C'est par une invitation à la lecture du livre la plus belle histoire du langage que nous préparons cet atelier
Et pour rire et apprendre
Un cours sur le langage
Aristote
définissait l’homme comme « le vivant possédant le langage » : la capacité
linguistique semble n’appartenir en propre qu’à l’homme, et le distinguer de
tous les autres vivants. Le langage permet à l’homme de penser et de
communiquer ses idées : il fonde donc la vie en communauté.
Le langage : définitions
Comment définir le langage ?
Le langage se définit par un vocabulaire, c’est-à-dire par
un pouvoir de nomination, et par une grammaire, c’est-à-dire par des règles
régissant la nature et les relations des mots. Saussure a montré que les mots que nous utilisons pour parler (ou
signes) sont la totalité d’un signifiant (la suite de sons qui compose le mot)
et d’un signifié (ce que le mot désigne).
Il a aussi établi qu’il n’y avait aucun rapport logique
entre le signifiant et le signifié : c’est la
thèse de l’arbitraire du signe.
Le langage est donc une convention arbitraire ; c'est pourquoi, d’ailleurs, il
existe plusieurs langues.
Peut-on parler d’un langage animal ?
Certains animaux ont développé des formes évoluées de
communication, et particulièrement ceux qui vivent en société comme les
abeilles. Mais, comme l’a montré Benveniste, ce « langage » n’a rien à voir
avec le langage humain : il dicte un comportement, et non une réponse
linguistique. Les animaux n’utilisent pas dans leur communication des signes[1] composés, mais des signaux
indécomposables. Alors que le langage
humain est un langage de signes,
la communication animale est un code de signaux, dont chaque signal renvoie à
une seule signification possible.
Qu’est-ce qui caractérise le langage humain
?
Selon Rousseau, « la langue de convention n’appartient qu’à
l’homme » : les animaux possèdent leur « langage » dès la naissance. Ils n’ont
pas à l’apprendre, parce que c’est leur instinct qui le leur dicte ; ce «
langage » est inné, et non acquis. Le « langage » animal n’a pas de grammaire :
les signaux qui le composent ont chacun un sens précis et unique, et ne peuvent
donc pas être combinés entre eux. Grâce à la grammaire et au nombre infini de
combinaisons qu’elle permet, le langage
humain, lui, est plus riche de significations et surtout, il est capable d’invention et de progrès.
Le mot arbre désigne
aussi bien cet arbre-ci que cet arbre-là. Arbre
ne désigne pas un arbre donné, mais le concept même d’« arbre » (ce que
doit être une chose pour être un arbre : avoir un tronc, etc.) ; c’est pour
cela qu’il peut désigner tous les arbres. Les mots ne renvoient pas à des
choses, mais à des concepts abstraits et généraux. Le langage est donc le fruit
de notre faculté d’abstraction : le mot arbre
peut désigner tous les arbres, parce que nous avons, contrairement aux
animaux, la faculté de ne voir dans cet arbre-ci qu’un exemplaire de ce que
nomme le mot arbre (le concept
d’arbre).
Comme l’a montré Bergson, les mots désignent des concepts
généraux, et non des choses singulières. Le langage simplifie donc le monde et
l’appauvrit : il nous sert d’abord à y imposer un ordre en classant les choses
par ressemblances. Le langage ne fait donc pas que décrire un monde qui lui
serait préexistant : c’est lui qui délimite le monde humain, ce que nous
pouvons percevoir et même ce que nous pouvons penser. N’existe, en fait, que ce
que nous pouvons nommer dans notre langue.
La conscience ne vise pas autrui comme une chose parmi les
choses, parce que, contrairement aux choses, autrui peut répondre quand je lui parle
: parce qu’il me répond, autrui est non un simple objet de ma perception, mais
un autre sujet qui me vise à son tour dans sa propre conscience. Le langage
permet de viser intentionnellement autrui comme sujet : Husserl peut donc
affirmer que c’est lui qui fonde la communauté humaine, entendue comme «
communauté intersubjective ». Le langage semble n’avoir qu’une seule fonction :
décrire des « états de choses » (comme par exemple : « le chat est sur le
paillasson »). Wittgenstein remarque cependant qu’à côté de cette fonction
descriptive, le langage a plus fondamentalement une fonction éthique : dire que
le chat est sur le paillasson, c’est certes décrire la position du chat, mais
c’est aussi célébrer la communauté humaine pour laquelle cette proposition a
une signification. Le langage fait de l’homme « l’animal cérémoniel » :
il n’a de sens que dans une communauté, et c’est cette communauté de langue que
nous célébrons, même sans le savoir, dès que nous parlons.
Les langues naturelles et la langue scientifique
Une langue est un ensemble institué et stable de signes et
de règles grammaticales que partage une communauté humaine donnée. Pour Hegel,
« c’est dans le mot que nous pensons », autrement dit nous pensons le monde à
travers la langue que nous parlons. Chaque mot ne prend sens que dans le
contexte où il s’insère, prenant des valeurs linguistiques différentes selon
les phrases et les discours prononcés. Comprendre un mot, dans le contexte du
locuteur, c’est comprendre le monde auquel il appartient. Il y a donc une
pluralité de visions du monde, comme il y a une pluralité de langue.
Est-ce que la langue
est une véritable limite à notre conception du monde ? Prendre
conscience de cette limite, n’est-ce pas déjà la dépasser ?
Nous sommes capables de connaitre le fonctionnement de notre
langue et donc son influence sur notre manière de penser. Nous pouvons donc
également comprendre comment en dépasser les limites. Par exemple, pour Hume
les difficultés de l’identité personnelles sont plus des difficultés
grammaticales que philosophiques, le « moi » n’ayant aucune impression
constante ce qui fait que nous n’avons donc aucune idée de ce qu’il est
réellement, lui conférant alors une impression de fiction. Dépasser ses limites
grammaticales permet donc de réfléchir à notre condition humaine.
La pensée scientifique montre qu’il est possible de rompre
avec les langues naturelles vernaculaires, même si la pensée scientifique est
elle-même prisonnière d’une conception du monde, en s’opposant à la
connaissance ordinaire, à l’opinion, aux préjugés. La science réalise ses
objets, alors que l’opinion ou le préjugé ne fait que reproduire des objets
préexistants, qui ne sont pas pensé.
Le rêve d’une langue universelle ne pourrait être
scientifique, puisque la science a besoin d’une langue qui n’a de cesse de se
rectifier, dans le cadre de sa démarche expérimentale. En outre, rompre avec
les langues naturelles serait renoncer à habiter notre langue et au lien qui
nous relit à notre monde. Notre rapport au monde ne peut se réduire au rapport
d’un savoir scientifique sur son objet. De plus, il y a d’autres alternatives à
la prison du préjugé. Parler, c’est soumettre sa pensée à l’examen critique
d’autrui et à l’interprétation. Tout parler humain porte en lui un infini de
sens à développer et interpréter, d’autant plus que dans le langage il y a
aussi les nondits auquel le langage se rapporte. Enfin, la langue scientifique
ne peut se passer de la langue naturelle, puisqu’elle se base sur cette
dernière afin d’y trouver des erreurs et préjugés à rectifier.
Ainsi, la langue, loin d’être une prison pour la pensée, est
au contraire ce qui la rend capable d’échapper à la clôture de l’opinion et du
préjugé, il y a déjà en elle les germes pour la réflexion sur elle-même et le
monde qui nous entoure ; c’est plus qu’un simple système de signes. La langue
ouvre la possibilité d’une pratique qui dans sa finitude même rend possible
l’infini de la parole et du discours.
Introduction à la sémiologie
La sémiologie (du
grec ancien σημεῖον, « signe », et λόγος, « parole, discours, étude ») est
l'étude des signes linguistiques à la fois verbaux ou non verbaux.
L’environnement dans lequel l’homme évolue est constamment codé ; il est
porteur de sens, un sens que l’homme est capable de donner en fonction de sa
propre conception du monde. Comprendre un message, c’est le décoder, puisque le
langage est un code.[2] Par exemple, pour Morris
Zapp, tout décodage est un nouvel encodage. Il n’est donc jamais sûr que deux
interlocuteurs se comprennent, car personne ne peut être sûr qu’il emploie les
mots exactement dans le même sens que son interlocuteur, même dans la même
langue. Il considère donc que « la conversation est une partie de tennis
qu’on joue avec une balle en pâte à modeler qui prend une forme nouvelle chaque
fois qu’elle franchit le filet) ».
Tous les philosophes ne partagent pas cet avis, les nuances
variant en fonction du degré de liberté accordée à l’homme dans sa capacité à
percevoir, interpréter et créer le monde dans lequel il évolue. Plusieurs
approches sémiologiques ont donc été élaborée. Alors que les premiers
linguistes considéraient le langage avant tout dans sa fonction descriptive (sa
capacité de comprendre et de communiquer sur le monde qui nous entoure), à
partir du 20ème siècle de nouveaux philosophes ont développé une
conception nouvelle du langage, perçu comme un outil d’influence sur le monde
lui-même. Cette partie présente certains linguistes et philosophes ayant eu une
influence déterminante sur notre perception du langage.
Ferdinand de Saussure (1857-1913)
Génie précoce, Ferdinand de Saussure a fait de la
linguistique une discipline à part entière, ayant « pour unique et véritable
objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même ». Ses Cours de linguistique générale ont ainsi permis de dépasser l’ancienne
perspective diachronique (l'approche dite diachronique
s'intéresse à l'histoire de la langue et étudie ses évolutions (étymologie, évolutions phonétiques, sémantiques,
lexicales, syntaxiques, etc.), pour étudier la langue comme un système de
signes, susceptible de décrire et d’expliquer la réalité de l’acte de parole.
La linguistique a ouvert des chemins non seulement vers la compréhension de la
langue, mais aussi de l’homme lui-même. « Nous pensons un univers que notre
langue a d’abord modelé. »
Ainsi, Saussure distingue la fonction d’usage de notre
environnement (une chaise sert à s’asseoir, une table sert à manger ou étudier,
un vêtement à tenir chaud, etc.) et la fonction symbolique. Pour ainsi dire,
les choses « parlent », dans le sens où au-delà de leur utilité, elles nous
informent sur un environnement socio-culturel, l’historique d’un lieu ou d’une
personne, etc. C’est à partir de cette fonction symbolique basée sur
l’interprétation que s’est développé la sémiologie, qui est défini par Saussure
comme « la science dont l'objet est
l'étude de la vie des signes au sein de la vie sociale ». La sémiologie est
donc une science du discours, un discours sur le discours, un métalangage dont
l’objet d’étude est le langage lui-même.
Extraits du Cours de linguistique
générale :
« En séparant la langue de la parole, on sépare du même coup
ce qui est social de ce qui est individuel, ce qui est essentiel de ce qui est
accessoire et plus ou moins accidentel. La langue n’est pas une fonction du
sujet parlant, elle est le produit que l’individu enregistre passivement.
[…] La parole est au contraire un acte individuel de volonté
et d’intelligence. » « Il n’y a de différences que si l’on parle des
significations, donc des signifiés ou des signifiants. […] Le signifié seul
n’est rien : il se confond dans une masse informe. De même le signifiant. Mais
le signifiant et le signifié contractent un lieu en vertu des valeurs
déterminées, qui sont nées de la combinaison de tant et tant de signes
acoustiques avec tant et tant de coupures qu’on peut faire dans la masse de la
pensée. […] Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou
encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l’association
d’un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe
linguistique est arbitraire. »
Roman Jakobson (1896- 1982)
Pour Roman Jakobson, le langage fonctionne selon deux axes :
l’axe paradigmatique (le vocabulaire) et l’axe syntagmatique (la syntaxe).
L’axe paradigmatique est lui-même divisé entre un axe vertical, qui concerne le
choix du vocabulaire de base (chaque fois que l’on prononce un mot, on le
choisit parmi une liste de mots disponibles en mémoire et que l’on fait défiler
rapidement dans notre tête) et un axe horizontal, qui concerne la manière de complêter les mots
choisis pour former une phrase (choix d’un adverbe, d’un verbe, d’un adjectif
de classe grammaticale équivalente). L’axe syntagmatique définit l’agencement
de ces mots choisis (sujet-verbe-complêtement, sujet-verbe,
complêment-verbe-sujet, etc.). Chaque fois que l’on formule une phrase, on
réalise ces deux opérations.
En plus de définir le fonctionnement structurel du langage,
Jakobson a synthétisé le processus de communication sous la forme d’un schéma :
émetteur, récepteur, message, contexte, canal et code. C’est à partir de ce
schéma qu’il a dégagé les fonctions du langage :
•
La fonction « référentielle » est la première
fonction du langage et la plus évidente. On utilise le langage pour parler de
quelque chose. Les mots utilisés renvoient à un certain contexte, une certaine
réalité, au sujet de laquelle il s’agit de donner des informations.
•
La fonction dite « émotive » ou « expressive »
vise à manifester la présence et la position de l’émetteur par rapport à son
message : interjections, adverbes de modalisation, traces de jugement, recours
à l’ironie... La façon dont l’émetteur exprime une information se référant à un
sujet extérieur donne elle-même des informations sur l’émetteur. C’est la
fonction du « je ».
•
La fonction conative est la fonction du « tu ».
Elle est dirigée vers le récepteur. Elle s’exerce principalement avec
l’impératif et le vocatif, c’est-à-dire l’interpellation de celui ou ceux à qui
on s’adresse. Par exemple, lorsque Napoléon s’adresse à ses troupes et lui dit
« Soldats, je suis content de vous ! » il combine la fonction émotive (« je suis content ») avec la fonction conative
« Soldats/de vous ! »).
•
La fonction « phatique » est la fonction qui
envisage la communication comme une fin en soi. Quand on dit « allo » au
téléphone, on ne dit rien d’autre que « je suis à l’écoute », c'est-à-dire « je
suis en situation de communication ». Ce n’est donc pas l’information en soi
qui a de l’importance dans la fonction phatique, mais seulement le maintien,
l’entretien de la communication.
•
La fonction « métalinguistique » vise à vérifier
que l’émetteur et le récepteur se comprennent, c’est-à-dire utilisent bien le
même code. « Tu comprends ? », « Tu vois ce que je veux dire ? », « Tu connais
? », ou bien, côté récepteur « Qu’est-ce que tu veux dire ? », « Qu’est-ce que
ça signifie ? », Etc. Tout ce qui concerne la définition d’un mot ou
l’explication d’un développement, tout ce qui se rapporte au processus
d’apprentissage, tout propos sur le langage renvoie à la métalinguistique. Par
exemple, un dictionnaire n’a pas d’autres fonctions que métalinguistique.
•
La sixième fonction est la fonction « poétique
». Elle envisage le langage dans sa dimension esthétique. Les jeux avec la
sonorité des mots, les allitérations, assonances, répétitions, effets d’écho ou
de rythme, relèvent de cette fonction. On la trouve dans les poèmes,
évidemment, mais aussi dans les chansons, dans les titres des journaux, dans
les discours oratoires, dans les slogans publicitaires ou politiques, etc.
•
La septième fonction est celle dite « magique »,
incantatoire ou « performative », dont le mécanisme est décrit comme la
conversion d’une troisième personne, absente ou inanimée, en destinataire d’un
message conatif ». La Bible utilise souvent cette fonction « performative »,
par exemple « Dieu dit : « Que la lumière soit » et la lumière fut ».
John Austin (1911-1960) et John Searle
(1932 -)
« Le langage c’est le pouvoir. » Cette théorie, liée à la
philosophie du langage ordinaire, a été développée par John Austin dans Quand dire c'est faire (1962), puis
après sa mort par John Searle. Elle insiste sur le fait qu'outre le contenu
sémantique d'une assertion (sa signification logique, indépendante du contexte
réel), un individu peut s'adresser à un autre dans l'idée de faire quelque chose, à savoir de
transformer les représentations de choses et de buts d'autrui, plutôt que de
simplement dire quelque chose: on
parle alors d'un énoncé performatif, par contraste avec un énoncé constatif.
Contrairement à celui-ci, celui-là n'est ni vrai ni faux. Un acte de langage (ou acte de parole) est
un moyen mis en œuvre par un locuteur pour agir sur son environnement par ses
mots : il cherche à informer, inciter, demander, convaincre, promettre, etc.
son ou ses interlocuteurs par ce moyen. Austin bâtit une classification des
actes de langage en 3 catégories :
•
Les actes locutoires sont
les actes que l’on accomplit dès lors qu’on énonce quelque chose,
indépendamment du sens que l’on communique.
Il s’agit donc de n’importe quel énoncé à proprement parlé avec un sens
prétendu, comprenant des actes phonétiques, phatiques et rhétiques qui
correspondent aux aspects verbaux, syntaxiques et sémantiques de n’importe quel
énoncé qui a du sens. Par exemple, « donne-moi ce livre » est un acte locutoire
; il implique que le récepteur est sommé par le locuteur de donner un certain
livre.
•
Les actes illocutoires correspondent
aux actes accomplis en disant quelque chose, en référence à la signification
énoncée par le locuteur. Cela suggère donc un travail d’interprétation, le
message convoyé par un énoncé allant au-delà de son sens immédiat (soit au-delà
de sa dimension locutoire). Par exemple, si je suis dans une voiture et je
souhaite que quelqu’un ouvre la fenêtre, je peux dire « il fait chaud dans
cette voiture ».
•
Les actes perlocutoires coïncident
avec les conséquences de l’acte de langage. L'effet perlocutoire est ainsi
celui produit par la production de l'énoncé sur le récepteur (tel qu’un effet
psychologique) ou sur ses actes. Par exemple, suite à l’énoncé « « il fait
chaud dans cette voiture » », le récepteur va ouvrir la fenêtre. Cependant, la
fonction perlocutoire n’est pas toujours liée à l’intentionnalité. L'effet
psychologique ressenti par le récepteur ne dépend pas complétement de mon
intention signifiante (par exemple, il ne dépend pas de moi que le récepteur
ait confiance en ma promesse, ou qu'il se sente insulté quand je
l'insulte).
Dans le cas d’une promesse, par exemple si je dis: "je
promets que...", alors l'acte illocutoire de la promesse a eu lieu, que je
veuille, ou non, tenir cette promesse - celle-ci tenant sa valeur non pas de
mon intentionnalité, de ma sincérité, mais de la convention selon laquelle
affirmer "je promets que..." c'est engager sa parole). Pour Austin,
l’acte de discours illocutoire est lui-même la chose qu’il effectue, alors que
l’acte perlocutoire entraine certains effets qui ne se confondent pas avec
l’acte du discours. Par exemple, si je demande à quelqu’un « avez-vous un stylo
? » la réalité illocutoire peut être que j’ai besoin d’un stylo pour écrire et
que je souhaite emprunter le stylo de l’autre personne. L’acte illocutoire sera
donc que vous comprenez ce sous-entendu. L’acte perlocutoire sera réalisé si la
personne va effectivement me donner son stylo pour que je puisse écrire, ou
bien qu’il ait une autre réaction en lien avec l’acte de langage.
A la mort d’Austin, Searle approfondi les théories liées à
la fonction performative du langage.
De nombreux critères influent sur la force de l’acte de
langage sont individualisés. Il s’agit notamment du but de l’acte illocutoire ;
de la direction d’ajustement entre les mots et le monde ( soit les mots «
s’ajustent » au monde, comme dans une assertion ou une affirmation, soit le
monde « s’ajuste » aux mots, comme dans une promesse ); des différences dans la
force illocutoire du contenu propositionnel (par exemple, une promesse déterminera le contenu
propositionnel de l'énoncé de telle manière que ce contenu portera sur le futur
et sur quelque chose qui est en mon pouvoir ; une excuse déterminera le contenu de sorte à ce qu'il porte sur un
événement passé, et qui a été sous mon contrôle) ; la force avec laquelle le
but illocutoire est représenté, qui dépend du degré d’explication de l’acte ;
les statuts respectifs du locuteur et de l’interlocuteur et leur influence sur
la force illocutoire de l’énoncé ; les relations de l’énoncé avec les intérêts
du locuteur et de l’interlocuteur.
D’autres facteurs ont par la suite été mis en exergue par
d’autres chercheurs, pour affiner les recherches de Searle. Par exemple,
l’approche relationnelle d'Albert Assaraf repose sur la relation entre le
locuteur et le récepteur. La force d’une parole est donc déterminée par la
position du locuteur – la position du récepteur. Par exemple, un ordre donné
par un supérieur hiérarchique a son subordonné à plus d’impact qu’un ordre
donné par un subordonné à son supérieur hiérarchique. La force d’une parole est
également liée à sa capacité de jonction entre le locuteur le récepteur, tel
que par exemple les affirmations ayant pour but l’amour, le pardon, la
compassion, l’absolution, l’attention, etc. Assaraf imagine également des cas
de figure ou ces fonctions jonction-position sont combinées, voir même troquées
(« Je t’offre ma position pour que tu m’offres ta conjonction »). En outre, Assaraf démontre que chaque position
(c'est-à-dire chaque type positionnel d’acte de langage performatif) génère son
propre modèle interactif spécifique. Par exemple, ordonner pour être « efficace » suppose effectivement, comme le dit
Bourdieu, « un porte-parole » « investi » d’une autorité ; dans le cas de prier, en revanche, seul un subalterne
peut efficacement accomplir cet acte de langage. Prier fonctionne exactement à l’inverse d’ordonner. Autant ordonner
suppose un écart positionnel positif ; autant prier, un écart positionnel négatif.
Derrida (1930- 2004)
Derrida conteste la théorie d’Austin. Pour lui, cette
théorie présuppose que pour que celui qui parle agisse en même temps qu’il
parle il faut une intentionnalité. Or, pour Derrida les intentions du locuteur,
qui préexistent au discours, ne sont jamais parfaitement claires pour lui-même
et encore moins pour le destinataire (si ce dernier est clairement identifié).
Par exemple, si je dis « il est tard », pour Austin la fonction illocutoire est
que je souhaite rentrer. Pourtant, il est possible aussi que je souhaite rester
et que je souhaite que quelqu’un me rassure en disant « mais non il n’est pas
tard » ou bien « mais non, reste ». A supposer que je sache réellement ce que
je souhaite, il n’est pas sur que le locuteur puisse comprendre exactement ce
que je souhaite (ou ce que je crois avoir pensé) et ce que cela implique.
Derrida questionne l’unité et l’identité du locuteur et du récepteur.
Derrida questionne donc le niveau de responsabilité des
actes de langage, mettant en exergue ce qui est expressément exprimé mais aussi
tout ce que l’inconscient a pu vouloir suggérer dans la fonction illocutoire de
la pensée exprimée. Il joue donc sur la notion de liberté du locuteur,
assujetti par des agents extérieurs qui influencent son vocabulaire, ses choix
de sujet et les clés de lecture des sujets abordés, sa définition identitaire
par rapport au discours, etc. Pour Derrida, ce déterminisme socioculturel remet
en cause son libre arbitre et donc sa capacité de constituer une unité
identitaire déterminant clairement son intentionnalité discursive. Par exemple,
dans la fabrique du consentement » Chomsky montre la propension que la
bourgeoisie a de reproduire un argumentaire lue ou entendue dans des médias
correspondant à cette classe sociale (tel que New York Times), sans le
critiquer ou le remettre en cause, usant de la même réthorique et reprenant les
mêmes présupposés. Pour Derrida, l’individu est donc parfois un simple passage
pour des éléments de langage, une conversation se transformant alors en simple
citation d’autres sources.
Enfin, Derrida considère que pour être entendu par notre
interlocuteur, nous devons employer la même langue que notre interlocuteur.
Nous devons donc répéter (réitérer) des mots qui ont déjà été utilisés, sans
quoi notre interlocuteur ne pourra pas les comprendre. Nous sommes donc
toujours fatalement dans une forme de citation. Nous utilisons les mots des
autres. C’est cette réitération des mots des autres qui divise, qui «
exproprie la plénitude ou la présence à
soi idéale de l’intention, du vouloir-dire », limitant donc l’adéquation entre
le verbe et le sens donné. Il y a donc constamment des parasitages entre ce que
nous disons et notre présupposé volonté de par le choix même d’un moyen de
communication qui ne dépend pas de notre volonté. « Limitant cela même qu’elle
autorise, transgressant le code ou la loi qu’elle constitue, l’itérabilité inscrit, de façon
irréductible, l’altération dans la
répétition ».
Le langage de la pensée de Fodor
Le philosophe Jerry Fodor a développé une théorie
controversée sur l’esprit, posant l’hypothèse qu’il existe un langage inné de
la pensée, qu’il a appelé le « mentalais ». Ce postulat est destiné à expliquer
la nature de la pensée (et d’autres capacités mentales) et à rendre compte de
l’apprentissage des langues naturelles. Perceptions, souvenirs et intentions
comportent tous des signes de phrases mentalaises. Ainsi, quand nous émettons
la pensée que Kermit la grenouille est verte, une phrase mentale signifie «
Kermit est verte » apparait dans le cerveau. Les pensées se forment à propos
d’objets et peuvent être vraies ou fausses, puisque c’est le propre d’une
phrase de se construire à propos des objets et d’être vraie ou fausse. Les
phrases mentales sont comme celles des langues naturelles, elles ont une langue
grammaticale, mais leur différence réside en ceci qu’elles ne sont pas faites
pour communiquer mais pour penser. Le mentalais serait selon Fodor antérieur à
la langue maternelle. Selon Fodor, apprendre une langue comme le français ou
l’anglais présuppose une capacité existante de penser en mentalais. Le langage
de la pensée est inné, bien que la capacité d’employer un terme mentalais
puisse être déclenchée par l’apport de certaines expériences. Fodor va plus
loin en affirmant une ressemblance entre les activités mentales (conscientes et
inconscientes) et les opérations d’un ordinateur. Pensée, perception et autres
impliquent des calculs qui se font par l’intermédiaire des phrases mentalaises.
Les dernières recherches en psychologie de l’enfant ont
apporté des preuves convaincantes à l’idée que les nouveau-nés viennent au
monde avec un bagage inné de connaissances. Par exemple, ils savent faire la
différence entre les objets vivants et inertes. Est-il possible qu’un bébé
possède déjà le terme mentalais pour signifier « élephant » alors qu’il n’en a
jamais vu ? Fodor déclare simplement qu’il existe des mots mentalais amorcés
pour se référer aux éléphants lorsque les conditions appropriées seront satisfaites,
que ce soit en voyant une image ou en rencontrant l’animal.
Etude d’un texte de Bergson sur le langage et la
perception du monde
« Nous ne voyons pas les choses mêmes : nous nous bornons,
le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue
du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à
l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la
chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle
et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait
déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas
seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se
dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement
vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons
joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre
conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes
qui en font quelque chose d’absolument nôtre ?
Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous
musiciens. Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son
déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect
impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il
est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi,
jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous
mouvons parmi des généralités et des symboles. »
Henri Bergson, Le Rire © PUF,
coll. « Quadrige », 13e éd., 2007.
De quelle limitation souffre notre rapport au monde ? Nous
sommes dépossédés de notre individualité, nous agissons en fonction du besoin.
Le côté fonctionnel des choses priment. Le langage, à travers la lecture des
étiquettes, renforce cette tendance. Nous retenons seulement le sens commun
sans réfléchir aux particularités. Sommes-nous cependant capables de percevoir
notre singularité ? Quel niveau de conscience utilisons-nous pour percevoir le
réel ?
Le langage, les étiquettes masquent le moi profond, qui est beaucoup plus vaste, plus mouvant que les mots, qui figent ce moi intérieur. Amour, haine sont des concepts figés. Pour Bergson, si nous cessons d’étiqueter les choses et notre rapport à celles-ci, nous deviendrions des personnes capables de voir ; l’artiste n’étant pas dicté par le besoin, réussissant à saisir le particulier, aller au-delà du fonctionnalisme. De même, le philosophe souhaite vivre autrement, le quotidien de de l’homme étant fait de prêt-à-nommer et de prêt-à-penser. Les symboles et les généralités limitent notre condition humaine.
[1] Signe : Élément fondamental du langage, composé d’un signifiant,
suite de sons ou de gestes, et d’un signifié ou concept, qui lui donne sens
(distinction saussurienne).
[2] « Déconstruire un discours consiste à montrer comment il
mine la philosophie à laquelle il prétend, ou la hiérarchie des oppositions
auxquelles il fait appel, en identifiant dans le texte les opérations
rhétoriques qui confèrent à son contenu un fondement présumé, son concept-clé
ou ses prémisses ». _Culler (dans « la lignée » de Derrida).