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Pourquoi regarde-t-on les autres faire du sport ?
Est-ce seulement par désœuvrement que nous éprouvons de la fascination à voir autrui transpirer ?
Jean-Marie Brohm, philosophe, a consacré de nombreux livres sur la « tyrannie sportive », comme matrice religieuse et immorale de la société de compétition. Je m'entretiens avec lui à l'occasion de la parution de ses deux derniers ouvrages (juillet 2021).
Le football une peste émotionnelle - JEAN-MARIE BROHM
Par distraction / Juvénal (55-v. 128)
Le sport, meilleur instrument pour s’assurer la conservation du pouvoir ? C’est la conclusion du poète romain Juvénal. Dans ses Satires, il se montre exaspéré par un peuple romain qui « jadis commandait aux rois » mais qui est « esclave maintenant de plaisirs corrupteurs ». L’organisation de jeux sportifs est ainsi décrite comme la formule magique pour éviter toute agitation populaire. « Que leur faut-il ? Du pain et des gladiateurs. » Juvénal nous met en garde : assister à des rencontres sportives, c’est passer moins de temps à réfléchir sur sa condition sociale, ainsi que sur les moyens de maintenir sa souveraineté. Comme quoi, ce n’est pas d’hier que le sport est un enjeu politique.
Par intérêt personnel / La Rochefoucauld (1613-1680)
Si le résultat d’une rencontre sportive nous tient autant à cœur, c’est parce que cela touche notre amour-propre. Dans ses Maximes, François de La Rochefoucauld énonce que toute action est avant tout motivée par nos intérêts personnels : « L’intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui du désintéressé. » Lorsque l’équipe que nous soutenons gagne, nous le ressentons comme une réussite personnelle : nos convictions sont confirmées, notre amour-propre renforcé. Si celui-ci « est le plus grand de tous les flatteurs », nourrissez-le en prenant parti pour la formation occupant la tête du classement !
Par nature / Bergson (1859-1941)
A priori, vous n’avez jamais vu d’animal faire du sport de son plein gré. Henri Bergson confirme que « la faculté que possède l’animal de contracter des habitudes motrices est limitée ». Celui-ci n’apprend que les gestes nécessaires à sa survie là où nous avons « le pouvoir d’apprendre un nombre indéfini de sports ». La pratique sportive crée des mouvements codifiés qui n’ont, à première vue, pas de but particulier. Regarder les autres faire du sport, c’est ainsi contempler notre « puissance de libération [...] vis-à-vis de l’automatisme corporel ». Détournant la formule d’Aristote, pour qui l’humain est « un animal politique », Bergson, lui, en fait un « animal sportif ».
Par goût du contrôle / Astor (1973-)
Notre fascination pour les événements sportifs s’explique par l’incertitude de leur dénouement. Selon Dorian Astor, nous sommes en perpétuelle recherche de certitude : il s’agit d’une « dynamique du vivant ». Cette « réponse à l’incertitude fondamentale de toute existence » peut parfois prendre des « proportions monstrueuses, en angoisse, en panique, en démence ». En regardant les autres faire du sport, le spectateur souffre dans l’attente du résultat, mais il sait que cette incertitude aura une fin, dans un temps réglementaire. Cet aboutissement confère un sentiment de contrôle. Ainsi, le sport est-il un moyen de rassurer notre nature anxieuse.
Si la société des hommes est marquée par l'inégalité, le terrain de football reste pour le jeune Albert Camus un lieu où la position sociale ne compte pas et où chacun a sa place pour jouer. Le terrain est un lieu où s'exerce une morale pratique. La communauté des hommes est à l'image d'une équipe. L'objectif commun, l'effort, l'intégration des limites, l'écoute et le partage, la pensée en action, caractérisent le sportif.
Et vous le regardez-vous et si oui pourquoi ?
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