprit
critique.
Je suis enseignante en Mathématiques et j’ai les même
attentes avec mes élèves : qu’ils développent leur pensée et leur esprit
critique. Seulement ils sont nombreux à avoir des barrières face aux
Mathématiques, il leur est impossible de goûter à ce plaisir de penser, ce
plaisir du raisonnement, de la démonstration Mathématique. J’ai envie qu’ils
découvrent par eux même que penser peut être agréable, peut être intéressant
voire passionnant, et que ça peut aider à vivre bien. Pour beaucoup, surtout
pour les élèves en difficultés, les Mathématiques leur semblent un casse-tête
inutile sans intérêt, ce n’est que labeur, répétition, oublis et échec. J’ai
découvert l’existence des ateliers de philosophie avec les enfants en lisant le
livre de F. Lenoir (2020) « Philosopher et méditer avec les enfants ». Je suis
partie du présupposé que les questionnements sur la vie, sur le monde, sur les
interactions dans le monde, peuvent révéler chez les élèves cette envie de
penser. Ce que confirme E. Chirouter (2015, p.48) « La philosophie, parce
qu’elle donne un supplément d’âme à toutes les autres disciplines, parce
qu’elle parle du cœur et du sens de toute chose, devrait accompagner et non
couronner l’enseignement ». Seulement, en lisant les récits des ateliers de
Frédéric Lenoir, par moments, j’ai trouvé sa posture orientée, selon moi, il
faisait une leçon de morale. Ma crainte dans l’animation d’ateliers de
philosophie est justement, de les transformer en leçons de morales, de leur
transmettre mes valeurs. Ce fût le même questionnement que je me suis posé pour
l’animation d’éducation à la sexualité : comment les amener à réfléchir, à
poser leurs questions sans que ce soit chargé en jugement moral. Finalement la
formation proposée par l’éducation nationale pour être animateur des séances
d’éducation à la sexualité m’a apporté des méthodes pour amener les élèves à
réfléchir et à échanger sur des thèmes se rapportant à la vie sexuelle et
affective, sans que ce soit imprégné de moral, il y a seulement un rappel du
cadre légal avec un focus sur le consentement. Mais contrairement aux ateliers
de philosophie, c’est de « l’éducation à », il est donc tout à fait légitime de
leur transmettre des connaissances, particulièrement sur les champs biologiques
et juridiques. C’est ainsi que j’ai cherché les formations existantes afin
d’accompagner les enfants à développer leur pensée sans les orienter. La
posture de l’animateur étant une de mes principales préoccupations pour
débuter, j’ai choisi d’en faire le sujet de mon écrit réflexif !
1. Posture de l’animateur d’ateliers de philosophie
1.1. Une recherche d’équilibre
Le monde de l’enfance et le monde de
la philosophie semble en apparence disjoint. Dans les années
1970, Matthew Lipman, disciple
du philosophe J. Dewey, un des fondateurs du « pragmatisme », (pour une
philosophie ancrée dans le réel, le sensible, l’expérience, basée sur le modèle
de l’enquête, de la recherche et de la démarche scientifique), constatant que
ses étudiants avaient peu de compétences en logique argumentative et semblaient
avoir perdu toute curiosité intellectuelle, voulut les développer bien en
amont. Ainsi, avec Ann-Margareth Sharp, ils décident de créer une méthode à
partir de romans philosophiques adaptés à différents âges (de 5 à 18 ans) pour
accompagner les enfants vers une pensée personnelle. En 1974, ils fondent un
institut de développement de philosophie pour enfants (IAPC) afin de promouvoir
ces initiatives aux USA et partout dans le monde. Cet apprentissage du dialogue
philosophique entre enfants va s’introduire petit à petit en France et sera
développé, juste avant les années 2000, par M. Tozzi qui depuis 1988 travaille
sur la didactique de la philosophie en terminale et va alors orienter ses
recherches vers ce nouveau terrain. Cette démarche particulière du
développement de la pensée des enfants, à travers un dialogue philosophique
entre pairs, demande une nouvelle posture de la part de l’adulte. C’est ce qui
m’amène à cette question : Quelle posture doit avoir l’animateur d’atelier de
philosophie avec les enfants et les adolescents ?
Je connais bien la posture de
l’enseignant en Mathématiques, je l’expérimente depuis plus de 20 ans, je l’ai
réfléchie, modifiée au fil des années. J’ai réussi à trouver une posture qui me
convient, qui semble convenir à mes élèves, elle évolue toujours d’année en
année mais j’ai des points d’appui solides. Seulement pour les ateliers de
philosophie je me questionne sur quand faut-il intervenir ? Comment intervenir
? Il est primordial de faire dialoguer les enfants entre eux, de les faire
réfléchir, de leur faire prendre de la hauteur philosophique. Mais comment
instaurer tout cela ? Le premier jour de formation pour le DU, Edwige Chirouter
a cité J. Jaurès : « Il n’y a que le néant qui soit neutre »[1],
ainsi nous ne devons pas être neutres mais impartiaux ! Ce premier éclairage
fût important dans ma réflexion. Ensuite il n’y a pas qu’une méthode pour
animer des ateliers. Plusieurs d’entre elles ont été présentées durant la
formation : la Communauté De Recherche (CRP) de Matthew Lipman, la Discussion à
Visée Démocratique et Philosophique (DVDP) de Michel Tozzi, l’Atelier de
Réflexion sur l’Humaine Condition (ARCH) d’Agsas-Lévine.
Pour l’ARCH cela reste, pour ma
part, assez énigmatique pour l’instant car ces ateliers demandent une posture
silencieuse de l’animateur, garant du cadre par sa présence, mais il ne doit
pas intervenir dans les discussions. Ainsi la posture est plus axée sur la
neutralité mais cela me questionne sur les dérives éventuelles des discussions.
J’envisage de suivre leur formation de 2 jours dans les années futures pour
mieux comprendre ce dispositif car je pense qu’il peut être très enrichissant
pour les enfants de construire leurs discussions sans intervention de l’adulte.
Pour la CRP et la DVDP les
objectifs sont communs : le but est d’accompagner les enfants et les
adolescents à développer leurs habiletés de pensée et notamment problématiser, argumenter et conceptualiser.
L’adulte intervient sur la forme des idées et pas sur le contenu. Pour la CRP,
il collecte les questions, il anime la discussion à l’aide de questions et
veille à ce que les enfants parviennent à un dialogue critique. Pour la DVDP,
l’animateur instaure et est garant d’un dispositif démocratique où les participants
ont des rôles, la parole est régie par des règles démocratiques et c’est une
coanimation entre l’adulte, le président, le reformulateur et le synthétiseur.
L’adulte peut faire des pauses pour structurer la discussion, recentrer sur la
question ou proposer une question de relance, il peut également demander
l’intervention du reformulateur ou du synthétiseur.
Pour ces deux dispositifs on
retrouve des invariants dans le rôle de l’adulte, des objectifs communs. Il
doit instaurer un cadre de discussion bienveillant où les élèves ont la
possibilité de s’exprimer ou non, sans préjugés ni dévalorisations.
J. Bartoli écrit dans sa thèse
(2019, p. 59) : « La place de l’enseignant n’est pas facile à trouver car, s’il
choisit des sujets trop orientés, en posant des questions fermées, en
intervenant trop fréquemment ou en reformulant à sa manière les propos des
élèves, il peut facilement conduire les élèves là où il le souhaite, en
projetant sur eux sa pensée d’adulte. Pour adopter une attitude adaptée à la
pratique philosophique à l’école, l’enseignant doit accepter de ne pas avoir
d’attente précise sur le contenu des échanges : il va préparer les activités et
les questions qui peuvent en découler mais il ne va pas chercher à anticiper
précisément ce qui va en ressortir. Cela afin d’éviter d’orienter la
discussion.»
La préparation de l’atelier
doit se faire sur deux plans distincts. Un premier sur la connaissance du
sujet, le thème ou le concept abordé. Mais cette préparation est pour
développer les connaissances de l’animateur. Il lui faut avoir fait ce travail
en amont pour avoir conscience de son point de vue sur la question. Il faudra
lors de ce travail chercher des contre-exemples, faire ressortir les
présupposés afin d’élargir sa vision du sujet et envisager les différents
points de vue. Mais ce travail ne doit pas définir comment va se dérouler
l’atelier. Ce travail permettra de préparer le deuxième plan : les activités
proposées et des questions de relance éventuelles mais cela ne doit pas définir
le déroulement de la discussion. C’est ce point qui est délicat quand on n’a
pas d’expérience dans l’animation d’ateliers de philosophie. Il faut accepter
cette incertitude, ce côté imprévisible peut être déstabilisant. De plus, il
est important de ne pas orienter la discussion, mais est-ce réellement possible
?
L’utilisation d’un support,
littérature jeunesse, photolangage, extrait de film, ou autre, permet
d’apporter une culture commune au groupe et permet également, comme le souligne
E. Chirouter (2022, p. 22) « de placer le problème à bonne distance : entre la
trop grande distance de l’expérience personnelle, qui empêche le recul et la
réflexion, et le trop grand éloignement du concept, qui empêche l’implication
et l’engagement dans la pensée. » Il peut permettre également de diminuer des
inégalités sociales, certains enfants n’ont aucun accès à la culture par leur
milieu familial. Seulement il va nécessairement avoir un impact sur la
discussion ! Effectivement un certain nombre de fonctionnements dans notre
façon de penser de manière individuelle et au sein d’un groupe, que l’on
appelle les biais cognitifs, vont avoir un impact sur le dialogue
philosophique, ce qui sera développé dans la deuxième partie.
J. Bartoli ajoute (2019 p. 59)
: « Pour y réussir [à éviter d’orienter la discussion], il [l’enseignant] doit
être absolument en confiance dans la capacité de penser de ses élèves et donc
ne pas appréhender les silences ou les redondances de ceux-ci. C’est au fil des
séances que se construit cette confiance parce que les élèves libèrent petit à
petit leur parole et l’enseignant prend conscience de la puissance de leur
pensée. Dans ce type d’exercice professionnel l’enseignant sera à la fois
centré sur ses objectifs mais aussi attentif aux réactions visibles ou non des
participants. C’est un geste différent de celui qu’il a l’habitude d’exercer.
C’est pourquoi très fréquemment au cours de ce travail, l’enseignant est
confronté à l’imprévisible qui peut être de plusieurs ordres : l’attention des
élèves, leur implication dans l’activité, la compréhension de la recherche, la
compréhension des termes employés, la connaissance des concepts émis. Ainsi, il
lui faut être à la fois en mesure d’anticiper et avoir la capacité de s’adapter
en permanence tout en conservant une visée d’apprentissage vis-à-vis de ses
élèves.» Ainsi l’enseignant doit laisser le temps aux élèves et à luimême de
s’adapter dans ce nouveau fonctionnement. Il lui faut être capable de suivre le
débat sur le fond et sur la forme mais sans intervenir sur le fond. Il faut
accepter de se retrouver en difficulté afin d’acquérir de l’expérience, ainsi
développer ses connaissances et gagner en aisance. Mais les débuts peuvent être
délicats.
Selon Rousseau, la première qualité de l’éducateur est
la ruse. Il propose en effet que l’élève « croie toujours être le maître, et
que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si
parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi la
volonté même […]. Sans doute il ne doit faire que ce qu’il veut ; mais il ne
doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse ; il ne doit pas faire un pas
que vous ne l’ayez prévu, il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez
ce qu’il va dire.[2]»
D’après ce qui a été développé dans cette première partie, c’est exactement la
posture que nous devons éviter. Cependant, Edwige Chirouter nous proposait
d’utiliser la ruse afin que les enfants ne se sentent pas en conflit de
loyauté. En effet, lors d’un atelier de philosophie, la discussion peut emmener
des enfants à être en contradiction avec des valeurs transmises par la famille
et ainsi, se trouver en conflit de loyauté et s’interdire de penser par
eux-mêmes. Par la ruse, on peut tenter d’annihiler l’orientation imposée par le
cadre familial afin que l’élève puisse penser réellement par lui-même et forger
ses propres valeurs. Ainsi, on peut orienter la réflexion dans une direction
afin de compenser une orientation exercée dans un autre sens par le milieu
familial.
1.2. Abandon de la posture de sachant
Dans un atelier philo, l’adulte
n’est plus le détenteur du savoir. Il n’est plus dans une verticalité de
transmission de connaissances. Ce changement de posture peut être compliqué
pour l’adulte comme pour les enfants. En effet les fonctionnements verticaux
entre les enseignants/adultes et les élèves/enfants peuvent être fortement
ancrés. Comme le souligne J. Bartoli dans sa thèse (p. 5758) : « Pour se
développer tout enfant a bénéficié d’aide via des reformulations de ses propos
par l’adulte qui va ainsi corriger les formulations non-conventionnelles de
l’enfant, quel que soit le plan : phonologique, morphologique, lexical ou bien
syntaxique. L’enfant fait preuve d’ailleurs
"d’acceptation
tacite", en reprenant souvent "la reformulation en entier ou en
partie", ce qui indique que la dimension relationnelle verticale est en
famille comme à l’école, admise par l’élève. » Il va être nécessaire pour les
enfants, comme pour les enseignants, de se comporter différemment. L’enseignant
ne peut plus juger d’après ses opinions personnelles et sa connaissance. Il ne
peut plus user de sa posture d’autorité qu’il détient généralement en tant que
sachant. Et il va devoir accompagner les enfants à modifier, eux aussi, leur
posture. En effet les élèves ne doivent plus se tourner vers l’adulte pour
valider la véracité de leur propos, ils vont devoir apprendre à se tourner vers
leurs pairs et ainsi en groupe ils vont s’interroger sur les justifications de
la réponse et valider ou non l’argumentation.
Une dérive de l’atelier de
philosophie est de le transformer en leçon de morale. Il sera important de ne
pas prendre des orientations moralisatrices qui soutiendraient un système de
valeurs plutôt qu’un autre. J. Bartoli précise dans sa thèse (2019, p. 70) : «
Tout emploi de verbes modaux (devoir, falloir) sous-entend l’intention d’un
système de valeur non-explicite » Il semble important d’être conscient de ces
marqueurs afin de traiter équitablement les arguments de tous les participants.
Dans son analyse d’un exemple (voir annexe 1), J. Bartoli analyse des actes de
langage moralisateurs liés à l’emploi des pronoms, des marqueurs logiques,
affirmatifs et déontiques. Cette analyse me permet de mettre en évidence
l’aspect moralisateur dans les ateliers de F. Lenoir (2020, p. 113) dans son
récit d’un atelier « Faut-il répondre à la violence par la violence ? » Dans cette intervention :
il valide la morale de l’élève
en disant « tout à fait » et ensuite
il valide ce système de valeurs en utilisant « il faut ». Il réitère les mêmes propos quelques interventions plus
loin :
Un élève soulève justement une contradiction qui
existe entre nos actes et nos paroles. Point particulièrement important à
questionner à mon avis. Ici F. Lenoir rejette l’intervention de l’élève en
utilisant « Oui mais » alors qu’il
aurait dû faire intervenir les autres enfants et ne pas imposer son point de
vue d’adulte.
2. Les biais cognitifs
2.1.
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ? Pourquoi notre cerveau fonctionne ainsi ?
Il existe trois types de
relations entre nos différentes cognitions : la dissonance, la consonance et la
neutralité. Deux cognitions sont dissonantes si elles sont déraisonnables ou
absurdes (je bois de l’alcool / je sais
que l’alcool est mauvais pour la santé), sont consonantes si elles sont en
harmonie (je bois de l’alcool / j’aime
les effets de l’alcool ), ou neutres si elles n’ont aucun rapport entre
elles (je bois de l’alcool / il fait beau).
Les dissonances sont à l’origine des biais cognitifs. Dans les années 1970,
Kahneman et Tversky, étudiant les prises de décisions irrationnelles dans le
domaine de l’économie, ont révélé que les individus utilisent des automatismes
de la pensée, qui mènent souvent à des erreurs de jugement. Ils montrent les
limites de la rationalité humaine et l’importance de les prendre en compte pour
éviter les erreurs de décision. Kahneman, qui reçut le prix Nobel d’économie en
2002, fait la distinction entre l’illusion de la pensée et le raisonnement
analytique. Il distingue deux modes de pensée : le système 1, rapide, instinctif et émotionnel, et le système 2, plus lent, plus réfléchi et
plus logique. En se basant sur de nombreux exemples, il développe les facultés
extraordinaires de la pensée rapide, le rôle de l’émotion dans nos choix et nos
jugements, mais aussi les défauts de la pensée intuitive et les ravages des
partis pris cognitifs. Ainsi, un biais cognitif est un schéma de pensée
trompeur et faussement logique. Cette forme de pensée permet à l’individu de
porter un jugement ou de prendre une décision rapidement, mais avec de forts
risques d’erreurs. Les biais cognitifs influencent nos choix, en particulier
lorsqu’il faut gérer une quantité d’informations importantes et/ou que le temps
est limité. Selon G. Bronner (2013, p41-42) c’est également dû à notre avarice
intellectuelle : « En situation de concurrence, expliquent-ils [Dan Sperber et
Deirdre Wilson], on optera pour la proposition qui produit le plus d’effet
cognitif possible pour le moindre effort mental. La solution objectivement
bonne, lorsqu’elle existe, est souvent la plus satisfaisante – nous en faisons
l’expérience lorsque nous découvrons la solution à une énigme logique –, mais
les individus n’ont pas toujours assez d’imagination ni de motivation pour la
concevoir et s’abandonnent fréquemment à ce que Susan Fiske et Shelley Taylor
nomment notre "avarice cognitive". » Cette idée est illustrée par le
problème connu sous le nom de « Thog problem » que G. Bronner appelle « le
problème du Schmilblick » (voir Annexe 2).
Ainsi ces biais sont des automatismes de la pensée,
ils sont donc inconscients et peuvent être considérés comme « naturels » car
personne n’y échappe véritablement, à moins d’y être attentif et d’essayer
délibérément de les éviter.
2.2. Les biais cognitifs à connaître pour la posture d’animateur
2.2.1. Le biais de confirmation
Le biais de confirmation
consiste à accorder plus d’attention et de crédibilité aux thèses qui
confirment nos idées, ou bien à être moins critique à leurs égards. En
contrepartie, nous aurions tendance à négliger celles qui permettraient de les
contredire ou de les nuancer. En effet il sera plus coûteux pour notre cerveau
d’infirmer une de nos idées car il serait nécessaire d’élaborer un cheminement
de pensée pour comprendre l’idée contraire, c’est pourquoi notre cerveau
préfère prendre des raccourcis et cherche à confirmer rapidement cette idée
déjà établie.
Ce biais est mis en évidence dans l’expérience de Wason,(G. Bronner,
2013, p. 39-40)
Le psychologue britannique
proposait à des sujets volontaires un jeu, en apparence assez simple,
impliquant quatre cartes.
Après
avoir précisé qu’on ne peut trouver sur le recto que deux lettres possibles : E
ou K, et que, de la même manière, on ne peut trouver sur le verso que deux
chiffres : 4 ou 7, on pose la question :
« Quelles cartes faut-il retourner pour vérifier
l’affirmation suivante : si une carte a
une voyelle d’un côté, elle a un chiffre pair de l’autre ? »
L’immense majorité d’entre nous
choisit les cartes 1 et 3.
Ce faisant, nous nous
concentrons sur les cas qui confirment la
règle plutôt que sur ceux qui l’infirment.
Il paraît naturel de considérer que la carte 3 confirme la règle que prescrit
l’énoncé du problème, ce qui est le cas si l’on trouve une voyelle en examinant
son recto.
Mais en réalité, on pourrait y
découvrir une consonne sans que cette règle en soit violée.
La seule carte qui peut (la première mise à part) en
établir la validité est la quatrième, car si elle portait à son recto une
voyelle, il serait évident que l’énoncé est faux.
Dans le dialogue philosophique, ce biais de
confirmation peut concerner l’animateur comme les participants. En effet
l’animateur peut être amené, sans le vouloir, à questionner davantage les
points de vue des enfants qui ne partagent pas ou qui sont contraires à ses
idées et de fait moins questionner ceux qui correspondent à ses propres
opinions. Cela a pour effet de fournir des indications aux élèves sur les
réponses « attendues », les idées « préférables », ainsi les élèves peuvent
choisir leurs réponses pour être moins questionné et non pour donner leur
véritable point de vue. De surcroit, l’animateur contredit le postulat qu’en
philosophie il n’y a pas de « bonnes réponses », cela crée un décalage entre la
théorie et la pratique et peut rompre le contrat didactique établit avec les
élèves et ainsi fragiliser la confiance qu’ils avaient en lui. C’est pourquoi
en tant qu’animateur, il convient de faire preuve d’impartialité en étant
vigilant et en questionnant équitablement toutes les propositions, qu’elles
soient ou non en accord avec nos propres convictions. On peut observer le biais
de confirmation dans l’extrait de l’atelier de F. Lenoir, quand il répond « Oui mais ... » (page 10), le
contre-exemple énoncé par l’élève ne correspond pas à ses valeurs donc il ne
lui accorde pas d’importance.
Pour les élèves, ce biais de
confirmation se traduit par la facilité qu’ils ont, face à une position à
laquelle ils croient, de trouver des exemples, plus ou moins fondés pour
l’illustrer. Ils peuvent également être plus critiques sur les propositions qu’ils
ne partagent pas et négliger la force des contre-exemples. C’est pourquoi, en
plus de la recherche d’exemples, la recherche de contreexemples est cruciale.
M. Gagnon, S. Yergeau et M. Sasseville (2020, p. 2-3) proposent à l’animateur,
pour contrer ce biais de confirmation, de poser des questions du type :
- Y
a-t-il un contre-exemple à ?
- Quelle
critique peut être faite de … ? Pourquoi ?
- Est-ce
que quelqu’un pourrait ne pas être en accord avec … ? Pourquoi ?
- Comment
est-on certain que nous avons considéré tous les cas possibles ? Ou comment
savoir que nous n’avons pas négligé certains aspects ou certains cas ?
2.2.2. Le biais de cadrage
En psychologie du raisonnement
et de la décision ainsi qu'en psychologie sociale, le cadrage est l'action de
présenter un « cadre cognitif » comme approprié pour réfléchir sur un sujet. Ce
cadrage peut avoir un effet sur le raisonnement et conduire à des choix
différents en fonction de la façon dont le problème a été formulé.
Le biais de cadrage (ou effet de cadrage) désigne
l'influence importante que peut avoir la formulation d'une question ou d'un
problème sur la réponse qui y est apportée. Ce phénomène a été exploré
notamment par Tversky et Kahneman, une de leurs expériences est restée célèbre
:[3]
Deux groupes de personnes
doivent se prononcer sur la décision à prendre lors d'une hypothétique maladie
pouvant causer la mort de 600 personnes.
Dans le premier groupe, les sujets
ont le choix entre deux solutions :
•
l'option A qui permet de sauver 200 personnes,
•
l'option B qui a 33 % de chances de sauver 600
personnes, mais 66 % de risques de ne sauver personne.
Un rapide calcul de probabilité montre que le nombre
de survivants attendus est le même dans les 2 options A et B, soit 200
personnes. Cependant, 72 % des sujets ont choisi l'option A, à cause du risque
de ne sauver personne dans l'option B.
Dans le second groupe, la formulation
est modifiée avec le choix suivant :
•
l'option A qui provoque la mort de 400
personnes,
•
l'option B qui a 33 % de chances pour que
personne ne meure et 66 % de risques que tout le monde meurt.
78 % des sujets ont choisi l'option B.
Dans les deux cas les probabilités de survie sont les
mêmes.
Cette expérience montre
clairement que la formulation d'une question influence la réponse. Dans le
cadre des ateliers de philosophie, cet effet de cadrage montre que si nous
utilisons un support pour amener la discussion, nous ne sommes pas neutres. Une
grande vigilance va également être nécessaire pour être impartial et ne pas
faire « de nos représentations du monde une universalité et interdire toute la
richesse présente en chaque enfant au sein de la communauté que forme la
classe. » S. Connac (2020, p. 189).
Dans le choix d’un
photolangage, il va être important de ne pas fermer la discussion dans un
certain cadre ou de le faire en conscience, si c’est un choix pédagogique.
Par exemple, le photolangage proposé par F. Galichet
(2019, p. 243-257) dans la fiche N°10 : « Qui suis-je ? », est composé de cinq
portraits datant de toutes les époques de l’histoire de la peinture :
Galichet F. (2019) Philosopher à
tout âge. Vrin. p. 246-247 L’idée est d’en dégager des personnalités qui
transparaissent à travers les œuvres grâce au talent du peintre.
Ce photolange est totalement différent du choix
effectué par Laetitia Buisson[4],
pour un atelier sur le même thème, Qui-suis-je ?
Photolangage proposé par Laetitia Buisson
Cet atelier était l’objet
d’étude pour notre devoir d’analyse d’une pratique filmée. On peut observer que
le débat reste très centré sur la pensée et cela est induit par le photolangage
peu varié et pour lequel le temps d’interprétation de chaque image était trop
restreint pour en dégager les nuances. Le parti pris de F. Galichet est que
c’est à travers la personnalité que l’on détermine qui on est et celui de L.
Buisson est que c’est à travers nos pensées. Même si on n’intervient pas dans
le débat sur les idées, nous pouvons être partiaux par le choix du support.
Lors de la journée de formation, animée par Pauline
Stavaux, pour nous présenter les outils proposés par Pole Philo, elle nous a
expliqué qu’avec ses collègues ils constituaient des banques d’images en commun
afin d’apporter la pluralité de leurs points de vue, ou encore qu’ils
utilisaient l’ensemble de cartes du jeu Dixit afin de ne pas orienter la
discussion par un choix préalable.
2.3. Les biais cognitifs à l’intérieur du dialogue philosophique
2.3.1. Biais d’ancrage
En psychologie, l’ancrage désigne la difficulté à se
départir d'une première impression. C'est un biais de jugement qui pousse à se
fier à l'information reçue en premier dans une prise de décision. Ce biais est
plus fréquent lorsqu’une personne n’a qu’une vague opinion sur la question et
cherche à apporter une réponse rapidement, quand il utilise le système 1 de
pensée : rapide, instinctif et
émotionnel.
Le biais d’ancrage peut être illustré par
l’expérience menée par Tversky et Kahneman (1974) :
« On demande aux sujets quel est,
selon eux, le pourcentage de pays africains aux Nations unies.
Avant d’enregistrer leur réponse, on
tourne devant eux une roue numérotée de 1 à 100.
Pour un premier groupe, le chiffre
tiré au sort est 10, pour le second, c’est 60.
Chacun des groupes peut se rendre
compte du caractère aléatoire de la procédure.
On demande ensuite à chacun si,
selon lui, le pourcentage des pays africains aux Nations unies est supérieur ou
inférieur au chiffre de la roue. Enfin, on lui demande de proposer son
pourcentage.
La moyenne du
premier groupe (chiffre de loterie 10) est de 25 %,
celle du deuxième groupe (chiffre de
loterie 60), de 45 %.
On voit que les chiffres de la roue, bien qu’ils
soient totalement arbitraires, semblent exercer une influence sur les réponses.
Tout se passe comme si, lorsque les individus sont en état d’incertitude, ils
cherchaient un "ancrage" cognitif, aussi absurde soit-il (ici, un
tirage dont ils ont conscience qu’il est aléatoire). » (G. Bronner, 2013, p.
231)
Cette expérience met en évidence le côté inconscient
de l’ancrage, en conscience tout le monde sait que le nombre aléatoire de la
roue n’a pas de lien avec la réponse à la question. A l’intérieur du dialogue
philosophique ce biais peut facilement faire son œuvre. Surtout lors des
premiers ateliers avec un groupe. Il peut arriver que les premières
interventions orientent une bonne partie de la discussion. Notamment avec les
premiers exemples, ils peuvent facilement être repris par les autres. L’ancrage
peut avoir lieu lorsque l’on utilise un support, certains enfants peuvent avoir
plus de difficultés à se détacher du support. Cela peut altérer la richesse de
la discussion. Pour éviter cet écueil, il est important de rappeler dans le
fonctionnement de l’atelier qu’on évite de répéter ce qui a déjà été dit, qu’on
prend la parole pour apporter quelque chose de nouveau. Une autre stratégie
peut être d’initier soit un travail individuel ou en sous-groupe afin de créer
une première démarche réflexive « isolée », permettant ainsi, lors du retour en
grand groupe, de recueillir une plus grande variété d’arguments et de raisons.
2.3.2. Effet de cascade
Dans une discussion collective, les prises ou non de
parole sont soumises au regard du groupe. Le comportement des participants est
influencé à la fois par la psychologie intra-individuelle et personnelle (
motivation, estime de soi etc …) et par la psychologie sociale. Les processus
opérant à l’intérieur des groupes peuvent être présents dans une communauté de
recherche. Il existe deux types d’effets de cascade :
-
Le premier, nommé cascade
d’information, se produit lorsqu’une personne est en carence d’information
ou s’estime peu outillé pour discuter d’un sujet, et va se rallier ou imiter
celui ou ceux qui semblent savoir. G. Broner (2013, p. 228), utilise l’exemple
de l’individu qui, ne sachant où se trouve le stade, se contente de suivre ceux
qui portent des drapeaux. Ce conformisme cognitif est le plus souvent efficace
et peu coûteux, mais il peut aussi conduire, en cas de convergence de l’erreur,
à des situations catastrophiques.
-
Le second, nommé cascade
de réputation, conduit les participants à adopter le point de vue du plus
grand nombre afin d’éviter le coût social qu’impose la contestation. « Dans
tout groupe […], on trouve des individus bénéficiant d’un prestige, d’une
élocution ou d’un niveau socio-culturel, leur permettant de se différencier des
autres et de prendre la parole en premier. […] Ceux qui se sentent le moins
concernés et qui ont aussi le moins d’informations sont tentés de s’aligner sur
le point de vue des mieux informés.» (G. Bronner, 2013, p. 230)
Les enseignants, de toutes matières confondues, sont
confrontés à ces phénomènes de groupe. Il est important d’installer dans les
classes des climats de confiance, de bienveillance, où chaque élève doit
pouvoir prendre la parole sans avoir peur de faire une erreur ou de ne pas être
en accord avec la majorité. Pour les ateliers philo, c’est primordial. C’est ce
que soulève entre autres J. Hawken, (2019, p. 148) « Les idées des enfants
doivent se frotter les unes aux autres afin d’éprouver leurs distinctions et
leurs similitudes, au sein d’un espace philosophique dédié à la confrontation
bienveillante des altérités. Chacun peut être lui-même dans un dialogue doux. À
l’horizon de la pratique collective se trouve toujours l’ambition de créer, en
un sens, ce qu’H. Arendt appelle une "oasis", un espace de
ressourcement pour la vie politique. […] Les oasis arendtiennes sont des lieux
de vie pour la réflexion, "à l’abri du bruit et de la fureur du
monde", où peuvent s’exprimer les idées plurielles sans crainte et avec
joie. » Le rôle de l’animateur est très important, cet espace de bienveillance
les uns envers les autres peut demander du temps pour se construire, l’adulte
doit être vigilant, l’apparition de l’effet de cascade peut être un marqueur
que des élèves ne se sentent toujours pas en confiance pour s’exprimer. Les
ateliers de philosophie, en permettant d’améliorer la confiance en soi,
l’estime de soi, et en développant l’ouverture d’esprit vont contribuer à
altérer cet effet de cascade au sein du groupe classe.
2.3.3. Le paradoxe Condorcet
Le « paradoxe de Condorcet » a été
énoncé par Nicolas de Condorcet en 1785, dans son ouvrage « Essai sur l’application de l’analyse à la
probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix ».
« Lors d’un vote où chaque
votant doit classer trois propositions (A, B, C) par ordre de préférence, il
est possible qu’une majorité de votants préfère A à B, B à C, et C à A.
Les décisions prises à une
majorité par ce mode de scrutin ne seraient donc pas cohérentes avec celles que
prendrait "un individu rationnel".
En effet, un individu rationnel
applique la règle de transitivité : si A > B et si B > C, alors A > C.
Ce qui n’est
plus vrai au niveau collectif où nous pouvons avoir : A > B > C > A.
Classement non transitif, à partir
duquel le choix est indécidable.
Au niveau de chaque votant, le
classement par ordre de préférence est a priori sans ambiguïté.
La règle de transitivité respectée.
Pourtant, au niveau du résultat global, le paradoxe
lié à la non-transitivité peut se produire. »[5]
Ce biais cognitif est
particulier car il est contre intuitif. On pourrait penser que la délibération
commune, par la diversité des points de vue exprimés, conduirait forcément à
des décisions ou des conceptions plus raisonnables, plus sages, or cette « sagesse
de foule » ne se produit pas . Selon G. Bronner, (2013, p. 235) : « De son
côté, Krisha Ladha [Cité par Caplan (2010), p. 179] précise : "Sous des
conditions raisonnables, la chance qu’une majorité désigne la bonne réponse
varie en sens inverse de la corrélation des biais au sein du groupe
décideur." Cela signifie que moins les sensibilités sont a priori
convergentes dans une assemblée, plus la sagesse des foules a des chances de se
manifester. » Ainsi, on a raison de penser que la diversité des points de vue
exprimés, conduit à la sagesse de foule, mais cette diversité doit être
homogène en nombre. Si quelques individus ont des avis qui diffèrent, ils ne
seront pas entendus. Ces situations ne semblent pas fréquentes.
Pour illustrer cela, G. Bronner propose le problème du
pique-nique partagé et la répartition des frais pour les pizzas :
Supposons que vous partagiez un
pique-nique avec deux de vos amis.
Vous n’avez pas eu le temps d’aller
acheter des pizzas, mais Éric et Bertrand s’en sont chargés.
Éric en a rapporté 5 et Bertrand, 3.
Quant à vous, vous versez votre
contrepartie financière, qui s’élève à 8 €.
Comment doit se répartir votre
argent entre Éric et Bertrand pour que la dépense de chacun soit équitable ?
La réponse qui vient
spontanément à l’esprit pour une grande majorité des personnes, est qu’Éric
doit prendre 5 € et Bertrand, 3.
C’est parfaitement faux mais cela paraît vrai.
Cela paraît vrai parce que
notre cerveau, par principe d’économie, va nous proposer une solution qui
paraît acceptable : l’application d’une règle de proportionnalité (puisque Éric
a apporté 5/8e des pizzas, il n’a qu’à se rembourser des 5/8e de la somme
disponible).
Mais
cette solution est fausse, et voici pourquoi : On sait qu’Éric a acheté 5
pizzas et Bertrand, 3 ; on sait que la part qui vous revient est de 8 €.
Cela
signifie que chacun doit avoir dépensé 8 € et pas un euro de plus ou de moins.
Donc, l’ensemble des pizzas a coûté 24 € ; et comme il y en a 8, cela signifie
que chaque pizza coûte 3 €.
Donc, Éric a dépensé
initialement 15 € (5 pizzas) et Bertrand, 9 € (3 pizzas). Une fois qu’Éric a
payé sa part de 8 €, il faut qu’il se rembourse de 7 € ; et Bertrand doit se
rembourser de 1 € (9 € investis moins les 8 dus pour la part commune). Donc, la
somme que vous avez donnée doit être répartie comme suit :
7 € pour Éric, 1 € pour Bertrand.
G. Bronner (2013, p. 238) ajoute : « Si vous posez ce
problème enfantin à vos amis, vous découvrirez qu’ils se trompent assez souvent
(et pourtant, ils se doutent qu’il y a un piège !). Je fais le même genre
d’expériences chaque année avec mes étudiants et suis témoin de ce que, même
lorsqu’ils délibèrent et que l’un d’entre eux (fait assez rare) a trouvé la
bonne solution, ils convergent vers de fausses solutions (je les fais voter à
main levée). Que se passe-t-il ? La plupart paraissent soulagés que l’un d’entre
eux confirme leurs intuitions. Un premier ensemble d’individus emporte bientôt
la conviction du groupe. Entendre des arguments allant dans le sens de nos
intuitions creuse un sillon mental, comme le montrent Chip Heath et Rich
Gonzalez (1995) : et c’est ainsi que l’on observe une convergence prédictible
de l’erreur. »
Ainsi il met en avant que
l’avarice cognitive est assez fréquente et c’est ce qui conduirait le groupe
vers l’erreur. Comme la majorité des cerveaux utilisent les mêmes raccourcis,
la majorité des réponses correspondent à la même erreur, et ainsi il n’y a pas
une diversité équilibrée des points de vue. De plus, si l’on ajoute l’effet du
biais de confirmation, ces personnes qui partagent la même erreur se confortent
les unes les autres dans leur idée. De même, l’effet de cascade de réputation
peut renforcer ce phénomène.
Il est donc important de se méfier de nos intuitions,
de prendre la bonne mesure des arguments avancés, de leur cohérence et de ne
pas s’appuyer aveuglément sur le groupe. Dans leur article, M. Gagnon, S.
Yergeau et M. Sasseville, (2020, p. 7) précisent : « C'est pourquoi le rôle de
l'animateur est crucial et ne saurait se réduire à la simple attribution des
droits de parole. Celui-ci doit assurer une vigilance impartiale dans le
respect de certaines règles, pour ne pas dire normes, sur le plan de la rigueur
et de la cohérence d'ensemble des réflexions communes qui se développent au
sein de la communauté. Cette vigilance sera d'autant plus effective que
l'animateur aura, au préalable, développé des habiletés relatives à
l'observation des habiletés de pensée ainsi que des connaissances de base en
logique de même qu'en argumentation. Son regard porté sur la qualité du
processus, alimenté par des questions appropriées et la sollicitation de points
de vue variés constituera, en quelque sorte, un rempart à ce type de biais. »
Il est important que l’animateur équilibre l’usage des deux modes de pensée :
système 1 et 2 (page 10). Il a besoin d’être rapide mais ne doit pas négliger
la logique. C’est en préparant,en amont les ateliers qu’il va être important
d’utiliser le système 2, plus lent, plus réfléchi et plus logique, afin de
pouvoir réagir avec rapidité lors de l’atelier mais sans pour autant être dans
l’erreur à cause des biais cognitifs.
3. Analyse de la pratique
3.1. Mise en pratique de la théorie
Lorsque j’ai découvert le
concept d’atelier de philosophie avec les enfants et les adolescents, comme
cela était en totale harmonie avec mes valeurs, j’ai rapidement été convaincue
de ses bienfaits et de l’importance de sa mise en place. Cette approche du
développement de la pensée, en groupe, en réfléchissant sur des questions que
se posent, plus ou moins consciemment les enfants et les adolescents, m’a
semblé être un excellent outil pour leur permettre de découvrir ou de renforcer
les bienfaits que procurent le raisonnement. J’ai donc, décidé de me former à
ces pratiques. Dans ma démarche de formation, j’ai commencé mes lectures à
l’aide de la bibliographie générale proposée par les formateurs du DU. J’ai
commencé plusieurs ouvrages en parallèle, « Penser par soi-même, initiation à
la philosophie » de M. TOZZI permet de pratiquer et ainsi mieux comprendre, le
questionnement, les habilités de pensées, que l’on cherche à développer chez
les enfants. Toutes ces lectures confirment l’importance de ces pratiques
d’ateliers philosophiques, et cela coïncide avec mes valeurs, comme le précise
E. Chirouter (2015, p.53) :
« Pour quoi faire ? Les grandes finalités de
la philosophie avec les enfants
Tous les chercheurs, tous les
militants de la première heure et tous ceux qui se sont convertis à ces
pratiques s’accordent pour affirmer que la philosophie avec les enfants a
plusieurs objectifs et finalités fondamentales. Faire de la philosophie à l’école
élémentaire permettrait ainsi :
1)
D’apprendre à penser. La réflexion philosophique exige
une rigueur intellectuelle qui peutpermettre aux enfants de développer des
compétences indispensables dans leur fonction d’élève et de futur citoyen. La
réflexion philosophique permet notamment de développer la conceptualisation, la
problématisation et l’argumentation ;
2)
Le débat philosophique permet aussi de construire des
habitus démocratiques entravaillant sur les règles de discussion et d’écoute,
règles inhérentes à tout débat démocratique ;
3)
La philosophie permet aussi d’instaurer dans la classe
un nouveau rapport au savoir et aumaître qui ne détient pas La réponse (puisque
celle-ci n’existe pas) ;
4)
La philosophie répond aux questions que les enfants se
posent et qui sont souvent éludéespar l’adulte, dérouté lui-même par ce
questionnement. »
Seulement le pas à franchir
pour mettre en pratique est difficile pour moi. Je manque de confiance en ma
capacité de réagir à la fois dans le débat et sur la forme du débat. Mon manque
de connaissances en philosophie crée une instabilité, un sentiment d’illégitimité.
Sentiment que je n’avais pas dans mes débuts d’enseignante en Mathématiques,
mes connaissances me légitimaient. Je ressens beaucoup de difficultés pour la
préparation des ateliers. J’ai besoin de préparer toutes les éventualités afin
d’être capable de réagir convenablement lors de l’atelier, mais c’est
interminable. J’ai besoin d’observer, de comprendre comment réagissent les
enfants entre eux et avec l’adulte, c’est en pratiquant qu’on apprend ! Il m’a
fallu accepter, contrainte et forcée par le stage de me lancer dans l’animation
!
Avant de commencer mon stage
avec les élèves de 6e et 4e Segpa, dans le collège Les Trois Vallées à La
Voulte sur Rhône, où j’enseigne les Mathématiques, le 15 janvier 2024, j’ai
testé d’animer plusieurs ateliers en décembre, avec ma classe de 22 élèves de
4ème. Pour des raisons budgétaires, le collège n’est plus classé REP (réseaux
d’éducation prioritaire) depuis 4 ans.
J’ai ajouté des heures de cours
en remplaçant des collègues absents, ce qui n’a pas réjoui mes élèves : il
était convenu de 5 séances d’ateliers de philosophie qui avaient lieu sur
l’horaire du cours de Mathématiques du lundi de 11h35 à 12h30 ! En raison du
manque de volonté de beaucoup d’élèves, je n’ai pas voulu demander des droits à
l’image ou à d’enregistrement de la voix, je n’ai donc pas enregistré ces
séances.
La première séance de 55 min
était sur la liberté avec comme support le récit de Platon, l’anneau de Gyges,
en utilisant la fiche atelier dans le livre d’E. Chirouter (2022, p. 66-68).
(voir la description en Annexe 3).
Pendant le deuxième temps de
l’atelier, quand je circulais dans la classe, un groupe de cinq garçons qui
sont souvent dans la provocation, semblait parler de viol en réponse à la
question 2. Cela n’a pas été écrit dans leur réponse. J’ai fait comme si je
n’avais pas entendu car je n’étais pas sûre de leurs propos et sur le moment,
je ne savais pas comment réagir.
Le viol est un sujet que nous
abordons lors des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective, le viol
est effectivement régulièrement soulevé par les élèves, du fait que nous
déclarons ces séances comme des espaces où toutes les questions peuvent être
abordées. Dans ce cadre, nous effectuons un rappel à la loi et insistons sur le
caractère indispensable du consentement dans les rapports sexuels. Mais nous
sommes dans des séances « d’éducation à
». Dans le cadre de l’atelier de philosophie, si une telle réponse doit
apparaître dans les propositions écrites des élèves, il me semble important de
laisser réagir les autres élèves. Nous serions alors dans une question
socialement vive, il faudra essayer de faire ressortir par les élèves des
questions philosophiques. Il sera également possible de poser les questions :
cette pratique est-elle autorisée par la loi ? Pourquoi ? Savez-vous quelles
sont les peines encourues ? … Pourquoi ? … Pourquoi ? … ainsi questionner à
nouveau leur réponse.
Si cette question n’est pas
écrite mais qu’elle est simplement suggérée par les élèves d’un groupe, il est
possible de questionner les élèves au sein de ce groupe, est-ce qu’il compte
l’écrire dans leur réponse ? Si c’est non, leur poser la question : Pourquoi ?
Et poser les questions proposées précédemment sur le cadre législatif.
Lors de l’atelier, ce groupe de
garçons a proposé de tuer tout le monde sauf eux cinq. Ils ont dit faire « top one », ils ont expliqué que c’est ce
qui se fait dans les jeux vidéo. Puis certains ont ajouté qu’ils gardaient
trois filles, puis d’autres ont dit « leur
maman ». La classe s’est agitée, j’ai rencontré des difficultés dans la
gestion des interventions, plusieurs élèves parlaient en même temps. Des élèves
ont posé les questions : « Comment ils
allaient se nourrir ? », « Comment
ils allaient s’occuper des animaux ? ». Les élèves du groupe ont reconnu
que c’était effectivement des difficultés auxquelles ils n’avaient pas pensé,
et ils n’avaient pas de réponse. Une élève a ajouté « On a besoin des autres humains ». J’ai conclu sur cette
intervention, j’ai raconté la fin de l’histoire et nous avons comparé avec
leurs hypothèses. C’était la fin de l’heure, je n’ai pas géré correctement le
temps, et je leur ai dit que l’on poursuivrait la séance prochaine.
La deuxième séance a été sous
la forme d’une DVDP, les élèves pratiquaient le conseil coopératif avec leur
professeur principal, je me suis dit que cela pouvait être un bon point
d’appui. Pour l’équipe d’animation, il y avait une présidente, moi, et un synthétiseur.
La question proposée était : « Qu’est-ce qu’être libre ». Le débat a été de
nouveau agité, après trois avertissements, la présidente a exclu un élève qui
ne respectait pas les règles, j’ai voulu apaiser le climat en proposant un tour
de parole. Une élève, Léa, répond : « c’est
faire ce qu’on veut » puis ajoute « mais
avec des limites », je lui demande d’expliciter quelles limites ? Mais elle
répond : « Non, sans limite en fait !
». À ce moment-là, je suis partagée entre prendre le temps de lui permettre de
formuler les limites (sachant que cette élève peut être rapidement dans la
provocation et rester sur ses positions), et le tour de parole. Je me dis que
je ne dois pas intervenir dans le tour de parole car nous n’aurons pas le temps
de le finir, les élèves étant trop nombreux. À la fin du tour de parole, la
dernière élève, Maéva, questionne Léa, en demandant « Je ne comprends pas que tu puisses dire qu’il n’y a pas de limite, tu
veux dire que tu pourrais tuer quelqu’un ? ». Léa s’énerve en disant « Non mais n’importe quoi ! Comment vous
pouvez imaginer que je puisse tuer quelqu’un ! ». Comme le ton de Léa est
agressif, que Maéva est plutôt réservée, j’interviens et précise que si elle
nous dit « sans limite » c’est
qu’elle n’a pas de limite. Léa s’énerve à nouveau sur Maéva en critiquant sa
question. Je reprends la parole pour rappeler la règle de sincérité qui est
nécessaire au débat, et je dis à Léa qu’elle n’était pas totalement sincère
quand elle a dit « sans limite »,
c’est ce que soulève Maéva. Je leur dis que j’aurai peut-être dû la questionner
sur sa sincérité au moment de son intervention, mais je débute dans l’animation
d’ateliers de philosophie, je ne réagis peut-être pas comme il le faudrait, pas
assez rapidement, mais dans tous les cas, Léa ne devait pas s’énerver sur Maéva
et sa question était tout à fait appropriée. Léa refuse d’écouter quoi que ce
soit, reste sur le fait que d’autres puissent penser qu’elle pourrait tuer
quelqu’un et que c’est n’importe quoi. Elle dit ne plus vouloir participer à la
discussion et se met à une table en dehors du cercle, comme le premier élève
qui a été exclu. J’accepte qu’elle se retire du cercle, je rassure les élèves
sur leur possibilité de poser des questions comme l’a fait Maéva, et qu’il est
d’ailleurs important de les poser si on veut faire avancer le débat. Je tente
de prendre la responsabilité de la dérive du débat en précisant que j’aurai
sans doute dû intervenir pour m’assurer de la sincérité de Léa afin que les
élèves ne soient pas dans la crainte de contredire certains élèves. Le soir,
Léa m’a envoyé un message sur la messagerie Pronote pour s’excuser de son
comportement, en disant qu’elle était en colère et qu’elle ferait des efforts
la prochaine fois.
Je devais débuter mon stage le
15 janvier mais au retour des vacances de Noël, mon chef d’établissement a
changé radicalement de position. Le 8 janvier, il a refusé de signer la
convention et m’a interdit par écrit de faire des ateliers avec des classes entières
car ce n’était pas au programme selon lui. J’ai dû trouver un autre lieu de
stage et je n’ai pas pu poursuivre les 3 ateliers prévus avec ma classe de 4e.
Cependant cette expérience
d’atelier m’a permis de mettre en évidence certaines difficultés dans
l’animation. Le nombre d’élèves ajoutait une difficulté et à ce stade de la
formation je n’avais pas saisi l’importance des différents rôles (dessinateurs,
observateurs, reformulateur) dans une DVDP, et que leur mise en place,
permettait de limiter le nombre de discutant. De plus en 4e, les élèves peuvent
être dans une provocation plus compliquée à gérer. Même si c’est avec ce type
de public que j’ai envie d’intervenir, j’ai choisi de faire mon stage en
primaire avec des demi-groupes, afin de pouvoir apprendre l’animation
d’ateliers de philosophie plus sereinement. Il m’a semblé important de prendre
confiance dans ma pratique avant de faire des ateliers pouvant être plus
imprévisible, ou plus complexe dans les rapports entre élèves.
J’ai donc commencé mon stage le
29 avril 2024, à l’école primaire des Gonettes, à La Voulte sur Rhône, avec les
12 élèves de CM1/CM2 et les 22 élèves de CP/CE1 partagés en deux groupes, un de
11 élèves de CP et l’autre de 4 élèves de CP et 7 de CE1 . L’école des Gonettes
est également sortie du réseau d’éducation prioritaire il y a 4 ans, mais les
élèves restent issus d’un milieu social défavorisé. Le premier atelier avec les
CP/CE1 était en classe entière, les élèves étaient très enthousiastes pour participer
mais ils ont dû patienter au vu du nombre d’élèves. Nous avons décidé avec
l’enseignante de couper la classe en 2.
J’ai fait 8 ateliers avec les
CM1/CM2, les lundis de 13h40 à 15h (voir une rapide description dans l’annexe
4) et 6 ateliers avec les CP/CE1, les mardis de 13h40 à 14h40 pour un groupe et
de 14h50 à 15h50 pour l’autre (voir l’annexe 5). J’ai choisi d’utiliser
principalement les fiches d’atelier proposées par E. Chirouter (2022), car sans
avoir pratiqué l’animation d’ateliers, je ne suis pas suffisamment en confiance
pour élaborer les séances. J’ai besoin, dans un premier temps, de pratiquer, de
comprendre le fonctionnement des enfants, surtout que je découvre ces groupes
d’enfants d’écoles primaires avec qui je n’ai pas l’habitude d’être en
interaction. Après en avoir discuté avec les enseignants, j’ai choisi d’aborder
les thèmes d’Aimer, de Liberté et Les Autres. Pour les premiers ateliers, il
n’a pas été possible que les enseignants lisent avant l’atelier, les albums que
je souhaitais pour former une culture commune à la classe. Je n’ai pu
l’organiser que sur le dernier thème « Les Autres ».
J’ai proposé globalement les
mêmes ateliers aux CM1/CM2 et au CP/CE1, sauf le deuxième atelier, les CP/CE1
n’avaient pas échangé sur l’amitié, j’avais tenté de faire la distinction entre
copain et ami mais pour eux c’était similaire. J’ai proposé en deuxième
atelier, la question « Peut-on être ami avec tout le monde ? », en partant de
l’album « AMI-AMI » de Rascal.
Je ne comptais pas
faire l’atelier N°3 sur l’anneau de Gyges avec les CP/CE1, j’avais préparé un
atelier similaire avec l’album « disparais ! » mais nous nous étions mal
comprises avec l’enseignante, et elle l’avait lu dans les lectures
préparatoires. Je ne pouvais donc plus leur demander d’imaginer ce qui allait
se passer, j’ai décidé au dernier moment de leur proposer l’anneau de Gyges.
La situation de Gygès, berger,
était trop éloignée pour les élèves de CP/CE1, ils ont eu très peu
d’imagination sur ce que Gygès allait faire avec la bague. Même sur la deuxième
question, « Que feriez-vous si vous aviez le pouvoir d’être invisible pendant
24h ? », le groupe composé uniquement de CP, a été très timide. Un élève a
proposé de « faire à manger et faire le
ménage pendant 24h », je l’ai interrogé sur ce qu’apportait le pouvoir
d’invisibilité pour cette action, il a répondu « en fait, rien ». Ils ne se sont pas identifiés au personnage, ni à
la situation, et c’est pourquoi ils ont eu très peu de proposition.
J’ai également rencontré des difficultés sur le cadre
de l’atelier. Il m’a fallu prendre une posture plus autoritaire avec certains
élèves qui cherchaient les limites, soit dans leurs rapports avec leurs
camarades de classe, soit avec leur implication dans l’atelier. Le lieu dans
lequel je pouvais faire l’atelier pouvait être problématique. Nous étions dans
la bibliothèque de l’école, il n’y avait pas assez de place sur des bancs, les
élèves étaient donc assis par terre autour d’un tapis. Petit à petit au cours
des ateliers, ils cherchaient les limites, ils ont pu s’étaler par terre les
uns après les autres, en attendant ma réaction. D’autres élèves pouvaient
intervenir pour leur signaler qu’ils ne devaient pas s’allonger ainsi.
L’atelier était parasité par ce genre de comportement.
Groupe
d’élèves de CP de l’école des Gonettes
J’ai tenté, les jours où cela
était possible, de prendre une salle de classe afin que les élèves puissent
être en cercle mais assis sur des chaises. Les bureaux étant anciens, ils
avaient forcément la table avec la chaise.
Groupe
d’élèves de CP de l’école des Gonettes
Cette disposition était plus propice à la
concentration, les élèves se cherchaient moins les uns les autres. Certains
tentaient toujours de s’affaler sur la table, les ateliers ont eu lieu au mois
de juin, les après-midi, ils n’étaient pas toujours très dynamiques ! Mais
cette disposition, avec les chaises et les tables, où chacun avait un espace à
lui, bien défini, facilitait le retour à une ambiance plus cadrée.
3.2. Zoom sur des moments d’ateliers
3.2.1. Mon attitude suite à la réaction des élèves
(CM1/CM2) sur la couverture de Yakouba
Le 3 Juin 2024, c’est le cinquième atelier avec le groupe de CM1/CM2, le troisième sur le thème de La Liberté. Au tout début de l’atelier, je leur ai simplement dit « Aujourd’hui, on va partir d’une histoire. L’histoire de Yakouba » et quand j’ai montré la couverture du livre, les trois quarts des élèves ont éclaté de rire. Le verbatim de ce moment de l’atelier est en annexe 6. Je suis mal à l’aise avec cette réaction car elle ne correspond pas à mes valeurs. Le biais de confirmation entre en jeu, les élèves viennent d’agir de façon contraire à mes idées, alors je les questionne fortement. J’ai beaucoup d’hésitation, je ne sais plus quelle posture adopter, pour moi il est important d’intervenir pour ne pas que les élèves rigolent à chaque page. Je considère alors que le maintien du cadre, légitimise mon intervention. Mon intervention va être inconsciemment très moralisatrice, alors que consciemment je cherche à ne pas l’être.
-
L. 9 quand je dis « Pour
moi, en fait, c’est un peu ... » , l’utilisation de « Pour moi » montre que je porte un jugement sur leur attitude.
J’insiste l.11 : « Moqueur, oui, il y a quelque chose qui me dérange un peu ». Ainsi je ne suis pas impartiale. Je donne
des indications sur mes valeurs, et quelle sera la « bonne » attitude à adopter
selon moi. Je recommence l.32 : « Oui
mais alors, comment ça peut s’interpréter de ma part ? ». Les élèves le comprennent bien, comme
le montre l’intervention d’Imran, l.39, « Moi
je trouve que c’est pas rigolo, parce que c’est … c’est irrespectueux. ».
Si on regarde son attitude depuis le début, dans un premier temps, il ne rigole
pas aux éclats mais il sourit, au fur et à mesure de mon intervention, il
sourit moins. Imran est l’élève de la classe qui pose le plus de problèmes dans
le respect des règles. C’est le seul avec lequel j’ai eu besoin de faire un
point sur son attitude en tête à tête, en fin d’atelier. À ce moment, il
comprend que je considère que les autres ont fait quelque chose d’incorrect et
essaye de prendre la place de l’élève sage, par son intervention, pour avoir ma
reconnaissance.
-
L. 64 : je dis « il
faut savoir que dans le rire, ça peut aussi être du mépris. », comme le
soulignait, J. Bartoli, l’utilisation du verbe falloir, fait référence à un
système de valeurs particulier, ici je fais à nouveau référence à mes propres
valeurs.
-
L’utilisation du mot « capable » ligne 71 et 72 est fort, et inapproprié, il montre
encore mon attachement à mes valeurs.
-
Le biais de confirmation est encore présent quand je
donne la parole à Victor, l. 33, quivisiblement a le même système de valeurs
que moi, afin qu’il exprime, « la bonne idée », que « je veux » entendre.
-
Je remarque également que je pose des questions dont
visiblement je ne veux pas entendre lesréponses car j’en pose une autre juste
après, sans laisser le temps aux élèves de répondre :
•
L. 32-33 : Oui
mais alors, comment ça peut s’interpréter de ma part ?
Victor tu as l’air de …
Pourquoi pour toi ce n’est pas rigolo du tout ?
•
L. 45-46 : Alors,
est-ce que là , le fait de rire, on ne se moque pas d’une personne parce qu’il
n’existe pas ? Est-ce que c’est la représentation de personnes qui existent ?
-
Je veux les questionner pour qu’ils expriment pourquoi
ils ont rigolé, mais je ne les laisse pass’exprimer et je leur explique selon
moi ce qui a provoqué le rire : l. 61-63 : «
Il a un front qui va être, peut-être, plus gros que ... surtout que... il n’y a
pas de cheveux, du coup il n’y a pas la limite qui est marquée. Mais en fait …
euh … il est juste différent et du coup un visage qu’on n’a pas forcément
l’habitude de voir ainsi. »
À ce moment de l’atelier, je fais de « l’éducation à
», je ne suis plus en posture d’animation d’ateliers de philosophie. J’aurais
pu simplement leur demander de faire attention à ne pas rire à chaque page car
ça peut gêner le déroulement de la lecture et peut-être compromettre la bonne
compréhension de l’histoire. Mais je ne devais pas faire une leçon de morale
sur le respect de la différence. On pourrait penser que ce n’est pas grave, que
ça fait une piqûre de rappel sur le respect. Seulement c’est plus problématique
que cela, ça ébranle l’horizontalité dans le rapport adulte/enfants dans
l’atelier de philosophie, horizontalité primordiale à installer si l’on veut
libérer la parole des enfants. Ainsi par ce type d’intervention, on rompt le
contrat didactique établi avec les élèves, on peut perdre leur confiance et on
ramène tout le monde dans le schéma classique de « l’adulte sachant » qui porte
un jugement sur les propos et les attitudes des enfants !
3.2.2. Illustration du biais de cadrage
En animant plusieurs fois des
ateliers avec la même préparation, avec les élèves de la même classe CP/CE1, et
seulement une heure de décalage, j’ai pu observer des différences de réaction
chez les enfants suivant le cadrage. En effet, en modifiant l’intonation dans
la lecture des histoires, les propositions des élèves étaient différentes et
pouvaient être clairement influencées par le mode de lecture.
Par exemple, lors de mon premier atelier avec l’album Yakouba, dans la phase d’interprétation de la dernière image de l’album, les élèves n’avaient pas évoqué la sérénité comme possibilité d’interprétation dans le regard de Yakouba.
Pour le deuxième groupe, j’ai
terminé la lecture de cette page avec une intonation plus joyeuse, la première
interprétation des élèves était : « Il
est content parce que les lions n’attaquent plus le troupeau ».
Je n’ai malheureusement pas d’enregistrement vidéo, ni
audio, car ma tablette n’avait pas fonctionné tout au long de ces deux
ateliers.
J’ai pu
observer un deuxième exemple, lors de l’atelier avec l’album Jean de Lune.
D escription du déroulé de l’atelier :
Jean de la Lune, seul habitant de la Lune, s’ennuie
et rêve de venir s’amuser avec les humains qu’il observe toutes les nuits. En
s’accrochant à une comète, il réussit à venir sur la terre. Seulement son
arrivée, fît le bruit d’une bombe.
Lors de l’atelier, j’arrête la lecture de l’histoire et je demande aux enfants d’imaginer ce qui va se passer. Ensuite je reprends la lecture.
Jean de la Lune fût jeté en
prison avec un boulet au pied. Il réussit à s’échapper quand la Lune fût dans
son dernier quartier, car il rétrécissait aussi et put passer à travers les
barreaux. Il vécut quelque temps avec les animaux dans la forêt, et à la pleine
Lune suivante, il s’aventura dans un bal masqué, où les gens croient qu’il
était déguisé en lunien.
J’arrête à nouveau la lecture et je
pose les deux questions suivantes :
- Pourquoi
est-ce le seul jour où Jean de la Lune peut danser avec les humains ?
- Les
humains l’ont-ils vraiment accepté ce jour-là ? Pourquoi ?
Et ensuite on reprend
l’histoire, où un voisin a appelé la police pour tapage nocturne, à l’arrivée
des hommes en uniforme, Jean de la Lune s’enfuit dans la forêt de peur de
retourner en prison. Il découvre le château d’un savant fou qui a fabriqué une
fusée pour aller sur la Lune, mais qui est trop vieux et trop gros pour y
entrer dedans. C’est ainsi qu’il propose à Jean de la Lune de retourner dans sa
Lune. Jean de la lune trouvait qu’il n’avait pas été bien reçu par les hommes
de la Terre. Il accepte pour rentrer chez lui au plus vite.
Ensuite on propose une discusion
collective à partir des questions :
- Qu’a
cherché à nous dire Tomi Ungerer à travers cette histoire ?
- Est-ce
que vous êtes d’accord avec lui ?
- Tous
les humains sont-ils aussi intolérants ?
- Qu’est-ce
qu’un préjugé ?
- Donnez
des exemples de préjugés dans le monde dans lequel nous vivons ?
- Peut-on
juger quelqu’un sur son appartenance à un groupe particulier (sa nationalité,
son sexe, sareligion) ?
On peut ensuite faire une
cueillette de questions pour déterminer le sujet de la discussion collective et
conclure.
Lors de l’atelier avec le
deuxième groupe, celui qui contient les CE1, j’ai essayé de poser la première
question en enlevant le mot « seul », j’ai demandé : « Pourquoi ce jour-là, Jean de la Lune peut danser avec les humains ?
». Et les réponses ont été beaucoup trop vagues et éloignées du point que
j’espérais qu’ils soulèvent :
- «
Parce que il est plus dans le ciel, il
est plus dans la lune. »
- «
Parce qu’en fait la lune est descendue du
ciel pour aller danser avec une fille. »
En reposant la question, mais
en y ajoutant le mot « seul », les
réponses se sont axées sur le fait qu’il soit déguisé.
Ainsi on peut observer l’effet d’un seul mot dans une
question. Et si l’objectif pédagogique est d’emmener les enfants vers la
découverte d’une autre interprétation de l’histoire que celle qu’ils peuvent
avoir en première lecture, il peut être nécessaire de les influencer en
utilisant ce biais de cadrage afin qu’ils ne se dispersent pas trop.
3.2.3. Zoom sur l’atelier avec le support Jean de la
Lune avec les CP/CE1
Après avoir terminé la lecture de
l’histoire, je pose la première question aux enfants :
« Qu’a cherché à nous dire Tomi
Ungerer à travers cette histoire ? » Le verbatim de cette partie de l’atelier
est en annexe 7.
Le premier biais qu’on peut observer
dans cette discussion est le biais d’ancrage, la première intervention de Lilou
: l.1 « Il voulait parler de la lune
» va orienter une bonne partie de la discussion. C’est repris par Berucci l.24
« Parce que y’a des gens qui veulent voir
la lune. », puis par Ethan l.33 : « En fait , l’histoire en fait, il a essayé de
nous faire comprendre que la lune, euh, elle est vivante. ». Il est
contredit par Lucas , mais qui ajoute quand même l. 48 « On peut aller sur la lune ». Yvhana confirme l’intention de
l’auteur de faire une histoire sur la lune : « Parce qu’en fait, euh, le nom que t’as dit, ben il avait réfléchi en
histoire, et que y’a des gens qui vont sur la lune et qui z’aiment bien la
lune, et que y’a des gens qui regardent la lune, et qui lisent des livres de
lune, et ben, du coup y’a quelqu’un qu’a fait un livre sur la lune. »
Ensuite il va y avoir un effet
de cascade de réputation sur le fait que c’est une belle histoire. Lucas
commence, l.73 : « Pour faire une belle
histoire. ». Ethan nuance le propos de Lucas en ajoutant l.75 : « Une belle histoire qui se passe en prison.
». Amal montre son accord avec la nuance d’Ethan
l.81 : « Non, moi je trouve que c’est pas une belle histoire en prison. »
mais ajoute l.83 « Par contre quand il
sort de prison c’est une belle histoire. ». Ethan et Lucas tentent de
nuancer l.87 « Une belle histoire et pas
une belle histoire. Moyenne histoire. », Sakina avec de vagues arguments
rejoint, ce qui s’apparente à l’effet de cascade d’information, l’idée de la
majorité, c’est une belle histoire l.90 : « Moi
c’est une belle histoire, parce que au moins il avait des problèmes, ben
maintenant il a plus de problèmes. Et maintenant il est sur la lune, et c’est
une belle histoire. ». Ce qui va être argumenté par Emeraude l.98 : « Ben parce qu’il a visité un château … »
puis l.100 : « Et il a vu des vraies
personnes … ». Sakina souhaite réfléchir plus précisément en redemandant la
question l.104 : « Tu peux redire ta
question ? » Yvhana confirme le fait que ce soit une belle histoire avec
des arguments erronés l. 109 : « c’est
bien parce que le bonhomme, parce que en fait le bonhomme au début, il a failli
aller en prison et après ». L’ensemble des élèves ont l’air d’accord sur le
fait que c’est une belle histoire quand ils répondent à ma question l.112 : « Vous êtes tous d’accord ? », l.113 :
« OUI
! OUI ! ». Ethan tente de ne pas être en accord avec le groupe l. 114 : « Non ! » , il réitère l.120 : « Terrifiant ! » mais le coût social de la
contestation semble être trop lourd pour qu’il argumente et donne plus
d’importance à son point de vue. Sakina reprend la parole en disant l.130 : « J’ai compris ta question, t’avais dit
pourquoi ça se finit bien, ben parce que, parce que , il arrange les problèmes,
c’est tout. », seulement elle ne répond pas à ma question mais à la
question qu’elle a voulu entendre et sur laquelle elle a doutée plusieurs fois,
mais n’a jamais changé de position, ni d’arguments, qui restent très vagues.
J’aurai dû lui demander de préciser de quels problèmes elle parlait.
Cet atelier ne s’est pas passé comme je le souhaitais
mais je n’ai pas voulu imposer mon interprétation de l’histoire. J’ai fait le
choix d’écourter l’atelier car j’étais déstabilisée, ma tentative sur la
question de vivre totalement seul n’était pas suffisamment claire pour moi pour
pouvoir l’être pour les enfants. Ils n’ont pas semblé perturbé par la fin
précoce de l’atelier. Les enfants n’ont pas le même filtre que les adultes et à
travers leurs filtres d’enfants, la majorité d’entre eux, trouvaient que c’était
une belle histoire qui parlait de la lune, j’ai préféré que cela reste ainsi.
Conclusion
Selon J. Hawken (2019, p.9) : «
Tous les philosophes pour enfants s’accordent à dire que les facultés
d’étonnement, de curiosité et d’intuition des enfants sont le signe d’une
affinité naturelle à la philosophie. Cela dit, ces tendances ne sont pas la preuve
d’une innéité : je ne souhaite pas tomber dans la mythification d’un enfant
naturellement philosophe, car le cadre éducatif et l’accompagnement didactique
demeurent essentiels afin de permettre aux graines philosophiques de germer. »
Ce cadre éducatif et cet accompagnement didactique est à mettre en place par
l’animateur ! Pour cela on ne peut pas nier les fonctionnements existants entre
les adultes et les enfants, notamment le rôle d’éducateur dans lequel est
l’adulte, depuis le plus jeune âge des enfants. L’adulte transmet ses
connaissances et apprend à l’enfant à parler, à lire, à compter, etc. L’enfant,
imite, reproduit, il a besoin de validation de l’adulte pour s’assurer de bien
faire. C’est un schéma bien ancré. Seulement pour pratiquer le dialogue
philosophique, l’enfant doit acquérir une autonomie de pensée. Dans les
ateliers de philosophie, l’adulte va petit à petit déconstruire un mode de
fonctionnement vertical pour construire avec les enfants un fonctionnement
horizontal, où les enfants, entre eux, vont élaborer leur compréhension du
monde. L’adulte et les enfants, vont devoir abandonner des automatismes mis en
place depuis longtemps, et comme ce sont des automatismes, ils ne sont plus
conscientisés, c’est pourquoi il est important de les repérer. De plus, comme
nous avons pu le voir au travers des biais cognitifs, il n’y a pas qu’entre
l’adulte et l’enfant qu’il y a des automatismes à déconstruire, mais également
dans les interactions dans le groupe. Ainsi, dès qu’il y a plusieurs personnes,
des influences se créent, il est donc vain d’espérer animer sans influencer les
enfants. Que ce soit à cause de l’avarice intellectuelle ou de l’utilisation du
mode de penser rapide, notre cerveau utilise des biais, qui peuvent nous
conduire vers l’erreur. Il est important d’avoir conscience de ces biais pour
repérer nos influences involontaires afin de les minimiser. Les influences
induites par le nourrissage culturel, à travers les supports, sont équivalentes
aux petites roues que l’on met sur un vélo, ça permet d’apprendre petit à
petit, pour un jour être capable de faire sans, mais c’est également en
pratiquant le dialogue philosophique que les enfants peuvent développer une
pensée autonome !
B
ibliographie
HAWKEN J. (2019). 1…, 2…3… Pensez ! Philosophons les enfants !.
Chronique Sociale
TOZZI M. (2012). Nouvelles Pratiques philosophiques. Chronique Sociale
CHIROUTER E. (2022). Ateliers de philosophie à partir d’albums et
autres fictions. Hachette
(coll. « Pédagogie pratique à l’école
»)
CHIROUTER E. (2015). L’enfant, la littérature et philosophie.
L’Harmattan
LEVINE J. Eds. (2008). L’enfant philosophe, avenir de l’Humanité ?
ESF
GAGNON M., YERGEAU S., SASSEVILLE M.
(2020). L'animation d'un dialogue philosophique :
éviter les pièges des biais
cognitifs. Diotime, Revue n°85 DELILLE
V. (2013). Du rôle de l’animateur. Diotime,
Revue n°57
CONNAC S. (2020) Apprendre avec les pédagogies coopératives ESF
LELEUX C. Eds. (2005) La philosophie pour enfants, le modèle M.
Lipman en discussion. De Boeck
GALICHET F. (2004) Pratiquer la philosophie à l’école.
Nathan.
GALICHET F. (2019) Philosopher à tout âge. Vrin.
BLOND-RZEWUSKI O. Eds. (2018). Pourquoi et comment philosopher avec des
enfants ?.
Hatier (coll. « Enseigner à l’école »)
LENOIR F. (2020). Philosopher et méditer avec les enfants. Le Livre de Poche.
FRAYSSINHES J. (2022). Le rôle des biais cognitifs dans
l’apprentissage, dans Éducation Permanente 2022/04 (N° 233), pages 147 à
154 éditions Éducation Permanente.
BRONNER G. (2013). La démocratie des crédules. PUF
DARMON M. (2016). L’effet Condorcet. La revue
lacanienne 2016/1 (N° 17), pages 48 à 52 Éditions Érès.
TVESKY A. & KAHNEMAN D. (1981) The Framing of Decisions and the Psychology
of Choice, SCIENCE VOL. 211
BARTOLI J. (2019) Thèse :
Morale et philosophie à l’école Républicaine : des tensions à interroger.
Études des phénomènes interlocutifs lors des discussions citoyennes à visée
philosophique pratiquées en classes de CM2
TOZZI M. (2005). L’émergence
des pratiques à visée philosophique à l’école et au collège : comment et
pourquoi ? Spirale. Revue de recherche en
éducation, n°35, Philosopher avec des enfants, p 9-26
Annexe 1
( J. Bartoli, 2019, p. 172-173)
Extrait n°
12 - Qu’est-ce qu’une grande personne ?
_____________________________________________________________________________________
Exemple n° 1
Lignes 13-18 TPA7
Animateur :
« On devient majeur, donc, on atteint, on atteint une majorité, atteindre
une majorité c’est quelque chose d’important, hein, parce que ça va vous rendre
responsable de vos actes. Ça (ne) sera plus les parents qui seront
responsables. Ça veut dire qu’on estime
que vous êtes grands pour avoir la
majorité.
Mais
qu’est-ce que ça veut dire justement
quand on est responsable, qu’on est majeur ? »
_____________________________________________________________________________________
Analyse
Nous remarquons deux
éléments indiciels qui marquent en quoi le locuteur (adulte) oblige dans son
propos l’adhésion obligatoire de l’interlocuteur (ici tous les élèves). Il
s’agit d’une part de l’emploi de la formule « hein » qui souligne
l’adressage d’acquiescement au « tu » de l’allocutaire et, d’autre
part, du recours à l’emploi du pronominal « vous » qui enveloppe
l’allocutaire (ici « vous », sous-entendu l’ensemble des
élèves) en l’intégrant obligatoirement dans l’énonciation. De même, nous
soulignons l’évolution d’un « on »
impersonnel, plus généralisant repris trois fois en début d’intervention « On devient majeur, donc, on atteint, on atteint
une majorité, atteindre une majorité c’est
quelque chose d’important hein, parce que ça va vous rendre responsable de
vos actes … » transformé par la marque factuelle en « c’est » dans « c’est
important » qui évolue soudainement dans cette adhésion obligatoire de
l’élève aux propos de l’enseignant. De même, l’énonciateur présente l’action
comme obligatoire en se servant d’outils linguistiques comme l’emploi du
marqueur adverbial « justement » indiquant que
l’enseignant attend en retour une réponse exacte et précise. Nous avons choisi
un autre extrait montrant l’enchaînement de l’usage des pronominaux de seconde
personne au singulier « tu » s’adressant à l’élève dérivant
sur un « vous » puis ensuite glissant sur un « on » plus généralisateur
désignant tous les élèves et tout le monde en fait. De notre point de vue, nous
y voyons une demande d’adhésion quasiobligatoire des élèves aux propos de
l’enseignant.
Annexe 2
«
Thog problem » ou problème du Schmilblick (G. Bronner, 2013, p 42-
46)
On suppose que
l’expérimentateur a choisi deux caractéristiques qui permettent à un objet
d’être un « Schmilblick » : la forme et la couleur. Il n’y a que deux formes
(cœur et losange) et deux couleurs possibles (noir et blanc). Pour être
Schmilblick, un objet ne doit avoir que l’une
de ces caractéristiques choisies par l’expérimentateur (soit la couleur,
soit la forme) et non les deux ou aucune des deux. On ignore quel est le choix
de l’expérimentateur, mais l’on sait que le losange noir est un Schmilblick.
Par conséquent, le cœur noir, le losange blanc et le cœur blanc sont-ils oui ou
non des Schmilblicks ? Trois réponses sont possibles, soit telle figure est un
Schmilblick, soit elle n’en est pas un, soit il est impossible de déterminer si
oui ou non elle en est un. Ce problème est donc résumé dans le tableau suivant.
♦ |
♥ |
◊ |
♡ |
Schmilblick |
? |
? |
? |
Trois types de raisonnements
peuvent être observés expérimentalement. Le raisonnement le plus courant est le
suivant : puisque le losange noir est un Schmilblick, c’est que
l’expérimentateur a choisi soit le losange, soit la couleur noire. Par
conséquent, le cœur blanc qui n’a aucune de ces caractéristiques ne peut pas
être un Schmilblick. Pour les mêmes raisons, le cœur noir et le losange blanc
qui ont une de ces caractéristiques sont des Schmilblicks.
On obtient donc le résultat suivant :
♦ |
♥ |
◊ |
♡ |
Schmilblick |
Schmilblick |
Schmilblick |
Non Schmilblick |
Un autre type de raisonnement
peut être défendu : le cœur blanc qui ne possède aucune des caractéristiques du
losange noir ne peut être un Schmilblick, mais l’on ne peut déduire de l’énoncé
que le cœur noir et le losange blanc en sont. En effet, on ignore quelle est la
caractéristique choisie par l’expérimentateur. Or, si c’est la couleur noire,
le cœur noir est un Schmilblick, mais pas le losange blanc ; et réciproquement,
si c’est la forme du losange, le losange blanc est un Schmilblick, mais pas le
cœur noir. Donc on ne peut savoir si le cœur noir et le losange blanc sont des
Schmilblicks, et l’on obtient le résultat suivant :
♦ |
♥ |
◊ |
♡ |
Schmilblick |
Insoluble |
Insoluble |
Non Schmilblick |
Ces deux types de raisonnement sont
choisis majoritairement par les interrogés parce qu’ils paraissent
satisfaisants. Ils offrent une solution à la réponse avec un investissement
mental raisonnable. Mais ces deux types de raisonnements révèlent notre avarice
mentale et ils sont parfaitement faux. Le seul raisonnement valide est celui
que seuls choisissent 10 % en moyenne des interrogés. Il est un peu hors de
portée de l’intuition ordinaire et implique un coût d’investissement supérieur
aux autres solutions, plus immédiates. Il peut être formalisé de cette façon :
puisque l’on sait que le losange noir est un Schmilblick, on peut déduire que
l’expérimentateur a choisi comme caractéristique du Schmilblick, soit la
couleur noire, soit la forme losange, mais non les deux (car alors le losange
noir ne serait pas Schmilblick). On peut dès lors en déduire que le cœur blanc
est un Schmilblick. En effet, ou bien c’est sa couleur qui fait du losange noir
un Schmilblick et, par conséquent, la deuxième caractéristique du Schmilblick
ne peut être que le cœur, ou bien c’est sa forme, et la deuxième
caractéristique du Schmilblick ne peut être que le blanc. Dans les deux cas de
figure possibles, le cœur blanc correspond à la définition du Schmilblick. En
revanche, ni le cœur noir, ni le rectangle blanc ne peuvent être des
Schmilblicks. Car si la couleur noire est la caractéristique du Schmilblick,
c’est que le cœur est sa forme : le cœur noir possède donc les deux
caractéristiques et le losange blanc, aucune ; dans les deux cas, ils ne sont
pas Schmilblicks. Réciproquement, si la forme du Schmilblick est le losange,
alors le blanc est sa couleur et le cœur noir ne possède aucune des
caractéristiques du Schmilblick, tandis que le losange blanc en possède deux.
Par conséquent, la solution du problème est la suivante :
♦ |
♥ |
◊ |
♡ |
Schmilblick |
Non Schmilblick |
Non Schmilblick |
Schmilblick |
Le résultat du problème posé
est plutôt surprenant et contre-intuitif, mais lorsqu’on l’a trouvé, on sait
que c’est la bonne solution. Seulement, avant d’en arriver là, 90 % des
interrogés se seront égarés vers des solutions fausses. Leur égarement vient de
ce que leur raisonnement apporte une solution au problème (ce qui est une
incitation forte à cesser de réfléchir) et de ce que son caractère erroné ne
saute pas aux yeux. Une grande partie du problème se situe dans cet aspect très
simple du fonctionnement de notre esprit.
Annexe 3
Description de l’atelier sur la liberté avec l’anneau de Gygès
Temps 1 : récit de l’histoire, en théâtralisant, avec une bague à
chaton, jusqu’au moment où Gygès découvre le pouvoir d’invisibilité de la
bague. Temps 2 : discussion en 5
groupes de 4 ou 5 élèves.
Consigne : Avant de raconter la
fin de l’histoire, je vous demande de réfléchir ensemble à ces deux questions
pendant 10 minutes :
1) À
votre avis, que va faire Gygès de ce pouvoir d’invisibilité ?
2) Si
vous aviez la bague pendant une journée, que feriez-vous ? Imaginez votre
journée d’invisibilité.
Temps
3 : synthèse en groupe classe
Lister et classer au tableau
les exemples donnés par les élèves en réponse aux questions 1 et 2. - Idées de
transgression des interdits : désobéir aux parents, voler, frauder dans les
transports, tricher, espionner, se venger, faire peur, etc …
- Idées d’actions plus positives :
protéger les autres, redistribuer l’argent volé, etc.
Raconter la fin de l’histoire
pour savoir ce qu’a fait Gygès et comparer avec les hypothèses des élèves.
Temps
4 : Discussion collective sur Qu’est-ce qu’être libre ?
Temps 5 : Conclusion : synthèse des
idées.
Annexe 4
Groupe de 12 élèves de CM1/CM2 de l’école des Gonettes
lundi 6 Mai : Atelier N°2 Thème
: AIMER
Concept de l’amour : Cyrano
Lecture de
l’histoire
Théâtralisation de la scène du balcon
Débat : Cyrano aime-t-il vraiment Roxane ?
lundi 13 Mai : Atelier N°3 Thème : LA LIBERTÉ Anneau de Gyges
Que va faire Gyges ?
Que feriez-vous si vous étiez
invisible ?
Transgression
des lois de la république mais pas des lois de la physique.
Réflexion sur le concept de Liberté
Vendredi 24 Mai : Atelier N°4 Thème
: LA LIBERTÉ ça dépend de moi, ça ne dépend pas de moi ?
Temps 1 : (10 min) Réflexion individuelle pour chacune des questions imagées
Temps 2 :
Réflexion en groupe sur les
questions
- Devenir
adulte ça dépend de nous, ça ne dépend pas de nous ?
- Porter
ce que je préfère, ça dépend de nous, ça ne dépend pas de nous ?
- Avoir
beaucoup d’argent ça dépend de nous, ça ne dépend pas de nous ?
lundi 3 Juin : Atelier N°5 Thème : LA LIBERTÉ
Yakouba. Besoin de
ma part de stopper l’atelier pour parler de la réaction des élèves à la vue de
la couverture de Yakouba, la comprendre afin que les élèves ne rigolent pas à
chaque page du livre. Reposer le cadre par rapport au respect.
Lecture de Yakouba jusqu’au dilemme de
tuer ou non le lion.
Par groupes de 4 les élèves ont cherché :
les
bonnes raisons de tuer le lion : les
bonnes raisons de ne pas tuer le lion :