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Peut-on animer des ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents sans les influencer ? - Anne ROCHE

 



Diplôme Universitaire                                                                                                     2023/2024

Animer et concevoir des ateliers de philosophie avec les enfants et adolescents à l’école et dans la Cité

Connaître les biais cognitifs pour éviter d’influencer les enfants et les adolescents dans notre posture d’animateur d’atelier de philosophie

Impartialité ? Neutralité ? « Ruse » ?

Peut-on animer des ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents sans les influencer ?

Présenté par Anne ROCHE

Sous la direction de Charlie RENARD

Août 2024

Remerciements

Je tiens à remercier Edwige Chirouter pour la mise en place de ce DU, animer et concevoir des ateliers de philosophie avec les enfants et adolescents à l’école et dans la Cité, ainsi que toute l’équipe pédagogique, pour la qualité de leurs enseignements. Même si ce n’est pas toujours facile de faire des études tout en travaillant, j’ai beaucoup apprécié toutes les évaluations, elles nous ont obligés à approfondir, chacune dans une nouvelle direction. L’élaboration de ce mémoire m’a énormément éclairée sur ma posture dans l’animation d’ateliers de philosophie. Un grand merci à Charlie Renard pour son accompagnement dans la production de cet écrit, merci pour la disponibilité, les conseils, la bienveillance et les encouragements. Merci à tous de m’avoir donné des clés pour entrer dans ce monde de l’animation d’ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents.

Je remercie également tous les étudiants de cette promo 2023-2024, pour la bienveillance, la solidarité, pour la richesse des échanges, en cours, en collocation, en soirée ou en GEASE. Le 23 ocobre 2023, premier jour de cours pour ce DU, j’ai dit être enthousiaste comme une enfant à son premier jour de colo, et c’est la colonie la plus réussie de ma vie !

Je remercie Nancy Garnier et Benoît Ribes de m’avoir accueillie dans leur école, de m’avoir fait confiance et laissé carte blanche avec leurs élèves. Un grand merci à tous les élèves également pour tous ces moments d’ateliers.

Je remercie mon conjoint, Valéry et mes enfants, pour m’avoir soutenue et supportée dans les moments de stress tout au long de cette année.

Et enfin un grand merci à Pascale, Mélo, Anne et mon Papa pour leur relecture de ce mémoire, et leur retour très précieux !

Sommaire

Introduction…….…………………………………………………………………………….. 4

1. Posture de l’animateur d’ateliers de philosophie………………....……………...……… 5

1.1. Une recherche d’équilibre ....…………………………………………….……………….. 5

1.2. Abandon de la posture de sachant ....……………………………………………………... 8

2.  Les biais cognitifs ....………………………………………………………………………. 10

2.1.  Qu’est-ce qu’un biais cognitif ? Pourquoi notre cerveau fonctionne ainsi ? ....…….…….. 10

2.2.  Les biais cognitifs à connaître pour la posture d’animateur ....…………………….……... 11

2.2.1.  Le biais de confirmation ....……………………………………………….…….. 11

2.2.2.  Le biais de cadrage ....…………………………………………………….…….. 13

2.3.  Les biais cognitifs à l’intérieur du dialogue philosophique ....…………………….……... 16

2.3.1.  Biais d’ancrage ....………………………………………………………………. 16 

2.3.2.  Effet de cascade ....……………………………………………………………… 17

2.3.3.  Le paradoxe Condorcet ....……………………………………………………… 18

3.  Analyse de la pratique ....………………………………………………………………….     21

3.1.  Mise en pratique de la théorie ....…………………………………………………………. 21

3.2.  Zoom sur des moments d’ateliers ....……………………………………………………… 27 

3.2.1.  Mon attitude suite à la réaction des élèves (CM1/CM2) sur la couverture de

         Yakouba ....……………………………………………………..……………...… 27

3.2.2.  Illustration du biais de cadrage ....…………………………………………….… 29

3.2.3.  Zoom sur l’atelier avec le support Jean de la Lune avec les CP/CE1 ....……..… 31 

Conclusion ....…………………………………………………………………………………. 32

Bibliographie ....………………………………………………………………………………. 34 

Annexe 1 : analyse d’actes de langage moralisateurs ....…………………………………….... 35

Annexe 2 : « Thog problem » ou problème du Schmilblick ....………………………………. 36

Annexe 3 : Description de l’atelier basé sur l’anneau de Gygès ....………………………….     38

Annexe 4 : Liste des différents ateliers avec les CM1/CM2 ....…………………………….… 39

Annexe 5 : Liste des différents ateliers avec les CP/CE1 ....………………………………….. 43

Annexe 6 : Verbatim du début de l’atelier avec l’album Yacouba avec les CM1/CM2 ....….... 46

Annexe 7 : Verbatim de l’atelier avec l’album Jean de la Lune avec les CP/CE1 ....………… 49

Introduction

Personnellement, j’ai le sentiment d’avoir commencé à exister, en tant que MOI, à 18 ans. Âge où j’ai pris conscience que je pouvais penser par moi-même, que mon opinion pouvait avoir de la valeur, que je pouvais remettre en question la morale qu’on m’avait transmise. En écrivant ces lignes, je prends conscience que dans mon éducation il était sous-entendu qu’on était adulte à 18 ans et qu’alors, seulement, on devenait un interlocuteur valable !

Ce fût une période compliquée, j’ai dû me décharger d’une morale qui ne me correspondait pas. Une morale présente consciemment et inconsciemment. Quand je suis devenue mère, il m’a semblé fondamental d’élever mes enfants avec mes valeurs, mais sans surcharger leurs épaules. Ils étaient des interlocuteurs valables, des êtres à part entière. Ainsi, avec leur père, nous nous sommes efforcés à ce qu’ils développent leur pensée, leur esprit critique.

Je suis enseignante en Mathématiques et j’ai les même attentes avec mes élèves : qu’ils développent leur pensée et leur esprit critique. Seulement ils sont nombreux à avoir des barrières face aux Mathématiques, il leur est impossible de goûter à ce plaisir de penser, ce plaisir du raisonnement, de la démonstration Mathématique. J’ai envie qu’ils découvrent par eux même que penser peut être agréable, peut être intéressant voire passionnant, et que ça peut aider à vivre bien. Pour beaucoup, surtout pour les élèves en difficultés, les Mathématiques leur semblent un casse-tête inutile sans intérêt, ce n’est que labeur, répétition, oublis et échec. J’ai découvert l’existence des ateliers de philosophie avec les enfants en lisant le livre de F. Lenoir (2020) « Philosopher et méditer avec les enfants ». Je suis partie du présupposé que les questionnements sur la vie, sur le monde, sur les interactions dans le monde, peuvent révéler chez les élèves cette envie de penser. Ce que confirme E. Chirouter (2015, p.48) « La philosophie, parce qu’elle donne un supplément d’âme à toutes les autres disciplines, parce qu’elle parle du cœur et du sens de toute chose, devrait accompagner et non couronner l’enseignement ». Seulement, en lisant les récits des ateliers de Frédéric Lenoir, par moments, j’ai trouvé sa posture orientée, selon moi, il faisait une leçon de morale. Ma crainte dans l’animation d’ateliers de philosophie est justement, de les transformer en leçons de morales, de leur transmettre mes valeurs. Ce fût le même questionnement que je me suis posé pour l’animation d’éducation à la sexualité : comment les amener à réfléchir, à poser leurs questions sans que ce soit chargé en jugement moral. Finalement la formation proposée par l’éducation nationale pour être animateur des séances d’éducation à la sexualité m’a apporté des méthodes pour amener les élèves à réfléchir et à échanger sur des thèmes se rapportant à la vie sexuelle et affective, sans que ce soit imprégné de moral, il y a seulement un rappel du cadre légal avec un focus sur le consentement. Mais contrairement aux ateliers de philosophie, c’est de « l’éducation à », il est donc tout à fait légitime de leur transmettre des connaissances, particulièrement sur les champs biologiques et juridiques. C’est ainsi que j’ai cherché les formations existantes afin d’accompagner les enfants à développer leur pensée sans les orienter. La posture de l’animateur étant une de mes principales préoccupations pour débuter, j’ai choisi d’en faire le sujet de mon écrit réflexif !

1. Posture de l’animateur d’ateliers de philosophie

1.1. Une recherche d’équilibre

Le monde de l’enfance et le monde de la philosophie semble en apparence disjoint. Dans les années

1970, Matthew Lipman, disciple du philosophe J. Dewey, un des fondateurs du « pragmatisme », (pour une philosophie ancrée dans le réel, le sensible, l’expérience, basée sur le modèle de l’enquête, de la recherche et de la démarche scientifique), constatant que ses étudiants avaient peu de compétences en logique argumentative et semblaient avoir perdu toute curiosité intellectuelle, voulut les développer bien en amont. Ainsi, avec Ann-Margareth Sharp, ils décident de créer une méthode à partir de romans philosophiques adaptés à différents âges (de 5 à 18 ans) pour accompagner les enfants vers une pensée personnelle. En 1974, ils fondent un institut de développement de philosophie pour enfants (IAPC) afin de promouvoir ces initiatives aux USA et partout dans le monde. Cet apprentissage du dialogue philosophique entre enfants va s’introduire petit à petit en France et sera développé, juste avant les années 2000, par M. Tozzi qui depuis 1988 travaille sur la didactique de la philosophie en terminale et va alors orienter ses recherches vers ce nouveau terrain. Cette démarche particulière du développement de la pensée des enfants, à travers un dialogue philosophique entre pairs, demande une nouvelle posture de la part de l’adulte. C’est ce qui m’amène à cette question : Quelle posture doit avoir l’animateur d’atelier de philosophie avec les enfants et les adolescents ?

Je connais bien la posture de l’enseignant en Mathématiques, je l’expérimente depuis plus de 20 ans, je l’ai réfléchie, modifiée au fil des années. J’ai réussi à trouver une posture qui me convient, qui semble convenir à mes élèves, elle évolue toujours d’année en année mais j’ai des points d’appui solides. Seulement pour les ateliers de philosophie je me questionne sur quand faut-il intervenir ? Comment intervenir ? Il est primordial de faire dialoguer les enfants entre eux, de les faire réfléchir, de leur faire prendre de la hauteur philosophique. Mais comment instaurer tout cela ? Le premier jour de formation pour le DU, Edwige Chirouter a cité J. Jaurès : « Il n’y a que le néant qui soit neutre »[1], ainsi nous ne devons pas être neutres mais impartiaux ! Ce premier éclairage fût important dans ma réflexion. Ensuite il n’y a pas qu’une méthode pour animer des ateliers. Plusieurs d’entre elles ont été présentées durant la formation : la Communauté De Recherche (CRP) de Matthew Lipman, la Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP) de Michel Tozzi, l’Atelier de Réflexion sur l’Humaine Condition (ARCH) d’Agsas-Lévine.

Pour l’ARCH cela reste, pour ma part, assez énigmatique pour l’instant car ces ateliers demandent une posture silencieuse de l’animateur, garant du cadre par sa présence, mais il ne doit pas intervenir dans les discussions. Ainsi la posture est plus axée sur la neutralité mais cela me questionne sur les dérives éventuelles des discussions. J’envisage de suivre leur formation de 2 jours dans les années futures pour mieux comprendre ce dispositif car je pense qu’il peut être très enrichissant pour les enfants de construire leurs discussions sans intervention de l’adulte.

Pour la CRP et la DVDP les objectifs sont communs : le but est d’accompagner les enfants et les adolescents à développer leurs habiletés de pensée et notamment problématiser, argumenter et conceptualiser. L’adulte intervient sur la forme des idées et pas sur le contenu. Pour la CRP, il collecte les questions, il anime la discussion à l’aide de questions et veille à ce que les enfants parviennent à un dialogue critique. Pour la DVDP, l’animateur instaure et est garant d’un dispositif démocratique où les participants ont des rôles, la parole est régie par des règles démocratiques et c’est une coanimation entre l’adulte, le président, le reformulateur et le synthétiseur. L’adulte peut faire des pauses pour structurer la discussion, recentrer sur la question ou proposer une question de relance, il peut également demander l’intervention du reformulateur ou du synthétiseur.

Pour ces deux dispositifs on retrouve des invariants dans le rôle de l’adulte, des objectifs communs. Il doit instaurer un cadre de discussion bienveillant où les élèves ont la possibilité de s’exprimer ou non, sans préjugés ni dévalorisations.

J. Bartoli écrit dans sa thèse (2019, p. 59) : « La place de l’enseignant n’est pas facile à trouver car, s’il choisit des sujets trop orientés, en posant des questions fermées, en intervenant trop fréquemment ou en reformulant à sa manière les propos des élèves, il peut facilement conduire les élèves là où il le souhaite, en projetant sur eux sa pensée d’adulte. Pour adopter une attitude adaptée à la pratique philosophique à l’école, l’enseignant doit accepter de ne pas avoir d’attente précise sur le contenu des échanges : il va préparer les activités et les questions qui peuvent en découler mais il ne va pas chercher à anticiper précisément ce qui va en ressortir. Cela afin d’éviter d’orienter la discussion.»

La préparation de l’atelier doit se faire sur deux plans distincts. Un premier sur la connaissance du sujet, le thème ou le concept abordé. Mais cette préparation est pour développer les connaissances de l’animateur. Il lui faut avoir fait ce travail en amont pour avoir conscience de son point de vue sur la question. Il faudra lors de ce travail chercher des contre-exemples, faire ressortir les présupposés afin d’élargir sa vision du sujet et envisager les différents points de vue. Mais ce travail ne doit pas définir comment va se dérouler l’atelier. Ce travail permettra de préparer le deuxième plan : les activités proposées et des questions de relance éventuelles mais cela ne doit pas définir le déroulement de la discussion. C’est ce point qui est délicat quand on n’a pas d’expérience dans l’animation d’ateliers de philosophie. Il faut accepter cette incertitude, ce côté imprévisible peut être déstabilisant. De plus, il est important de ne pas orienter la discussion, mais est-ce réellement possible ?

L’utilisation d’un support, littérature jeunesse, photolangage, extrait de film, ou autre, permet d’apporter une culture commune au groupe et permet également, comme le souligne E. Chirouter (2022, p. 22) « de placer le problème à bonne distance : entre la trop grande distance de l’expérience personnelle, qui empêche le recul et la réflexion, et le trop grand éloignement du concept, qui empêche l’implication et l’engagement dans la pensée. » Il peut permettre également de diminuer des inégalités sociales, certains enfants n’ont aucun accès à la culture par leur milieu familial. Seulement il va nécessairement avoir un impact sur la discussion ! Effectivement un certain nombre de fonctionnements dans notre façon de penser de manière individuelle et au sein d’un groupe, que l’on appelle les biais cognitifs, vont avoir un impact sur le dialogue philosophique, ce qui sera développé dans la deuxième partie.

J. Bartoli ajoute (2019 p. 59) : « Pour y réussir [à éviter d’orienter la discussion], il [l’enseignant] doit être absolument en confiance dans la capacité de penser de ses élèves et donc ne pas appréhender les silences ou les redondances de ceux-ci. C’est au fil des séances que se construit cette confiance parce que les élèves libèrent petit à petit leur parole et l’enseignant prend conscience de la puissance de leur pensée. Dans ce type d’exercice professionnel l’enseignant sera à la fois centré sur ses objectifs mais aussi attentif aux réactions visibles ou non des participants. C’est un geste différent de celui qu’il a l’habitude d’exercer. C’est pourquoi très fréquemment au cours de ce travail, l’enseignant est confronté à l’imprévisible qui peut être de plusieurs ordres : l’attention des élèves, leur implication dans l’activité, la compréhension de la recherche, la compréhension des termes employés, la connaissance des concepts émis. Ainsi, il lui faut être à la fois en mesure d’anticiper et avoir la capacité de s’adapter en permanence tout en conservant une visée d’apprentissage vis-à-vis de ses élèves.» Ainsi l’enseignant doit laisser le temps aux élèves et à luimême de s’adapter dans ce nouveau fonctionnement. Il lui faut être capable de suivre le débat sur le fond et sur la forme mais sans intervenir sur le fond. Il faut accepter de se retrouver en difficulté afin d’acquérir de l’expérience, ainsi développer ses connaissances et gagner en aisance. Mais les débuts peuvent être délicats.

Selon Rousseau, la première qualité de l’éducateur est la ruse. Il propose en effet que l’élève « croie toujours être le maître, et que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même […]. Sans doute il ne doit faire que ce qu’il veut ; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse ; il ne doit pas faire un pas que vous ne l’ayez prévu, il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu’il va dire.[2]» D’après ce qui a été développé dans cette première partie, c’est exactement la posture que nous devons éviter. Cependant, Edwige Chirouter nous proposait d’utiliser la ruse afin que les enfants ne se sentent pas en conflit de loyauté. En effet, lors d’un atelier de philosophie, la discussion peut emmener des enfants à être en contradiction avec des valeurs transmises par la famille et ainsi, se trouver en conflit de loyauté et s’interdire de penser par eux-mêmes. Par la ruse, on peut tenter d’annihiler l’orientation imposée par le cadre familial afin que l’élève puisse penser réellement par lui-même et forger ses propres valeurs. Ainsi, on peut orienter la réflexion dans une direction afin de compenser une orientation exercée dans un autre sens par le milieu familial.

1.2. Abandon de la posture de sachant

Dans un atelier philo, l’adulte n’est plus le détenteur du savoir. Il n’est plus dans une verticalité de transmission de connaissances. Ce changement de posture peut être compliqué pour l’adulte comme pour les enfants. En effet les fonctionnements verticaux entre les enseignants/adultes et les élèves/enfants peuvent être fortement ancrés. Comme le souligne J. Bartoli dans sa thèse (p. 5758) : « Pour se développer tout enfant a bénéficié d’aide via des reformulations de ses propos par l’adulte qui va ainsi corriger les formulations non-conventionnelles de l’enfant, quel que soit le plan : phonologique, morphologique, lexical ou bien syntaxique. L’enfant fait preuve d’ailleurs

"d’acceptation tacite", en reprenant souvent "la reformulation en entier ou en partie", ce qui indique que la dimension relationnelle verticale est en famille comme à l’école, admise par l’élève. » Il va être nécessaire pour les enfants, comme pour les enseignants, de se comporter différemment. L’enseignant ne peut plus juger d’après ses opinions personnelles et sa connaissance. Il ne peut plus user de sa posture d’autorité qu’il détient généralement en tant que sachant. Et il va devoir accompagner les enfants à modifier, eux aussi, leur posture. En effet les élèves ne doivent plus se tourner vers l’adulte pour valider la véracité de leur propos, ils vont devoir apprendre à se tourner vers leurs pairs et ainsi en groupe ils vont s’interroger sur les justifications de la réponse et valider ou non l’argumentation.

Une dérive de l’atelier de philosophie est de le transformer en leçon de morale. Il sera important de ne pas prendre des orientations moralisatrices qui soutiendraient un système de valeurs plutôt qu’un autre. J. Bartoli précise dans sa thèse (2019, p. 70) : « Tout emploi de verbes modaux (devoir, falloir) sous-entend l’intention d’un système de valeur non-explicite » Il semble important d’être conscient de ces marqueurs afin de traiter équitablement les arguments de tous les participants. Dans son analyse d’un exemple (voir annexe 1), J. Bartoli analyse des actes de langage moralisateurs liés à l’emploi des pronoms, des marqueurs logiques, affirmatifs et déontiques. Cette analyse me permet de mettre en évidence l’aspect moralisateur dans les ateliers de F. Lenoir (2020, p. 113) dans son récit d’un atelier « Faut-il répondre à la violence par la violence ?  » Dans cette intervention :



il valide la morale de l’élève en disant « tout à fait » et ensuite il valide ce système de valeurs en utilisant « il faut ». Il réitère les mêmes propos quelques interventions plus loin :





Un élève soulève justement une contradiction qui existe entre nos actes et nos paroles. Point particulièrement important à questionner à mon avis. Ici F. Lenoir rejette l’intervention de l’élève en utilisant « Oui mais » alors qu’il aurait dû faire intervenir les autres enfants et ne pas imposer son point de vue d’adulte.

2. Les biais cognitifs

2.1. Qu’est-ce qu’un biais cognitif ? Pourquoi notre cerveau fonctionne ainsi ?

Il existe trois types de relations entre nos différentes cognitions : la dissonance, la consonance et la neutralité. Deux cognitions sont dissonantes si elles sont déraisonnables ou absurdes (je bois de l’alcool / je sais que l’alcool est mauvais pour la santé), sont consonantes si elles sont en harmonie (je bois de l’alcool / j’aime les effets de l’alcool ), ou neutres si elles n’ont aucun rapport entre elles (je bois de l’alcool / il fait beau). Les dissonances sont à l’origine des biais cognitifs. Dans les années 1970, Kahneman et Tversky, étudiant les prises de décisions irrationnelles dans le domaine de l’économie, ont révélé que les individus utilisent des automatismes de la pensée, qui mènent souvent à des erreurs de jugement. Ils montrent les limites de la rationalité humaine et l’importance de les prendre en compte pour éviter les erreurs de décision. Kahneman, qui reçut le prix Nobel d’économie en 2002, fait la distinction entre l’illusion de la pensée et le raisonnement analytique. Il distingue deux modes de pensée : le système 1, rapide, instinctif et émotionnel, et le système 2, plus lent, plus réfléchi et plus logique. En se basant sur de nombreux exemples, il développe les facultés extraordinaires de la pensée rapide, le rôle de l’émotion dans nos choix et nos jugements, mais aussi les défauts de la pensée intuitive et les ravages des partis pris cognitifs. Ainsi, un biais cognitif est un schéma de pensée trompeur et faussement logique. Cette forme de pensée permet à l’individu de porter un jugement ou de prendre une décision rapidement, mais avec de forts risques d’erreurs. Les biais cognitifs influencent nos choix, en particulier lorsqu’il faut gérer une quantité d’informations importantes et/ou que le temps est limité. Selon G. Bronner (2013, p41-42) c’est également dû à notre avarice intellectuelle : « En situation de concurrence, expliquent-ils [Dan Sperber et Deirdre Wilson], on optera pour la proposition qui produit le plus d’effet cognitif possible pour le moindre effort mental. La solution objectivement bonne, lorsqu’elle existe, est souvent la plus satisfaisante – nous en faisons l’expérience lorsque nous découvrons la solution à une énigme logique –, mais les individus n’ont pas toujours assez d’imagination ni de motivation pour la concevoir et s’abandonnent fréquemment à ce que Susan Fiske et Shelley Taylor nomment notre "avarice cognitive". » Cette idée est illustrée par le problème connu sous le nom de « Thog problem » que G. Bronner appelle « le problème du Schmilblick » (voir Annexe 2).

Ainsi ces biais sont des automatismes de la pensée, ils sont donc inconscients et peuvent être considérés comme « naturels » car personne n’y échappe véritablement, à moins d’y être attentif et d’essayer délibérément de les éviter.

2.2. Les biais cognitifs à connaître pour la posture d’animateur

2.2.1. Le biais de confirmation

Le biais de confirmation consiste à accorder plus d’attention et de crédibilité aux thèses qui confirment nos idées, ou bien à être moins critique à leurs égards. En contrepartie, nous aurions tendance à négliger celles qui permettraient de les contredire ou de les nuancer. En effet il sera plus coûteux pour notre cerveau d’infirmer une de nos idées car il serait nécessaire d’élaborer un cheminement de pensée pour comprendre l’idée contraire, c’est pourquoi notre cerveau préfère prendre des raccourcis et cherche à confirmer rapidement cette idée déjà établie.

Ce biais est mis en évidence dans l’expérience de Wason,(G. Bronner, 2013, p. 39-40)

Le psychologue britannique proposait à des sujets volontaires un jeu, en apparence assez simple, impliquant quatre cartes.



Après avoir précisé qu’on ne peut trouver sur le recto que deux lettres possibles : E ou K, et que, de la même manière, on ne peut trouver sur le verso que deux chiffres : 4 ou 7, on pose la question :

« Quelles cartes faut-il retourner pour vérifier l’affirmation suivante : si une carte a une voyelle d’un côté, elle a un chiffre pair de l’autre ? »

L’immense majorité d’entre nous choisit les cartes 1 et 3.

Ce faisant, nous nous concentrons sur les cas qui confirment la règle plutôt que sur ceux qui l’infirment. Il paraît naturel de considérer que la carte 3 confirme la règle que prescrit l’énoncé du problème, ce qui est le cas si l’on trouve une voyelle en examinant son recto.

Mais en réalité, on pourrait y découvrir une consonne sans que cette règle en soit violée.

La seule carte qui peut (la première mise à part) en établir la validité est la quatrième, car si elle portait à son recto une voyelle, il serait évident que l’énoncé est faux.

Dans le dialogue philosophique, ce biais de confirmation peut concerner l’animateur comme les participants. En effet l’animateur peut être amené, sans le vouloir, à questionner davantage les points de vue des enfants qui ne partagent pas ou qui sont contraires à ses idées et de fait moins questionner ceux qui correspondent à ses propres opinions. Cela a pour effet de fournir des indications aux élèves sur les réponses « attendues », les idées « préférables », ainsi les élèves peuvent choisir leurs réponses pour être moins questionné et non pour donner leur véritable point de vue. De surcroit, l’animateur contredit le postulat qu’en philosophie il n’y a pas de « bonnes réponses », cela crée un décalage entre la théorie et la pratique et peut rompre le contrat didactique établit avec les élèves et ainsi fragiliser la confiance qu’ils avaient en lui. C’est pourquoi en tant qu’animateur, il convient de faire preuve d’impartialité en étant vigilant et en questionnant équitablement toutes les propositions, qu’elles soient ou non en accord avec nos propres convictions. On peut observer le biais de confirmation dans l’extrait de l’atelier de F. Lenoir, quand il répond « Oui mais ... » (page 10), le contre-exemple énoncé par l’élève ne correspond pas à ses valeurs donc il ne lui accorde pas d’importance.

Pour les élèves, ce biais de confirmation se traduit par la facilité qu’ils ont, face à une position à laquelle ils croient, de trouver des exemples, plus ou moins fondés pour l’illustrer. Ils peuvent également être plus critiques sur les propositions qu’ils ne partagent pas et négliger la force des contre-exemples. C’est pourquoi, en plus de la recherche d’exemples, la recherche de contreexemples est cruciale. M. Gagnon, S. Yergeau et M. Sasseville (2020, p. 2-3) proposent à l’animateur, pour contrer ce biais de confirmation, de poser des questions du type :

-  Y a-t-il un contre-exemple à ?

-  Quelle critique peut être faite de … ? Pourquoi ?

-  Est-ce que quelqu’un pourrait ne pas être en accord avec … ? Pourquoi ?

-  Comment est-on certain que nous avons considéré tous les cas possibles ? Ou comment savoir que nous n’avons pas négligé certains aspects ou certains cas ?

2.2.2. Le biais de cadrage

En psychologie du raisonnement et de la décision ainsi qu'en psychologie sociale, le cadrage est l'action de présenter un « cadre cognitif » comme approprié pour réfléchir sur un sujet. Ce cadrage peut avoir un effet sur le raisonnement et conduire à des choix différents en fonction de la façon dont le problème a été formulé.

Le biais de cadrage (ou effet de cadrage) désigne l'influence importante que peut avoir la formulation d'une question ou d'un problème sur la réponse qui y est apportée. Ce phénomène a été exploré notamment par Tversky et Kahneman, une de leurs expériences est restée célèbre :[3]

Deux groupes de personnes doivent se prononcer sur la décision à prendre lors d'une hypothétique maladie pouvant causer la mort de 600 personnes.

 

Dans le premier groupe, les sujets ont le choix entre deux solutions :

     l'option A qui permet de sauver 200 personnes,

     l'option B qui a 33 % de chances de sauver 600 personnes, mais 66 % de risques de ne sauver personne.

Un rapide calcul de probabilité montre que le nombre de survivants attendus est le même dans les 2 options A et B, soit 200 personnes. Cependant, 72 % des sujets ont choisi l'option A, à cause du risque de ne sauver personne dans l'option B.

Dans le second groupe, la formulation est modifiée avec le choix suivant :

     l'option A qui provoque la mort de 400 personnes,

     l'option B qui a 33 % de chances pour que personne ne meure et 66 % de risques que tout le monde meurt.

78 % des sujets ont choisi l'option B.

Dans les deux cas les probabilités de survie sont les mêmes.

Cette expérience montre clairement que la formulation d'une question influence la réponse. Dans le cadre des ateliers de philosophie, cet effet de cadrage montre que si nous utilisons un support pour amener la discussion, nous ne sommes pas neutres. Une grande vigilance va également être nécessaire pour être impartial et ne pas faire « de nos représentations du monde une universalité et interdire toute la richesse présente en chaque enfant au sein de la communauté que forme la classe. » S. Connac (2020, p. 189).

Dans le choix d’un photolangage, il va être important de ne pas fermer la discussion dans un certain cadre ou de le faire en conscience, si c’est un choix pédagogique.

Par exemple, le photolangage proposé par F. Galichet (2019, p. 243-257) dans la fiche N°10 : « Qui suis-je ? », est composé de cinq portraits datant de toutes les époques de l’histoire de la peinture :



Galichet F. (2019) Philosopher à tout âge. Vrin. p. 246-247 L’idée est d’en dégager des personnalités qui transparaissent à travers les œuvres grâce au talent du peintre.

Ce photolange est totalement différent du choix effectué par Laetitia Buisson[4], pour un atelier sur le même thème, Qui-suis-je ?

Photolangage proposé par Laetitia Buisson

Cet atelier était l’objet d’étude pour notre devoir d’analyse d’une pratique filmée. On peut observer que le débat reste très centré sur la pensée et cela est induit par le photolangage peu varié et pour lequel le temps d’interprétation de chaque image était trop restreint pour en dégager les nuances. Le parti pris de F. Galichet est que c’est à travers la personnalité que l’on détermine qui on est et celui de L. Buisson est que c’est à travers nos pensées. Même si on n’intervient pas dans le débat sur les idées, nous pouvons être partiaux par le choix du support.

Lors de la journée de formation, animée par Pauline Stavaux, pour nous présenter les outils proposés par Pole Philo, elle nous a expliqué qu’avec ses collègues ils constituaient des banques d’images en commun afin d’apporter la pluralité de leurs points de vue, ou encore qu’ils utilisaient l’ensemble de cartes du jeu Dixit afin de ne pas orienter la discussion par un choix préalable.

2.3. Les biais cognitifs à l’intérieur du dialogue philosophique

2.3.1. Biais d’ancrage

En psychologie, l’ancrage désigne la difficulté à se départir d'une première impression. C'est un biais de jugement qui pousse à se fier à l'information reçue en premier dans une prise de décision. Ce biais est plus fréquent lorsqu’une personne n’a qu’une vague opinion sur la question et cherche à apporter une réponse rapidement, quand il utilise le système 1 de pensée : rapide, instinctif et émotionnel.

Le biais d’ancrage peut être illustré par l’expérience menée par Tversky et Kahneman (1974) :

« On demande aux sujets quel est, selon eux, le pourcentage de pays africains aux Nations unies.

Avant d’enregistrer leur réponse, on tourne devant eux une roue numérotée de 1 à 100.

Pour un premier groupe, le chiffre tiré au sort est 10, pour le second, c’est 60.

Chacun des groupes peut se rendre compte du caractère aléatoire de la procédure.

On demande ensuite à chacun si, selon lui, le pourcentage des pays africains aux Nations unies est supérieur ou inférieur au chiffre de la roue. Enfin, on lui demande de proposer son pourcentage.

La moyenne du premier groupe (chiffre de loterie 10) est de 25 %,

celle du deuxième groupe (chiffre de loterie 60), de 45 %.

On voit que les chiffres de la roue, bien qu’ils soient totalement arbitraires, semblent exercer une influence sur les réponses. Tout se passe comme si, lorsque les individus sont en état d’incertitude, ils cherchaient un "ancrage" cognitif, aussi absurde soit-il (ici, un tirage dont ils ont conscience qu’il est aléatoire). » (G. Bronner, 2013, p. 231)

Cette expérience met en évidence le côté inconscient de l’ancrage, en conscience tout le monde sait que le nombre aléatoire de la roue n’a pas de lien avec la réponse à la question. A l’intérieur du dialogue philosophique ce biais peut facilement faire son œuvre. Surtout lors des premiers ateliers avec un groupe. Il peut arriver que les premières interventions orientent une bonne partie de la discussion. Notamment avec les premiers exemples, ils peuvent facilement être repris par les autres. L’ancrage peut avoir lieu lorsque l’on utilise un support, certains enfants peuvent avoir plus de difficultés à se détacher du support. Cela peut altérer la richesse de la discussion. Pour éviter cet écueil, il est important de rappeler dans le fonctionnement de l’atelier qu’on évite de répéter ce qui a déjà été dit, qu’on prend la parole pour apporter quelque chose de nouveau. Une autre stratégie peut être d’initier soit un travail individuel ou en sous-groupe afin de créer une première démarche réflexive « isolée », permettant ainsi, lors du retour en grand groupe, de recueillir une plus grande variété d’arguments et de raisons.

2.3.2. Effet de cascade

Dans une discussion collective, les prises ou non de parole sont soumises au regard du groupe. Le comportement des participants est influencé à la fois par la psychologie intra-individuelle et personnelle ( motivation, estime de soi etc …) et par la psychologie sociale. Les processus opérant à l’intérieur des groupes peuvent être présents dans une communauté de recherche. Il existe deux types d’effets de cascade :

-                     Le premier, nommé cascade d’information, se produit lorsqu’une personne est en carence d’information ou s’estime peu outillé pour discuter d’un sujet, et va se rallier ou imiter celui ou ceux qui semblent savoir. G. Broner (2013, p. 228), utilise l’exemple de l’individu qui, ne sachant où se trouve le stade, se contente de suivre ceux qui portent des drapeaux. Ce conformisme cognitif est le plus souvent efficace et peu coûteux, mais il peut aussi conduire, en cas de convergence de l’erreur, à des situations catastrophiques.

-                     Le second, nommé cascade de réputation, conduit les participants à adopter le point de vue du plus grand nombre afin d’éviter le coût social qu’impose la contestation. « Dans tout groupe […], on trouve des individus bénéficiant d’un prestige, d’une élocution ou d’un niveau socio-culturel, leur permettant de se différencier des autres et de prendre la parole en premier. […] Ceux qui se sentent le moins concernés et qui ont aussi le moins d’informations sont tentés de s’aligner sur le point de vue des mieux informés.» (G. Bronner, 2013, p. 230)

Les enseignants, de toutes matières confondues, sont confrontés à ces phénomènes de groupe. Il est important d’installer dans les classes des climats de confiance, de bienveillance, où chaque élève doit pouvoir prendre la parole sans avoir peur de faire une erreur ou de ne pas être en accord avec la majorité. Pour les ateliers philo, c’est primordial. C’est ce que soulève entre autres J. Hawken, (2019, p. 148) « Les idées des enfants doivent se frotter les unes aux autres afin d’éprouver leurs distinctions et leurs similitudes, au sein d’un espace philosophique dédié à la confrontation bienveillante des altérités. Chacun peut être lui-même dans un dialogue doux. À l’horizon de la pratique collective se trouve toujours l’ambition de créer, en un sens, ce qu’H. Arendt appelle une "oasis", un espace de ressourcement pour la vie politique. […] Les oasis arendtiennes sont des lieux de vie pour la réflexion, "à l’abri du bruit et de la fureur du monde", où peuvent s’exprimer les idées plurielles sans crainte et avec joie. » Le rôle de l’animateur est très important, cet espace de bienveillance les uns envers les autres peut demander du temps pour se construire, l’adulte doit être vigilant, l’apparition de l’effet de cascade peut être un marqueur que des élèves ne se sentent toujours pas en confiance pour s’exprimer. Les ateliers de philosophie, en permettant d’améliorer la confiance en soi, l’estime de soi, et en développant l’ouverture d’esprit vont contribuer à altérer cet effet de cascade au sein du groupe classe.

2.3.3. Le paradoxe Condorcet

Le « paradoxe de Condorcet » a été énoncé par Nicolas de Condorcet en 1785, dans son ouvrage « Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix ».

« Lors d’un vote où chaque votant doit classer trois propositions (A, B, C) par ordre de préférence, il est possible qu’une majorité de votants préfère A à B, B à C, et C à A.

Les décisions prises à une majorité par ce mode de scrutin ne seraient donc pas cohérentes avec celles que prendrait "un individu rationnel".

En effet, un individu rationnel applique la règle de transitivité : si A > B et si B > C, alors A > C.

Ce qui n’est plus vrai au niveau collectif où nous pouvons avoir : A > B > C > A.

Classement non transitif, à partir duquel le choix est indécidable.

Au niveau de chaque votant, le classement par ordre de préférence est a priori sans ambiguïté.

La règle de transitivité respectée.

Pourtant, au niveau du résultat global, le paradoxe lié à la non-transitivité peut se produire. »[5]

Ce biais cognitif est particulier car il est contre intuitif. On pourrait penser que la délibération commune, par la diversité des points de vue exprimés, conduirait forcément à des décisions ou des conceptions plus raisonnables, plus sages, or cette « sagesse de foule » ne se produit pas . Selon G. Bronner, (2013, p. 235) : « De son côté, Krisha Ladha [Cité par Caplan (2010), p. 179] précise : "Sous des conditions raisonnables, la chance qu’une majorité désigne la bonne réponse varie en sens inverse de la corrélation des biais au sein du groupe décideur." Cela signifie que moins les sensibilités sont a priori convergentes dans une assemblée, plus la sagesse des foules a des chances de se manifester. » Ainsi, on a raison de penser que la diversité des points de vue exprimés, conduit à la sagesse de foule, mais cette diversité doit être homogène en nombre. Si quelques individus ont des avis qui diffèrent, ils ne seront pas entendus. Ces situations ne semblent pas fréquentes.

Pour illustrer cela, G. Bronner propose le problème du pique-nique partagé et la répartition des frais pour les pizzas :

Supposons que vous partagiez un pique-nique avec deux de vos amis.

Vous n’avez pas eu le temps d’aller acheter des pizzas, mais Éric et Bertrand s’en sont chargés.

Éric en a rapporté 5 et Bertrand, 3.

Quant à vous, vous versez votre contrepartie financière, qui s’élève à 8 €.

Comment doit se répartir votre argent entre Éric et Bertrand pour que la dépense de chacun soit équitable ?

La réponse qui vient spontanément à l’esprit pour une grande majorité des personnes, est qu’Éric doit prendre 5 € et Bertrand, 3.

C’est parfaitement faux mais cela paraît vrai.

Cela paraît vrai parce que notre cerveau, par principe d’économie, va nous proposer une solution qui paraît acceptable : l’application d’une règle de proportionnalité (puisque Éric a apporté 5/8e des pizzas, il n’a qu’à se rembourser des 5/8e de la somme disponible).

Mais cette solution est fausse, et voici pourquoi : On sait qu’Éric a acheté 5 pizzas et Bertrand, 3 ; on sait que la part qui vous revient est de 8 €.

Cela signifie que chacun doit avoir dépensé 8 € et pas un euro de plus ou de moins. Donc, l’ensemble des pizzas a coûté 24 € ; et comme il y en a 8, cela signifie que chaque pizza coûte 3 €.

Donc, Éric a dépensé initialement 15 € (5 pizzas) et Bertrand, 9 € (3 pizzas). Une fois qu’Éric a payé sa part de 8 €, il faut qu’il se rembourse de 7 € ; et Bertrand doit se rembourser de 1 € (9 € investis moins les 8 dus pour la part commune). Donc, la somme que vous avez donnée doit être répartie comme suit :

7 € pour Éric, 1 € pour Bertrand.

G. Bronner (2013, p. 238) ajoute : « Si vous posez ce problème enfantin à vos amis, vous découvrirez qu’ils se trompent assez souvent (et pourtant, ils se doutent qu’il y a un piège !). Je fais le même genre d’expériences chaque année avec mes étudiants et suis témoin de ce que, même lorsqu’ils délibèrent et que l’un d’entre eux (fait assez rare) a trouvé la bonne solution, ils convergent vers de fausses solutions (je les fais voter à main levée). Que se passe-t-il ? La plupart paraissent soulagés que l’un d’entre eux confirme leurs intuitions. Un premier ensemble d’individus emporte bientôt la conviction du groupe. Entendre des arguments allant dans le sens de nos intuitions creuse un sillon mental, comme le montrent Chip Heath et Rich Gonzalez (1995) : et c’est ainsi que l’on observe une convergence prédictible de l’erreur. »

Ainsi il met en avant que l’avarice cognitive est assez fréquente et c’est ce qui conduirait le groupe vers l’erreur. Comme la majorité des cerveaux utilisent les mêmes raccourcis, la majorité des réponses correspondent à la même erreur, et ainsi il n’y a pas une diversité équilibrée des points de vue. De plus, si l’on ajoute l’effet du biais de confirmation, ces personnes qui partagent la même erreur se confortent les unes les autres dans leur idée. De même, l’effet de cascade de réputation peut renforcer ce phénomène.

Il est donc important de se méfier de nos intuitions, de prendre la bonne mesure des arguments avancés, de leur cohérence et de ne pas s’appuyer aveuglément sur le groupe. Dans leur article, M. Gagnon, S. Yergeau et M. Sasseville, (2020, p. 7) précisent : « C'est pourquoi le rôle de l'animateur est crucial et ne saurait se réduire à la simple attribution des droits de parole. Celui-ci doit assurer une vigilance impartiale dans le respect de certaines règles, pour ne pas dire normes, sur le plan de la rigueur et de la cohérence d'ensemble des réflexions communes qui se développent au sein de la communauté. Cette vigilance sera d'autant plus effective que l'animateur aura, au préalable, développé des habiletés relatives à l'observation des habiletés de pensée ainsi que des connaissances de base en logique de même qu'en argumentation. Son regard porté sur la qualité du processus, alimenté par des questions appropriées et la sollicitation de points de vue variés constituera, en quelque sorte, un rempart à ce type de biais. » Il est important que l’animateur équilibre l’usage des deux modes de pensée : système 1 et 2 (page 10). Il a besoin d’être rapide mais ne doit pas négliger la logique. C’est en préparant,en amont les ateliers qu’il va être important d’utiliser le système 2, plus lent, plus réfléchi et plus logique, afin de pouvoir réagir avec rapidité lors de l’atelier mais sans pour autant être dans l’erreur à cause des biais cognitifs.

3. Analyse de la pratique

3.1. Mise en pratique de la théorie

Lorsque j’ai découvert le concept d’atelier de philosophie avec les enfants et les adolescents, comme cela était en totale harmonie avec mes valeurs, j’ai rapidement été convaincue de ses bienfaits et de l’importance de sa mise en place. Cette approche du développement de la pensée, en groupe, en réfléchissant sur des questions que se posent, plus ou moins consciemment les enfants et les adolescents, m’a semblé être un excellent outil pour leur permettre de découvrir ou de renforcer les bienfaits que procurent le raisonnement. J’ai donc, décidé de me former à ces pratiques. Dans ma démarche de formation, j’ai commencé mes lectures à l’aide de la bibliographie générale proposée par les formateurs du DU. J’ai commencé plusieurs ouvrages en parallèle, « Penser par soi-même, initiation à la philosophie » de M. TOZZI permet de pratiquer et ainsi mieux comprendre, le questionnement, les habilités de pensées, que l’on cherche à développer chez les enfants. Toutes ces lectures confirment l’importance de ces pratiques d’ateliers philosophiques, et cela coïncide avec mes valeurs, comme le précise E. Chirouter (2015, p.53) :

«  Pour quoi faire ? Les grandes finalités de la philosophie avec les enfants

Tous les chercheurs, tous les militants de la première heure et tous ceux qui se sont convertis à ces pratiques s’accordent pour affirmer que la philosophie avec les enfants a plusieurs objectifs et finalités fondamentales. Faire de la philosophie à l’école élémentaire permettrait ainsi :

1)                 D’apprendre à penser. La réflexion philosophique exige une rigueur intellectuelle qui peutpermettre aux enfants de développer des compétences indispensables dans leur fonction d’élève et de futur citoyen. La réflexion philosophique permet notamment de développer la conceptualisation, la problématisation et l’argumentation ;

2)                 Le débat philosophique permet aussi de construire des habitus démocratiques entravaillant sur les règles de discussion et d’écoute, règles inhérentes à tout débat démocratique ;

3)                 La philosophie permet aussi d’instaurer dans la classe un nouveau rapport au savoir et aumaître qui ne détient pas La réponse (puisque celle-ci n’existe pas) ;

4)                 La philosophie répond aux questions que les enfants se posent et qui sont souvent éludéespar l’adulte, dérouté lui-même par ce questionnement. »

Seulement le pas à franchir pour mettre en pratique est difficile pour moi. Je manque de confiance en ma capacité de réagir à la fois dans le débat et sur la forme du débat. Mon manque de connaissances en philosophie crée une instabilité, un sentiment d’illégitimité. Sentiment que je n’avais pas dans mes débuts d’enseignante en Mathématiques, mes connaissances me légitimaient. Je ressens beaucoup de difficultés pour la préparation des ateliers. J’ai besoin de préparer toutes les éventualités afin d’être capable de réagir convenablement lors de l’atelier, mais c’est interminable. J’ai besoin d’observer, de comprendre comment réagissent les enfants entre eux et avec l’adulte, c’est en pratiquant qu’on apprend ! Il m’a fallu accepter, contrainte et forcée par le stage de me lancer dans l’animation !

Avant de commencer mon stage avec les élèves de 6e et 4e Segpa, dans le collège Les Trois Vallées à La Voulte sur Rhône, où j’enseigne les Mathématiques, le 15 janvier 2024, j’ai testé d’animer plusieurs ateliers en décembre, avec ma classe de 22 élèves de 4ème. Pour des raisons budgétaires, le collège n’est plus classé REP (réseaux d’éducation prioritaire) depuis 4 ans.

J’ai ajouté des heures de cours en remplaçant des collègues absents, ce qui n’a pas réjoui mes élèves : il était convenu de 5 séances d’ateliers de philosophie qui avaient lieu sur l’horaire du cours de Mathématiques du lundi de 11h35 à 12h30 ! En raison du manque de volonté de beaucoup d’élèves, je n’ai pas voulu demander des droits à l’image ou à d’enregistrement de la voix, je n’ai donc pas enregistré ces séances.

La première séance de 55 min était sur la liberté avec comme support le récit de Platon, l’anneau de Gyges, en utilisant la fiche atelier dans le livre d’E. Chirouter (2022, p. 66-68). (voir la description en Annexe 3).

Pendant le deuxième temps de l’atelier, quand je circulais dans la classe, un groupe de cinq garçons qui sont souvent dans la provocation, semblait parler de viol en réponse à la question 2. Cela n’a pas été écrit dans leur réponse. J’ai fait comme si je n’avais pas entendu car je n’étais pas sûre de leurs propos et sur le moment, je ne savais pas comment réagir.

Le viol est un sujet que nous abordons lors des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective, le viol est effectivement régulièrement soulevé par les élèves, du fait que nous déclarons ces séances comme des espaces où toutes les questions peuvent être abordées. Dans ce cadre, nous effectuons un rappel à la loi et insistons sur le caractère indispensable du consentement dans les rapports sexuels. Mais nous sommes dans des séances « d’éducation à ». Dans le cadre de l’atelier de philosophie, si une telle réponse doit apparaître dans les propositions écrites des élèves, il me semble important de laisser réagir les autres élèves. Nous serions alors dans une question socialement vive, il faudra essayer de faire ressortir par les élèves des questions philosophiques. Il sera également possible de poser les questions : cette pratique est-elle autorisée par la loi ? Pourquoi ? Savez-vous quelles sont les peines encourues ? … Pourquoi ? … Pourquoi ? … ainsi questionner à nouveau leur réponse.

Si cette question n’est pas écrite mais qu’elle est simplement suggérée par les élèves d’un groupe, il est possible de questionner les élèves au sein de ce groupe, est-ce qu’il compte l’écrire dans leur réponse ? Si c’est non, leur poser la question : Pourquoi ? Et poser les questions proposées précédemment sur le cadre législatif.

Lors de l’atelier, ce groupe de garçons a proposé de tuer tout le monde sauf eux cinq. Ils ont dit faire « top one », ils ont expliqué que c’est ce qui se fait dans les jeux vidéo. Puis certains ont ajouté qu’ils gardaient trois filles, puis d’autres ont dit « leur maman ». La classe s’est agitée, j’ai rencontré des difficultés dans la gestion des interventions, plusieurs élèves parlaient en même temps. Des élèves ont posé les questions : « Comment ils allaient se nourrir ? », « Comment ils allaient s’occuper des animaux ? ». Les élèves du groupe ont reconnu que c’était effectivement des difficultés auxquelles ils n’avaient pas pensé, et ils n’avaient pas de réponse. Une élève a ajouté « On a besoin des autres humains ». J’ai conclu sur cette intervention, j’ai raconté la fin de l’histoire et nous avons comparé avec leurs hypothèses. C’était la fin de l’heure, je n’ai pas géré correctement le temps, et je leur ai dit que l’on poursuivrait la séance prochaine.

La deuxième séance a été sous la forme d’une DVDP, les élèves pratiquaient le conseil coopératif avec leur professeur principal, je me suis dit que cela pouvait être un bon point d’appui. Pour l’équipe d’animation, il y avait une présidente, moi, et un synthétiseur. La question proposée était : « Qu’est-ce qu’être libre ». Le débat a été de nouveau agité, après trois avertissements, la présidente a exclu un élève qui ne respectait pas les règles, j’ai voulu apaiser le climat en proposant un tour de parole. Une élève, Léa, répond : « c’est faire ce qu’on veut » puis ajoute « mais avec des limites », je lui demande d’expliciter quelles limites ? Mais elle répond : « Non, sans limite en fait ! ». À ce moment-là, je suis partagée entre prendre le temps de lui permettre de formuler les limites (sachant que cette élève peut être rapidement dans la provocation et rester sur ses positions), et le tour de parole. Je me dis que je ne dois pas intervenir dans le tour de parole car nous n’aurons pas le temps de le finir, les élèves étant trop nombreux. À la fin du tour de parole, la dernière élève, Maéva, questionne Léa, en demandant « Je ne comprends pas que tu puisses dire qu’il n’y a pas de limite, tu veux dire que tu pourrais tuer quelqu’un ? ». Léa s’énerve en disant « Non mais n’importe quoi ! Comment vous pouvez imaginer que je puisse tuer quelqu’un ! ». Comme le ton de Léa est agressif, que Maéva est plutôt réservée, j’interviens et précise que si elle nous dit « sans limite » c’est qu’elle n’a pas de limite. Léa s’énerve à nouveau sur Maéva en critiquant sa question. Je reprends la parole pour rappeler la règle de sincérité qui est nécessaire au débat, et je dis à Léa qu’elle n’était pas totalement sincère quand elle a dit « sans limite », c’est ce que soulève Maéva. Je leur dis que j’aurai peut-être dû la questionner sur sa sincérité au moment de son intervention, mais je débute dans l’animation d’ateliers de philosophie, je ne réagis peut-être pas comme il le faudrait, pas assez rapidement, mais dans tous les cas, Léa ne devait pas s’énerver sur Maéva et sa question était tout à fait appropriée. Léa refuse d’écouter quoi que ce soit, reste sur le fait que d’autres puissent penser qu’elle pourrait tuer quelqu’un et que c’est n’importe quoi. Elle dit ne plus vouloir participer à la discussion et se met à une table en dehors du cercle, comme le premier élève qui a été exclu. J’accepte qu’elle se retire du cercle, je rassure les élèves sur leur possibilité de poser des questions comme l’a fait Maéva, et qu’il est d’ailleurs important de les poser si on veut faire avancer le débat. Je tente de prendre la responsabilité de la dérive du débat en précisant que j’aurai sans doute dû intervenir pour m’assurer de la sincérité de Léa afin que les élèves ne soient pas dans la crainte de contredire certains élèves. Le soir, Léa m’a envoyé un message sur la messagerie Pronote pour s’excuser de son comportement, en disant qu’elle était en colère et qu’elle ferait des efforts la prochaine fois.

Je devais débuter mon stage le 15 janvier mais au retour des vacances de Noël, mon chef d’établissement a changé radicalement de position. Le 8 janvier, il a refusé de signer la convention et m’a interdit par écrit de faire des ateliers avec des classes entières car ce n’était pas au programme selon lui. J’ai dû trouver un autre lieu de stage et je n’ai pas pu poursuivre les 3 ateliers prévus avec ma classe de 4e.

Cependant cette expérience d’atelier m’a permis de mettre en évidence certaines difficultés dans l’animation. Le nombre d’élèves ajoutait une difficulté et à ce stade de la formation je n’avais pas saisi l’importance des différents rôles (dessinateurs, observateurs, reformulateur) dans une DVDP, et que leur mise en place, permettait de limiter le nombre de discutant. De plus en 4e, les élèves peuvent être dans une provocation plus compliquée à gérer. Même si c’est avec ce type de public que j’ai envie d’intervenir, j’ai choisi de faire mon stage en primaire avec des demi-groupes, afin de pouvoir apprendre l’animation d’ateliers de philosophie plus sereinement. Il m’a semblé important de prendre confiance dans ma pratique avant de faire des ateliers pouvant être plus imprévisible, ou plus complexe dans les rapports entre élèves.

J’ai donc commencé mon stage le 29 avril 2024, à l’école primaire des Gonettes, à La Voulte sur Rhône, avec les 12 élèves de CM1/CM2 et les 22 élèves de CP/CE1 partagés en deux groupes, un de 11 élèves de CP et l’autre de 4 élèves de CP et 7 de CE1 . L’école des Gonettes est également sortie du réseau d’éducation prioritaire il y a 4 ans, mais les élèves restent issus d’un milieu social défavorisé. Le premier atelier avec les CP/CE1 était en classe entière, les élèves étaient très enthousiastes pour participer mais ils ont dû patienter au vu du nombre d’élèves. Nous avons décidé avec l’enseignante de couper la classe en 2.

J’ai fait 8 ateliers avec les CM1/CM2, les lundis de 13h40 à 15h (voir une rapide description dans l’annexe 4) et 6 ateliers avec les CP/CE1, les mardis de 13h40 à 14h40 pour un groupe et de 14h50 à 15h50 pour l’autre (voir l’annexe 5). J’ai choisi d’utiliser principalement les fiches d’atelier proposées par E. Chirouter (2022), car sans avoir pratiqué l’animation d’ateliers, je ne suis pas suffisamment en confiance pour élaborer les séances. J’ai besoin, dans un premier temps, de pratiquer, de comprendre le fonctionnement des enfants, surtout que je découvre ces groupes d’enfants d’écoles primaires avec qui je n’ai pas l’habitude d’être en interaction. Après en avoir discuté avec les enseignants, j’ai choisi d’aborder les thèmes d’Aimer, de Liberté et Les Autres. Pour les premiers ateliers, il n’a pas été possible que les enseignants lisent avant l’atelier, les albums que je souhaitais pour former une culture commune à la classe. Je n’ai pu l’organiser que sur le dernier thème « Les Autres ».

J’ai proposé globalement les mêmes ateliers aux CM1/CM2 et au CP/CE1, sauf le deuxième atelier, les CP/CE1 n’avaient pas échangé sur l’amitié, j’avais tenté de faire la distinction entre copain et ami mais pour eux c’était similaire. J’ai proposé en deuxième atelier, la question « Peut-on être ami avec tout le monde ? », en partant de l’album « AMI-AMI » de Rascal.



Je ne comptais pas faire l’atelier N°3 sur l’anneau de Gyges avec les CP/CE1, j’avais préparé un atelier similaire avec l’album « disparais ! » mais nous nous étions mal comprises avec l’enseignante, et elle l’avait lu dans les lectures préparatoires. Je ne pouvais donc plus leur demander d’imaginer ce qui allait se passer, j’ai décidé au dernier moment de leur proposer l’anneau de Gyges.

La situation de Gygès, berger, était trop éloignée pour les élèves de CP/CE1, ils ont eu très peu d’imagination sur ce que Gygès allait faire avec la bague. Même sur la deuxième question, « Que feriez-vous si vous aviez le pouvoir d’être invisible pendant 24h ? », le groupe composé uniquement de CP, a été très timide. Un élève a proposé de « faire à manger et faire le ménage pendant 24h », je l’ai interrogé sur ce qu’apportait le pouvoir d’invisibilité pour cette action, il a répondu « en fait, rien ». Ils ne se sont pas identifiés au personnage, ni à la situation, et c’est pourquoi ils ont eu très peu de proposition.

J’ai également rencontré des difficultés sur le cadre de l’atelier. Il m’a fallu prendre une posture plus autoritaire avec certains élèves qui cherchaient les limites, soit dans leurs rapports avec leurs camarades de classe, soit avec leur implication dans l’atelier. Le lieu dans lequel je pouvais faire l’atelier pouvait être problématique. Nous étions dans la bibliothèque de l’école, il n’y avait pas assez de place sur des bancs, les élèves étaient donc assis par terre autour d’un tapis. Petit à petit au cours des ateliers, ils cherchaient les limites, ils ont pu s’étaler par terre les uns après les autres, en attendant ma réaction. D’autres élèves pouvaient intervenir pour leur signaler qu’ils ne devaient pas s’allonger ainsi. L’atelier était parasité par ce genre de comportement.

Groupe d’élèves de CP de l’école des Gonettes

J’ai tenté, les jours où cela était possible, de prendre une salle de classe afin que les élèves puissent être en cercle mais assis sur des chaises. Les bureaux étant anciens, ils avaient forcément la table avec la chaise.


Groupe d’élèves de CP de l’école des Gonettes

Cette disposition était plus propice à la concentration, les élèves se cherchaient moins les uns les autres. Certains tentaient toujours de s’affaler sur la table, les ateliers ont eu lieu au mois de juin, les après-midi, ils n’étaient pas toujours très dynamiques ! Mais cette disposition, avec les chaises et les tables, où chacun avait un espace à lui, bien défini, facilitait le retour à une ambiance plus cadrée.

3.2. Zoom sur des moments d’ateliers

3.2.1. Mon attitude suite à la réaction des élèves (CM1/CM2) sur la couverture de Yakouba


Le 3 Juin 2024, c’est le cinquième atelier avec le groupe de CM1/CM2, le troisième sur le thème de La Liberté. Au tout début de l’atelier, je leur ai simplement dit «  Aujourd’hui, on va partir d’une histoire. L’histoire de Yakouba » et quand j’ai montré la couverture du livre, les trois quarts des élèves ont éclaté de rire. Le verbatim de ce moment de l’atelier est en annexe 6. Je suis mal à l’aise avec cette réaction car elle ne correspond pas à mes valeurs. Le biais de confirmation entre en jeu, les élèves viennent d’agir de façon contraire à mes idées, alors je les questionne fortement. J’ai beaucoup d’hésitation, je ne sais plus quelle posture adopter, pour moi il est important d’intervenir pour ne pas que les élèves rigolent à chaque page. Je considère alors que le maintien du cadre, légitimise mon intervention. Mon intervention va être inconsciemment très moralisatrice, alors que consciemment je cherche à ne pas l’être.

-                     L. 9 quand je dis « Pour moi, en fait, c’est un peu ... » , l’utilisation de « Pour moi » montre que je porte un jugement sur leur attitude. J’insiste l.11 :  « Moqueur, oui, il y a quelque chose qui me dérange un peu ». Ainsi je ne suis pas impartiale. Je donne des indications sur mes valeurs, et quelle sera la « bonne » attitude à adopter selon moi. Je recommence l.32 : « Oui mais alors, comment ça peut  s’interpréter de  ma  part  ? ». Les élèves le comprennent bien, comme le montre l’intervention d’Imran, l.39, « Moi je trouve que c’est pas rigolo, parce que c’est … c’est irrespectueux. ». Si on regarde son attitude depuis le début, dans un premier temps, il ne rigole pas aux éclats mais il sourit, au fur et à mesure de mon intervention, il sourit moins. Imran est l’élève de la classe qui pose le plus de problèmes dans le respect des règles. C’est le seul avec lequel j’ai eu besoin de faire un point sur son attitude en tête à tête, en fin d’atelier. À ce moment, il comprend que je considère que les autres ont fait quelque chose d’incorrect et essaye de prendre la place de l’élève sage, par son intervention, pour avoir ma reconnaissance.

-                     L. 64 : je dis « il faut savoir que dans le rire, ça peut aussi être du mépris. », comme le soulignait, J. Bartoli, l’utilisation du verbe falloir, fait référence à un système de valeurs particulier, ici je fais à nouveau référence à mes propres valeurs.

-                     L’utilisation du mot « capable » ligne 71 et 72 est fort, et inapproprié, il montre encore mon attachement à mes valeurs.

-                     Le biais de confirmation est encore présent quand je donne la parole à Victor, l. 33, quivisiblement a le même système de valeurs que moi, afin qu’il exprime, « la bonne idée », que « je veux » entendre.

-                     Je remarque également que je pose des questions dont visiblement je ne veux pas entendre lesréponses car j’en pose une autre juste après, sans laisser le temps aux élèves de répondre :

      L. 32-33 : Oui mais alors, comment ça peut s’interpréter de ma part ?

Victor tu as l’air de … Pourquoi pour toi ce n’est pas rigolo du tout ?

      L. 45-46 : Alors, est-ce que là , le fait de rire, on ne se moque pas d’une personne parce qu’il n’existe pas ? Est-ce que c’est la représentation de personnes qui existent ?

-                     Je veux les questionner pour qu’ils expriment pourquoi ils ont rigolé, mais je ne les laisse pass’exprimer et je leur explique selon moi ce qui a provoqué le rire : l. 61-63 : « Il a un front qui va être, peut-être, plus gros que ... surtout que... il n’y a pas de cheveux, du coup il n’y a pas la limite qui est marquée. Mais en fait … euh … il est juste différent et du coup un visage qu’on n’a pas forcément l’habitude de voir ainsi. »

À ce moment de l’atelier, je fais de « l’éducation à », je ne suis plus en posture d’animation d’ateliers de philosophie. J’aurais pu simplement leur demander de faire attention à ne pas rire à chaque page car ça peut gêner le déroulement de la lecture et peut-être compromettre la bonne compréhension de l’histoire. Mais je ne devais pas faire une leçon de morale sur le respect de la différence. On pourrait penser que ce n’est pas grave, que ça fait une piqûre de rappel sur le respect. Seulement c’est plus problématique que cela, ça ébranle l’horizontalité dans le rapport adulte/enfants dans l’atelier de philosophie, horizontalité primordiale à installer si l’on veut libérer la parole des enfants. Ainsi par ce type d’intervention, on rompt le contrat didactique établi avec les élèves, on peut perdre leur confiance et on ramène tout le monde dans le schéma classique de « l’adulte sachant » qui porte un jugement sur les propos et les attitudes des enfants !

3.2.2. Illustration du biais de cadrage

En animant plusieurs fois des ateliers avec la même préparation, avec les élèves de la même classe CP/CE1, et seulement une heure de décalage, j’ai pu observer des différences de réaction chez les enfants suivant le cadrage. En effet, en modifiant l’intonation dans la lecture des histoires, les propositions des élèves étaient différentes et pouvaient être clairement influencées par le mode de lecture.


Par exemple, lors de mon premier atelier avec l’album Yakouba, dans la phase d’interprétation de la dernière image de l’album, les élèves n’avaient pas évoqué la sérénité comme possibilité d’interprétation dans le regard de Yakouba.

Pour le deuxième groupe, j’ai terminé la lecture de cette page avec une intonation plus joyeuse, la première interprétation des élèves était : « Il est content parce que les lions n’attaquent plus le troupeau ».

Je n’ai malheureusement pas d’enregistrement vidéo, ni audio, car ma tablette n’avait pas fonctionné tout au long de ces deux ateliers.

J’ai pu observer un deuxième exemple, lors de l’atelier avec l’album Jean de Lune.


  D escription du déroulé de l’atelier  :

Jean de la Lune, seul habitant de la Lune, s’ennuie et rêve de venir s’amuser avec les humains qu’il observe toutes les nuits. En s’accrochant à une comète, il réussit à venir sur la terre. Seulement son arrivée, fît le bruit d’une bombe.


Lors de l’atelier, j’arrête la lecture de l’histoire et je demande aux enfants d’imaginer ce qui va se passer. Ensuite je reprends la lecture.

Jean de la Lune fût jeté en prison avec un boulet au pied. Il réussit à s’échapper quand la Lune fût dans son dernier quartier, car il rétrécissait aussi et put passer à travers les barreaux. Il vécut quelque temps avec les animaux dans la forêt, et à la pleine Lune suivante, il s’aventura dans un bal masqué, où les gens croient qu’il était déguisé en lunien.

J’arrête à nouveau la lecture et je pose les deux questions suivantes :

-  Pourquoi est-ce le seul jour où Jean de la Lune peut danser avec les humains ?

-  Les humains l’ont-ils vraiment accepté ce jour-là ? Pourquoi ?

Et ensuite on reprend l’histoire, où un voisin a appelé la police pour tapage nocturne, à l’arrivée des hommes en uniforme, Jean de la Lune s’enfuit dans la forêt de peur de retourner en prison. Il découvre le château d’un savant fou qui a fabriqué une fusée pour aller sur la Lune, mais qui est trop vieux et trop gros pour y entrer dedans. C’est ainsi qu’il propose à Jean de la Lune de retourner dans sa Lune. Jean de la lune trouvait qu’il n’avait pas été bien reçu par les hommes de la Terre. Il accepte pour rentrer chez lui au plus vite.

Ensuite on propose une discusion collective à partir des questions :

-  Qu’a cherché à nous dire Tomi Ungerer à travers cette histoire ?

-  Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ?

-  Tous les humains sont-ils aussi intolérants ?

-  Qu’est-ce qu’un préjugé ?

-  Donnez des exemples de préjugés dans le monde dans lequel nous vivons ?

-  Peut-on juger quelqu’un sur son appartenance à un groupe particulier (sa nationalité, son sexe, sareligion) ?

On peut ensuite faire une cueillette de questions pour déterminer le sujet de la discussion collective et conclure.

Lors de l’atelier avec le deuxième groupe, celui qui contient les CE1, j’ai essayé de poser la première question en enlevant le mot « seul », j’ai demandé : « Pourquoi ce jour-là, Jean de la Lune peut danser avec les humains ? ». Et les réponses ont été beaucoup trop vagues et éloignées du point que j’espérais qu’ils soulèvent :

-  « Parce que il est plus dans le ciel, il est plus dans la lune. »

-  « Parce qu’en fait la lune est descendue du ciel pour aller danser avec une fille. »

En reposant la question, mais en y ajoutant le mot « seul », les réponses se sont axées sur le fait qu’il soit déguisé.

Ainsi on peut observer l’effet d’un seul mot dans une question. Et si l’objectif pédagogique est d’emmener les enfants vers la découverte d’une autre interprétation de l’histoire que celle qu’ils peuvent avoir en première lecture, il peut être nécessaire de les influencer en utilisant ce biais de cadrage afin qu’ils ne se dispersent pas trop.

3.2.3. Zoom sur l’atelier avec le support Jean de la Lune avec les CP/CE1

Après avoir terminé la lecture de l’histoire, je pose la première question aux enfants :

« Qu’a cherché à nous dire Tomi Ungerer à travers cette histoire ? » Le verbatim de cette partie de l’atelier est en annexe 7.

Le premier biais qu’on peut observer dans cette discussion est le biais d’ancrage, la première intervention de Lilou : l.1 « Il voulait parler de la lune » va orienter une bonne partie de la discussion. C’est repris par Berucci l.24 « Parce que y’a des gens qui veulent voir la lune. », puis par Ethan l.33 : «  En fait , l’histoire en fait, il a essayé de nous faire comprendre que la lune, euh, elle est vivante. ». Il est contredit par Lucas , mais qui ajoute quand même l. 48 « On peut aller sur la lune ». Yvhana confirme l’intention de l’auteur de faire une histoire sur la lune : « Parce qu’en fait, euh, le nom que t’as dit, ben il avait réfléchi en histoire, et que y’a des gens qui vont sur la lune et qui z’aiment bien la lune, et que y’a des gens qui regardent la lune, et qui lisent des livres de lune, et ben, du coup y’a quelqu’un qu’a fait un livre sur la lune. »

Ensuite il va y avoir un effet de cascade de réputation sur le fait que c’est une belle histoire. Lucas commence, l.73 : « Pour faire une belle histoire. ». Ethan nuance le propos de Lucas en ajoutant l.75 : « Une belle histoire qui se passe en prison. ». Amal montre son accord avec la nuance d’Ethan

l.81 : « Non, moi je trouve que c’est pas une belle histoire en prison. » mais ajoute l.83 « Par contre quand il sort de prison c’est une belle histoire. ». Ethan et Lucas tentent de nuancer l.87 « Une belle histoire et pas une belle histoire. Moyenne histoire. », Sakina avec de vagues arguments rejoint, ce qui s’apparente à l’effet de cascade d’information, l’idée de la majorité, c’est une belle histoire l.90 : « Moi c’est une belle histoire, parce que au moins il avait des problèmes, ben maintenant il a plus de problèmes. Et maintenant il est sur la lune, et c’est une belle histoire. ». Ce qui va être argumenté par Emeraude l.98 : « Ben parce qu’il a visité un château … » puis l.100 : « Et il a vu des vraies personnes … ». Sakina souhaite réfléchir plus précisément en redemandant la question l.104 : « Tu peux redire ta question ? » Yvhana confirme le fait que ce soit une belle histoire avec des arguments erronés l. 109 : « c’est bien parce que le bonhomme, parce que en fait le bonhomme au début, il a failli aller en prison et après ». L’ensemble des élèves ont l’air d’accord sur le fait que c’est une belle histoire quand ils répondent à ma question l.112 : « Vous êtes tous d’accord ? », l.113 : «  OUI ! OUI ! ». Ethan tente de ne pas être en accord avec le groupe l. 114 : « Non ! » , il réitère l.120 : « Terrifiant ! » mais le coût social de la contestation semble être trop lourd pour qu’il argumente et donne plus d’importance à son point de vue. Sakina reprend la parole en disant l.130 : « J’ai compris ta question, t’avais dit pourquoi ça se finit bien, ben parce que, parce que , il arrange les problèmes, c’est tout. », seulement elle ne répond pas à ma question mais à la question qu’elle a voulu entendre et sur laquelle elle a doutée plusieurs fois, mais n’a jamais changé de position, ni d’arguments, qui restent très vagues. J’aurai dû lui demander de préciser de quels problèmes elle parlait.

Cet atelier ne s’est pas passé comme je le souhaitais mais je n’ai pas voulu imposer mon interprétation de l’histoire. J’ai fait le choix d’écourter l’atelier car j’étais déstabilisée, ma tentative sur la question de vivre totalement seul n’était pas suffisamment claire pour moi pour pouvoir l’être pour les enfants. Ils n’ont pas semblé perturbé par la fin précoce de l’atelier. Les enfants n’ont pas le même filtre que les adultes et à travers leurs filtres d’enfants, la majorité d’entre eux, trouvaient que c’était une belle histoire qui parlait de la lune, j’ai préféré que cela reste ainsi.

Conclusion

Selon J. Hawken (2019, p.9) : « Tous les philosophes pour enfants s’accordent à dire que les facultés d’étonnement, de curiosité et d’intuition des enfants sont le signe d’une affinité naturelle à la philosophie. Cela dit, ces tendances ne sont pas la preuve d’une innéité : je ne souhaite pas tomber dans la mythification d’un enfant naturellement philosophe, car le cadre éducatif et l’accompagnement didactique demeurent essentiels afin de permettre aux graines philosophiques de germer. » Ce cadre éducatif et cet accompagnement didactique est à mettre en place par l’animateur ! Pour cela on ne peut pas nier les fonctionnements existants entre les adultes et les enfants, notamment le rôle d’éducateur dans lequel est l’adulte, depuis le plus jeune âge des enfants. L’adulte transmet ses connaissances et apprend à l’enfant à parler, à lire, à compter, etc. L’enfant, imite, reproduit, il a besoin de validation de l’adulte pour s’assurer de bien faire. C’est un schéma bien ancré. Seulement pour pratiquer le dialogue philosophique, l’enfant doit acquérir une autonomie de pensée. Dans les ateliers de philosophie, l’adulte va petit à petit déconstruire un mode de fonctionnement vertical pour construire avec les enfants un fonctionnement horizontal, où les enfants, entre eux, vont élaborer leur compréhension du monde. L’adulte et les enfants, vont devoir abandonner des automatismes mis en place depuis longtemps, et comme ce sont des automatismes, ils ne sont plus conscientisés, c’est pourquoi il est important de les repérer. De plus, comme nous avons pu le voir au travers des biais cognitifs, il n’y a pas qu’entre l’adulte et l’enfant qu’il y a des automatismes à déconstruire, mais également dans les interactions dans le groupe. Ainsi, dès qu’il y a plusieurs personnes, des influences se créent, il est donc vain d’espérer animer sans influencer les enfants. Que ce soit à cause de l’avarice intellectuelle ou de l’utilisation du mode de penser rapide, notre cerveau utilise des biais, qui peuvent nous conduire vers l’erreur. Il est important d’avoir conscience de ces biais pour repérer nos influences involontaires afin de les minimiser. Les influences induites par le nourrissage culturel, à travers les supports, sont équivalentes aux petites roues que l’on met sur un vélo, ça permet d’apprendre petit à petit, pour un jour être capable de faire sans, mais c’est également en pratiquant le dialogue philosophique que les enfants peuvent développer une pensée autonome !

  B ibliographie

HAWKEN J. (2019). 1…, 2…3… Pensez ! Philosophons les enfants !. Chronique Sociale

TOZZI M. (2012). Nouvelles Pratiques philosophiques. Chronique Sociale

CHIROUTER E. (2022). Ateliers de philosophie à partir d’albums et autres fictions. Hachette

(coll. « Pédagogie pratique à l’école »)

CHIROUTER E. (2015). L’enfant, la littérature et philosophie. L’Harmattan

LEVINE J. Eds. (2008). L’enfant philosophe, avenir de l’Humanité ? ESF

GAGNON M., YERGEAU S., SASSEVILLE M. (2020). L'animation d'un dialogue philosophique :

éviter les pièges des biais cognitifs. Diotime, Revue n°85 DELILLE V. (2013). Du rôle de l’animateur. Diotime, Revue n°57

CONNAC S. (2020) Apprendre avec les pédagogies coopératives ESF

LELEUX C. Eds. (2005) La philosophie pour enfants, le modèle M. Lipman en discussion. De Boeck

GALICHET F. (2004) Pratiquer la philosophie à l’école. Nathan.

GALICHET F. (2019) Philosopher à tout âge. Vrin.

BLOND-RZEWUSKI O. Eds. (2018). Pourquoi et comment philosopher avec des enfants ?.

Hatier (coll. « Enseigner à l’école »)

LENOIR F. (2020). Philosopher et méditer avec les enfants. Le Livre de Poche.

FRAYSSINHES J. (2022). Le rôle des biais cognitifs dans l’apprentissage, dans Éducation Permanente 2022/04 (N° 233), pages 147 à 154 éditions Éducation Permanente.

BRONNER G. (2013). La démocratie des crédules. PUF

DARMON M. (2016). L’effet Condorcet. La revue lacanienne 2016/1 (N° 17), pages 48 à 52 Éditions Érès.

TVESKY A. & KAHNEMAN D. (1981) The Framing of Decisions and the Psychology of Choice, SCIENCE VOL. 211

BARTOLI J. (2019) Thèse : Morale et philosophie à l’école Républicaine : des tensions à interroger. Études des phénomènes interlocutifs lors des discussions citoyennes à visée philosophique pratiquées en classes de CM2

TOZZI M. (2005). L’émergence des pratiques à visée philosophique à l’école et au collège : comment et pourquoi ? Spirale. Revue de recherche en éducation, n°35, Philosopher avec des enfants, p 9-26

Annexe 1

( J. Bartoli, 2019, p. 172-173)

Extrait n° 12 - Qu’est-ce qu’une grande personne ?

_____________________________________________________________________________________ Exemple n° 1

Lignes 13-18 TPA7       Animateur :

« On devient majeur, donc, on atteint, on atteint une majorité, atteindre une majorité c’est quelque chose d’important, hein, parce que ça va vous rendre responsable de vos actes. Ça (ne) sera plus les parents qui seront responsables. Ça veut dire qu’on estime que vous êtes grands pour avoir la majorité.

Mais qu’est-ce que ça veut dire justement quand on est responsable, qu’on est majeur ? »

_____________________________________________________________________________________ Analyse

Nous remarquons deux éléments indiciels qui marquent en quoi le locuteur (adulte) oblige dans son propos l’adhésion obligatoire de l’interlocuteur (ici tous les élèves). Il s’agit d’une part de l’emploi de la formule « hein » qui souligne l’adressage d’acquiescement au « tu » de l’allocutaire et, d’autre part, du recours à l’emploi du pronominal « vous » qui enveloppe l’allocutaire (ici « vous », sous-entendu l’ensemble des élèves) en l’intégrant obligatoirement dans l’énonciation. De même, nous soulignons l’évolution d’un « on » impersonnel, plus généralisant repris trois fois en début d’intervention « On devient majeur, donc, on atteint, on atteint une majorité, atteindre une majorité c’est quelque chose d’important hein, parce que ça va vous rendre responsable de vos actes … » transformé par la marque factuelle en « c’est » dans « c’est important » qui évolue soudainement dans cette adhésion obligatoire de l’élève aux propos de l’enseignant. De même, l’énonciateur présente l’action comme obligatoire en se servant d’outils linguistiques comme l’emploi du marqueur adverbial « justement » indiquant que l’enseignant attend en retour une réponse exacte et précise. Nous avons choisi un autre extrait montrant l’enchaînement de l’usage des pronominaux de seconde personne au singulier « tu » s’adressant à l’élève dérivant sur un « vous » puis ensuite glissant sur un « on » plus généralisateur désignant tous les élèves et tout le monde en fait. De notre point de vue, nous y voyons une demande d’adhésion quasiobligatoire des élèves aux propos de l’enseignant.

Annexe 2

« Thog problem » ou problème du Schmilblick (G. Bronner, 2013, p 42- 46)

On suppose que l’expérimentateur a choisi deux caractéristiques qui permettent à un objet d’être un « Schmilblick » : la forme et la couleur. Il n’y a que deux formes (cœur et losange) et deux couleurs possibles (noir et blanc). Pour être Schmilblick, un objet ne doit avoir que l’une de ces caractéristiques choisies par l’expérimentateur (soit la couleur, soit la forme) et non les deux ou aucune des deux. On ignore quel est le choix de l’expérimentateur, mais l’on sait que le losange noir est un Schmilblick. Par conséquent, le cœur noir, le losange blanc et le cœur blanc sont-ils oui ou non des Schmilblicks ? Trois réponses sont possibles, soit telle figure est un Schmilblick, soit elle n’en est pas un, soit il est impossible de déterminer si oui ou non elle en est un. Ce problème est donc résumé dans le tableau suivant.

Schmilblick

?

?

?

Trois types de raisonnements peuvent être observés expérimentalement. Le raisonnement le plus courant est le suivant : puisque le losange noir est un Schmilblick, c’est que l’expérimentateur a choisi soit le losange, soit la couleur noire. Par conséquent, le cœur blanc qui n’a aucune de ces caractéristiques ne peut pas être un Schmilblick. Pour les mêmes raisons, le cœur noir et le losange blanc qui ont une de ces caractéristiques sont des Schmilblicks.

On obtient donc le résultat suivant :

Schmilblick

Schmilblick

Schmilblick

Non

Schmilblick

Un autre type de raisonnement peut être défendu : le cœur blanc qui ne possède aucune des caractéristiques du losange noir ne peut être un Schmilblick, mais l’on ne peut déduire de l’énoncé que le cœur noir et le losange blanc en sont. En effet, on ignore quelle est la caractéristique choisie par l’expérimentateur. Or, si c’est la couleur noire, le cœur noir est un Schmilblick, mais pas le losange blanc ; et réciproquement, si c’est la forme du losange, le losange blanc est un Schmilblick, mais pas le cœur noir. Donc on ne peut savoir si le cœur noir et le losange blanc sont des Schmilblicks, et l’on obtient le résultat suivant :

Schmilblick

Insoluble

Insoluble

Non

Schmilblick

Ces deux types de raisonnement sont choisis majoritairement par les interrogés parce qu’ils paraissent satisfaisants. Ils offrent une solution à la réponse avec un investissement mental raisonnable. Mais ces deux types de raisonnements révèlent notre avarice mentale et ils sont parfaitement faux. Le seul raisonnement valide est celui que seuls choisissent 10 % en moyenne des interrogés. Il est un peu hors de portée de l’intuition ordinaire et implique un coût d’investissement supérieur aux autres solutions, plus immédiates. Il peut être formalisé de cette façon : puisque l’on sait que le losange noir est un Schmilblick, on peut déduire que l’expérimentateur a choisi comme caractéristique du Schmilblick, soit la couleur noire, soit la forme losange, mais non les deux (car alors le losange noir ne serait pas Schmilblick). On peut dès lors en déduire que le cœur blanc est un Schmilblick. En effet, ou bien c’est sa couleur qui fait du losange noir un Schmilblick et, par conséquent, la deuxième caractéristique du Schmilblick ne peut être que le cœur, ou bien c’est sa forme, et la deuxième caractéristique du Schmilblick ne peut être que le blanc. Dans les deux cas de figure possibles, le cœur blanc correspond à la définition du Schmilblick. En revanche, ni le cœur noir, ni le rectangle blanc ne peuvent être des Schmilblicks. Car si la couleur noire est la caractéristique du Schmilblick, c’est que le cœur est sa forme : le cœur noir possède donc les deux caractéristiques et le losange blanc, aucune ; dans les deux cas, ils ne sont pas Schmilblicks. Réciproquement, si la forme du Schmilblick est le losange, alors le blanc est sa couleur et le cœur noir ne possède aucune des caractéristiques du Schmilblick, tandis que le losange blanc en possède deux. Par conséquent, la solution du problème est la suivante :

Schmilblick

Non

Schmilblick

Non

Schmilblick

Schmilblick

Le résultat du problème posé est plutôt surprenant et contre-intuitif, mais lorsqu’on l’a trouvé, on sait que c’est la bonne solution. Seulement, avant d’en arriver là, 90 % des interrogés se seront égarés vers des solutions fausses. Leur égarement vient de ce que leur raisonnement apporte une solution au problème (ce qui est une incitation forte à cesser de réfléchir) et de ce que son caractère erroné ne saute pas aux yeux. Une grande partie du problème se situe dans cet aspect très simple du fonctionnement de notre esprit.

Annexe 3

Description de l’atelier sur la liberté avec l’anneau de Gygès

Temps 1 : récit de l’histoire, en théâtralisant, avec une bague à chaton, jusqu’au moment où Gygès découvre le pouvoir d’invisibilité de la bague. Temps 2 : discussion en 5 groupes de 4 ou 5 élèves.

Consigne : Avant de raconter la fin de l’histoire, je vous demande de réfléchir ensemble à ces deux questions pendant 10 minutes :

1)  À votre avis, que va faire Gygès de ce pouvoir d’invisibilité ?

2)  Si vous aviez la bague pendant une journée, que feriez-vous ? Imaginez votre journée d’invisibilité.

Temps 3 : synthèse en groupe classe

Lister et classer au tableau les exemples donnés par les élèves en réponse aux questions 1 et 2. - Idées de transgression des interdits : désobéir aux parents, voler, frauder dans les transports, tricher, espionner, se venger, faire peur, etc …

- Idées d’actions plus positives : protéger les autres, redistribuer l’argent volé, etc.

Raconter la fin de l’histoire pour savoir ce qu’a fait Gygès et comparer avec les hypothèses des élèves.

Temps 4 : Discussion collective sur Qu’est-ce qu’être libre ?

Temps 5 : Conclusion : synthèse des idées.

Annexe 4


Groupe de 12 élèves de CM1/CM2 de l’école des Gonettes

lundi 6 Mai :  Atelier N°2      Thème : AIMER

Concept de l’amour : Cyrano

Lecture de l’histoire

Théâtralisation de la scène du balcon

Débat : Cyrano aime-t-il vraiment Roxane ?

lundi 13 Mai :  Atelier N°3   Thème : LA LIBERTÉ Anneau de Gyges



Que va faire Gyges ?

Que feriez-vous si vous étiez invisible ?

Transgression des lois de la république mais pas des lois de la physique.

Réflexion sur le concept de Liberté

Vendredi 24 Mai :  Atelier N°4        Thème : LA LIBERTÉ ça dépend de moi, ça ne dépend pas de moi ?

Temps 1 : (10 min) Réflexion individuelle pour chacune des questions imagées

Temps 2 : 
Réflexion en groupe sur les questions

Philéas et Autobule N°80 C’est quoi la liberté p 10-11 suivantes :

-  Devenir adulte ça dépend de nous, ça ne dépend pas de nous ?

-  Porter ce que je préfère, ça dépend de nous, ça ne dépend pas de nous ?

-  Avoir beaucoup d’argent ça dépend de nous, ça ne dépend pas de nous ?

lundi 3 Juin :  Atelier N°5    Thème : LA LIBERTÉ

Yakouba. Besoin de ma part de stopper l’atelier pour parler de la réaction des élèves à la vue de la couverture de Yakouba, la comprendre afin que les élèves ne rigolent pas à chaque page du livre. Reposer le cadre par rapport au respect.

Lecture de Yakouba jusqu’au dilemme de tuer ou non le lion.

Par groupes de 4 les élèves ont cherché :


                 les bonnes raisons de tuer le lion :                    les bonnes raisons de ne pas tuer le lion :